Le pouvoir faible d’achat des ménages est lourdement affecté par un rebond des produits de grande consommation.
Alassane, un jeune homme de 38 ans, à la barbe bien fournie et au visage émacié fonce sur une bassine d’eau. En moins de trois secondes, il réussit la prouesse de savonner la main et de la nettoyer. A peine assis devant un copieux plat de riz au gras, il s’empare de sa main gauche du plus gros morceau de viande au nez et à la barbe des vieux dont les regards furieux et silencieux sont en quelque sorte un reproche à son geste. De la main droite, le crève-la-faim rafle des quartiers de riz à la vitesse d’un éclair. A se demander s’il le temps de mastiquer le riz aussitôt ingurgité qui disparaît aussi rapidement dans l’estomac. Au point qu’en signe de désapprobation, deux vieux ont préféré rejoindre un autre groupe installé non loin de là.
La bassine vidée de son riz, il s’occupe la viande. Mais, voilà, de gros morceaux obstruent le passage de l’air. Ses étouffements consécutifs à ses tentatives infructueuses de les dégager attirent l’attention de ses voisins. Deux ruisseaux de larmes perlent la joue. Ses yeux grossissent comme une personne menacée de noyade et virent au rouge vif. Le malheur s’abat sur lui. Certains, avec qui il a partagé le repas, restent scotchés à leur siège. Peut-être, une joie intérieure, les dissuadent de faire le geste salvateur. Deux autres se sont affranchis de tout sentiment de revanche, en lui apportant leur assistance. Un maintient sa tête relevée, l’autre l’administre de grands coups de poing dans le dos. Enfin, il commence à retrouver ses esprits. Un peu plus tard, il s’évapore dans la nature avec un air sonné.
Le mariage tourne au deuil
La viande a disparu des assiettes. D’aucuns en sont réduits à guetter les réjouissances de mariage ou de baptême pour faire besogner leurs mâchoires. Nostalgie et gloutonnerie riment ensemble. Parfois la joie grandiose née de la consommation de viande donne lieu à des manifestations multiples visibles dans les pas de danse esquissés ou des figures faites au sol avec la moto.
Bouba, les cheveux au vent, passe pour un as du guidon. Cet abonné aux festivités, ne sachant ni le nom du marié ni celui de la mariée, renouvelle ses exploits sur la route. Suivant le petit cortège devant ramener la mariée dans sa famille, il perd le contrôle de son deux-roues et percutent frontalement un arbre en bordure de la chaussée. Son crâne fracassé, il perd la vie sur le lieu du drame. Le mariage tourne au deuil. Les obsèques ont lieu le lendemain matin au cimetière de Hamdallaye.
Le pouvoir d’achat des ménages est lourdement impacté par la hausse de la viande cédée 3.500 F CFA le kilogramme. La valse des étiquettes a concerné l’huile importée vendue à 1.200 F CFA le litre, le lait a atteint 2.500 F CFA le kilo. Dans ce sillage, le poisson enregistre un mouvement haussier.
Une foultitude de raisons aussi intéressantes les unes que les autres peuvent être avancées. A la crise sécuritaire, qui a compliqué l’accent des éleveurs au pâturage, obligeant le recours massif à l’aliment bétail – d’ordinaire utilisé comme complément alimentaire – s’est greffée la multiplication de taxes sauvages perçues à différents barrages érigés par les groupes jihadistes et d’autodéfense.
La pandémie de la Covid-19, avec son corollaire de fermeture des frontières, a perturbé les circuits de distribution combinée au boycott des cotonculteurs maliens ont tiré le prix de l’huile à la hausse.
L’un dans l’autre, l’apport énergétique de ces produits est indispensable à la vie humaine tout comme est l’eau aux terres sèches. Ainsi, du berceau à la tombe, peu de gens ont l’opportunité de disposer dans leur assiette une quantité suffisante de viande ou de poisson.
Georges François Traoré
L’Informateur