Les cauris sont de petits coquillages utilisés depuis des siècles comme monnaie d’échange, bijoux et décorations diverses. Appréciés en art divinatoire et reconnus comme de véritables porte-bonheurs en Afrique, leurs bienfaits sont connus de tous. La signification des cauris joue un rôle important dans de nombreuses cultures. Les coquillages « cauris » étaient l’une des devises les plus répandues au monde. En Afrique de l’Ouest, l’humble coquillage s’est enfilé dans la fibre culturelle, a pris un aspect symbolique et rituel plus profond qui n’a jamais complètement perdu sa valeur.
Les caravanes de commerçants arabes furent sans doute les premières à introduire les cauris en Afrique de l’Ouest, probablement dès le 8ème siècle. Au 15ème siècle, ces coquillages circulaient déjà en tant que devise, en particulier dans l’Empire du Mali. Mais ce sont les Portugais, Français, Anglais et Néerlandais qui ont enterré l’Afrique sous une véritable avalanche de cauris. Les Européens, s’apercevant de l’affection des africains pour ces petits coquillages, ont aidé à en faire la devise principale dans le commerce, en particulier d’esclaves et d’or. Pendant longtemps, les cauris ont coexisté avec plusieurs autres formes de devises à travers l’Afrique de l’Ouest : pièces d’argent et poussière d’or, mais aussi barres de sel, bracelets de cuivre ou de bronze en forme de fer à cheval, tissus, perles, etc. Vers le 18ème siècle, le cauri était la devise de choix sur les voies commerciales ouest africaines. Il conservera jusqu’au 20ème siècle son statut de moyen de paiement, ainsi que de symbole de pouvoir et de richesse.
Dans les petits villages, le commerce était la responsabilité et le privilège des anciens. Les biens que produisaient les villageois excédant de grain, miel, tissus, métaux, etc. Ils étaient vendus et les recettes entreposées dans les fonds communs comme contributions obligatoires. Les anciens utilisaient alors ces cauris pour l’achat de nécessités comme des outils, des médicaments ou du bétail pour la communauté. Les villageois eux-mêmes faisaient du troc, ce qui ne supposait pas d’argent : un sac de cacahuètes contre une casserole, une houe contre un beau panier, etc. Le commerce sur une grande échelle était la spécialité de quelques groupes : les Hausas, les Dioulas et les Yarcé, en particulier. Ils participaient à l’échange de marchandises en grand volume qui se retrouvaient dans un commerce de longue distance, tout cela avec des cauris.
Les Européens avaient au début utilisé les cauris avec enthousiasme, remplacer les coquillages avec les devises européennes aurait couté une petite fortune. De plus, la plupart pensaient que les coquillages finiraient par disparaitre par eux-mêmes, petit à petit. Mais ils n’étaient pas pratiques, ils étaient encombrants à entreposer comparé aux billets de banque, et le compte de larges sommes était approximatif. Ces défis n’étaient pas insurmontables, bien sûr, mais les Français en particulier, voulaient dévier le commerce la Côte-de-l’Or britannique vers leur propre colonie en Côte d’Ivoire. C’était une raison de plus d’imposer leur devise sur leur colonie.
Les colonisateurs ont eu beaucoup de mal à convaincre les africains d’accepter leur nouvelle monnaie centralisée. D’un côté, les africains de l’Ouest avaient l’habitude de voir de multiples formes de monnaie sur leurs marchés, en ajouter une de plus n’était pas un problème. Mais quand les Français ont interdit l’usage du cauri aux alentours de 1907, les anciens ont résisté, refusant d’inclure la nouvelle monnaie dans leurs réserves ou de l’utiliser dans leurs cérémonies à la place du coquillage. Certains voulaient garder les deux devises. D’autres pensaient simplement que le franc était une nuisance et ont rejeté les pièces et les billets.
La forme élégante du cauri représente la femme, son dos courbé rappelant le ventre d’une femme enceinte. Par conséquent, c’est un symbole de fertilité. La fente sur le dessous du coquillage peut ressembler à une pupille noire contre la surface nacrée, c’est pourquoi il est souvent utilisé pour protéger contre le mauvais œil. Le pouvoir sacré des coquillages ne fait qu’augmenter leur beauté. Les cauris sont souvent utilisés comme perles ornementales: incorporés dans des bijoux, portés dans les cheveux, décorant les statues et les paniers.
Les cauris sont des porte-bonheur (grigris) qui ornent les tenues des chasseurs et des guerriers, tressés dans les masques sacrés et les costumes de danses cérémonielles. Ils peuvent être un élément dans la médecine traditionnelle, et accompagner les défunts dans leurs voyages hors du monde. De nombreuses communautés à travers l’Afrique de l’Ouest et au-delà utilisent ces coquillages comme outils de divination. Le voyant jette ou lâche simplement les cauris sur une surface souvent circulaire, et interprète leurs positions pour prédire l’avenir. Le nombre de coquillages utilisés dépend de chaque diseur de bonne aventure et de la tradition à laquelle il appartient.
Bien que les cauris, en tant que monnaie de l’Afrique de l’Ouest ne soit plus qu’un souvenir, leur valeur symbolique perdure. Comme le disent les Haoussas : « Ceux qui sont patients avec un cauri en auront un jour des milliers. »
Oumou SISSOKO
L’Alternance