Une dépêche du Nord Mali : « L’écrasante majorité des populations du nord ne jurent que par le Mali », révèle le président du Mouvement Tabalé
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Dans une tribune intitulé « dépêche du nord » qui vaut son pesant d’or, l’activiste, panafricaniste connu, M. Fabou Kanté décrit la vie quotidienne de nos compatriotes dans les régions du nord du pays pendant que certains gesticulent, voire vocifèrent à hue et à dia scandant des slogans demandant le départ des forces française ou l’arrivée des Russes sans comprendre la vraie réalité géostratégique qui prévaut.
Contexte :
Depuis pratiquement sept (07) mois, je suis au Nord-Mali pour m’occuper de mes propres affaires. En effet, cela fait au moins dix (10) ans que je me suis entièrement dévoué au Mali, corps et âme au détriment de ma propre personne, de mon travail et de ma famille et ce fut sans aucun doute la plus grosse erreur de ma vie car cela ne m’a procuré que des ennuis…. J’ai emprunté alors une nouvelle voie de redéfinition et de réorientation de ma personnalité et de mon parcours terrestre à partir du nord.
Après un premier séjour de trois (03) semaines à Gao et environs en janvier dernier, j’y suis retourné en mars, cette fois en itinérance entre Gao, Kidal, Tessalit et au-delà. A à peine 30 km de l’Algérie où j’écris ces quelques mots, je continuerai insh’Allahou dans les prochains jours à Taoudéni pour ensuite redescendre vers Tombouctou et me plonger dans le Gourma selon mes objectifs.
Ayant décidé, de ne plus faire passer les intérêts du Mali avant les miens, en tout cas jusqu’à ce que j’arrive au bout de mon processus de reconstruction morale, sociale et économique, j’avais fermement décidé de ne rien verser au débat national pour l’unique raison que je ne suis pas ici pour ça. Mais compte tenu de la dynamique endogène et exogène fulgurante que la problématique de l’épineuse question du Nord-Mali a prise depuis quelques semaines dans notre pays, je ne peux m’empêcher de soumettre quelques idées sommaires à votre appréciation en guise de contribution à notre effort commun de réflexion et d’actions pour sauver notre mère patrie. Oooh qu’il est difficile d’être indifférent quel que soit sa situation de détresse et de colère, amour de la patrie quand tu nous tiens ! Dans ce qui suivra, je donnerai quelques informations générales, dresserai quelques constats et terminerai par une conclusion.
1-Les informations générales : Vie de conditions inhumaines…
Quand vous parcourez le tronçon Gao-Kidal-Tessalit en vous donnant le temps d’observer et d’échanger avec les gens, même si vous avez une pierre à la place de votre cœur, vous ne pourrez échapper à un effondrement au nom de l’humanisme simplement tellement nos populations souffrent dans ces zones. A la limite, elles vivent dans des conditions infrahumaines. J’ai eu la chance par le passé, de parcourir toutes les régions du centre, du sud et de l’ouest malien, souvent jusqu’aux villages et hameaux mais je vous assure que les conditions existentielles ne sont nullement pareilles dans le Nord-Mali. Manger et boire, qui sont les exigences de la survie humaine constituent un luxe dans cette zone. Je vous épargnerai du déficit sanitaire, de logement, d’éducation, d’infrastructures etc. Les deux (02) maladies auxquelles tout le monde est presque exposé sont la colopathie fonctionnelle et la mal nutrition. La première est la conséquence de la constipation chronique prolongée pouvant se terminer par un cancer du côlon et la seconde est causée par la mauvaise qualité du peu à consommer disponible. L’organisme humain ne produisant aucune vitamine, les oligo- éléments nécessaires à son maintien doivent être absorbés par ce qui est bu et mangé… L’absence d’activités socioéconomiques pour les jeunes ne donne d’autres choix à ces derniers que de s’adonner à des actions de défoulement et de décharge émotive : Cigarette, drogue, kamikaze de motos et de voitures, crépitement des armes à l’air libre ou l’or des cérémonies de mariages etc. Dans cet environnement social où les individus font face à la fois aux adversités de la nature et aux austérités de la vie, il m’a été impossible de ne pas me poser au moins trois (03) questions : 1-Depuis quand l’Etat du Mali est absent de ces zones ? Ce qui est certain pas depuis 2012 tout près. 2- Où sont partis tous ces milliards dits investis au nord depuis des dizaines d’années maintenant ? 3- Pour qui et pour quels intérêts se bat réellement la quasi-totalité de ces personnes physiques et morales à Bamako et sur les réseaux au nom des populations du nord dont les vies ne ressentent aucun impact d’épanouissement constatable issu des luttes livrées en leur nom ? Pire, quand vous-vous rendez dans les villages ou villes d’origines de beaucoup de ces leaders vous serez à la fois surpris et stupéfait par le fait qu’ils n’ont absolument rien réalisé non seulement pour leurs propres familles à fortiori leurs communautés. Pendant ce temps, ils savourent les délices de la vie citadine à tel enseigne que leur langue maternelle commence même à les échapper. Je n’oublierai pas cette histoire qui m’a été narrée par un jeune opérateur économique à Gao : « Un de ses amis, travaillant aussi à Gao, a investi dans un projet de développement local sur fonds propres dans son village natal non loin de là. L’élu de sa circonscription ayant appris cette nouvelle, l’a appelé de Bamako en lui tenant les propos suivants : Jeune frère, tu as commis une grosse erreur. Tu devrais investir en mon nom et récupérer ensuite ton argent auprès de moi avec la facture qui te plairait. »
Nous voici ainsi au cœur de la véritable arnaque et escroquerie politico-sociale dont se servent certains maliens pour bénéficier des avantages et des privilèges sociopolitiques et économiques dans la capitale et ailleurs au nom d’autres maliens considérés comme leurs parents, qu’ils traitent paradoxalement le plus souvent avec dédain et mépris.
2-Les constats :
N°1 :
Il n’y a pratiquement pas de problèmes entre les populations dans leur commerce humain de tous les jours dans ces zones. N’importe quelle personne peut emprunter un transport en commun à Gao pour se rendre à Kidal ou à Tessalit. A part quelques tracasseries au niveau de certains postes de contrôles tenus par des mouvements armées où on vous exige de payer 1000 ou 2000 francs CFA, ce qui existe d’ailleurs partout au Mali, vous n’avez rien à craindre. Et tenez vous bien, au contrôle des pièces, que vous présentiez un passeport malien, une carte nationale d’identité malienne ou une carte NINA, vous n’avez point à être inquiété. Le ridicule à ces points, c’est que vous constaterez des dizaines de ressortissants Soudanais, Tchadiens, Nigérians, Nigériens etc venus pour de l’orpaillage et qui sont munis de cartes NINA, de cartes nationales d’identité malienne pendant qu’ils sont incapables de prononcer une phrase simple et courte dans une des langues parlées au Mali. C’est terrible… A votre arrivée à Kidal, vous remarquerez qu’il y a plus de Kayesiens, Ségoviens, Sikassois, Mopticiens etc. de « peau noire » là-bas que de Kidalois d’origine de peau « claire. » bref, c’est l’Etat qui est visé en premier par le conflit du Nord et non les populations même si ces dernières en subissent le plus souvent les effets collatéraux.
N°2.
Je suis les débats sur le projet de création de polices locales. Je dois vous avouer que ça me fait beaucoup rire.
L’évocation de la police renvoie à la sécurité des biens et des personnes. N’est-ce pas ? Eh bien ! J’ai l’honneur de vous informer qu’il y a plus de sécurité à Kidal et à Tessalit qu’à Bamako.
« Si vous commettez une infraction, un délit ou un crime à Kidal, même si vous élisez domicile entre des rochers, on vous trouvera et vous présentera au Cadi qui vous jugera conformément à la Charia sans prise de partie. » Mon interlocuteur se précipita pour apporter la précision qu’il ne s’agit pas de la charia version Iyad, le natif de Bokhassa dans la commune d’Abeibara…
Vous pouvez stationner votre véhicule dans n’importe rue de Tessalit, les vitres baissées clé au contact, rentrer chez l’ami ou le parent d’à côté, y passer la nuit et vous pouvez être certain que le lendemain, vous retrouverez votre engin et son contenu intacts. Que ça soit à Kidal ou à Tessalit, lorsqu’on t’appréhende à une certaine heure de la nuit, tu es conduis par la patrouille au commissariat pour interrogatoire. Dans la plupart des cas, tu y passe la nuit pour ta propre sécurité et tu es libéré au lever du jour sans aucune contrepartie même si souvent tu t’acquittes d’une amende selon les cas.
L’ordre et la justice règnent ici…
A mon séjour à Tessalit (transmettez mon bonjour au ministre de la Sécurité et dites-lui de ma part que sa sœur aînée est une dame suffisamment gentille), un homme imprudent a eu le malheur de donner une gifle à son épouse lors d’une dispute. La dame lui a trainé devant le commissariat local et je pense que l’époux regrettera cet acte toute sa vie…Je ne suis pas en train de dire qu’il n y a aucun cas de banditisme, de brigandage ou de razzia dans ces zones, mais le constat est que des mesures sont prises par les mouvements armés pour sécuriser les biens et les personnes. CMA et Plateforme à Kidal (le commissariat de Kidal est tenu par ces 02 mouvements) et CMA à Tessalit. C’est pourquoi, tout le boucan entretenu autour de cette fameuse loi de création de polices locales est simplement inutile à mon avis. Que la loi passe ou pas, la réalité du terrain est ce qu’elle est. D’ailleurs, le fait qu’elle passe ne permettrait-il pas à la République d’avoir un droit de regard sur ce fait ? Bon enfin, j’ignore aussi son contenu.
N°3 : Trop d’armes dans les concessions…
De Gao à Kidal jusqu’à Tessalit, vous verrez rarement une concession dans laquelle vous ne trouverez pas d’armes, légères ou lourdes ou les deux (02) à la fois. J’en profite pour dire à ceux qui pensent que la solution à cette crise doit passer par la guerre, de savoir raison garder et de mettre beaucoup d’eau dans leurs boissons. On ne tient de tel propos que lorsqu’on est complètement ignorant des réalités du terrain. Vous n’avez aucune idée de la façon dont les gens sont armés ici, Bilahi ! Pas armés jusqu’aux dents, mais des orteils aux cheveux. Ce n’est pour intimider personne ou pour propager de la peur dans les rangs de nos forces de défense et de sécurité, car des personnes négatives pourraient penser ainsi. Je suis en train de vous parler de ce que je constate de visu tous les jours. Pour ceux d’entre vous qui ne le savent pas, j’ai toujours eu de la passion pour les métiers des armes et j’ai tout fait dans la vie pour devenir militaire sans succès. Donc, ces phénomènes ne passent pas inaperçus pour moi, ne m’impressionnent pas et ne me font pas trembler non plus. Mon propos n’a d’autre objectif que de convier les uns et les autres à explorer à fond nos expertises intellectuelles, politiques et sociales pour trouver les voies et moyens les mieux appropriés et les plus stratégiques afin de résoudre nos problèmes qui ne sont point au-dessus de notre intelligence collective.
Secundo, la guerre ne fera qu’approfondir le fossé de la mésentente entre les 02 importants mouvements armés dans la zone à savoir la CMA et la Plateforme dont les responsables et acteurs sont en réalité des parents, frères, amis et cousins.
Au moment les plus atroces du conflit, voilà des gens qui se faisaient même la guerre, c’est-à-dire s’entretuaient, fraternellement. Un combattant de la plateforme pouvait tenir le dialogue suivant par téléphone avec un combattant de la CMA à la veille d’un assaut :
CP: Maye Djan mon frère
CC: Maye Djan dou han, Labass?
CP: Al Kair, Maa Akola? Aywa demain nous arrive hein
CC : Hamdoullah, Aywa Khalas, vous allez voir ce qu’on va vous réserver
CP: Aywa Khalas salaam alaykoum.
Il y a quelques jours, un jeune tamasheq me racontait qu’il a été témoin de deux (02) frères, de la même famille, qui se sont tirés dessus car appartenaient à des factions différentes de groupes armés.
Comment pouvez-vous pensez qu’en dressant des individus d’une telle galaxie communautaire les uns contre les autres vous parviendrez à une paix durable ?
N°4 : Kidal, Tessalit et Gao vivent au rythme de l’Algérie
Kidal et Tessalit et même Gao dans une certaine mesure vivent au rythme de la vie Algérienne. Les denrées de premières nécessités, les matériaux de construction, le carburant, les biens et meubles corporels, les médias, l’organisation sociale, la monnaie locale, les soins intensifs pour les malades, les évacuations sanitaires brèves tout ce qu’il faut pour vivre est Algérien. A mon avis c’est l’enjeu le plus important de la crise du nord. Comment dans l’absence totale de tous les symboles de souveraineté de l’Etat malien dans ces zones, combinée à la proximité et même à l’imbrication de ces populations à l’économie et à la culture d’un pays (l’Algérie) dont les contours sont très peu compris par leurs concitoyens avec lesquelles ils partagent à la fois les mêmes espaces territoriaux et liens sociaux , notre ingénierie sociopolitique peut nous permettre de maintenir nos compatriotes du nord dans un lien d’appartenance solide à l’organisation socioculturelle et politique malienne avec moins de méfiance entre les uns et les autres ? Voilà l’équation à résoudre par nous tous, politiques et société civile.
Ainsi, ma conviction est que les priorités aujourd’hui pour le Nord-mali, en tout cas spécifiquement pour Kidal et Tessalit, ne sont ni la présence de l’armée malienne, ni celle de l’administration bureaucratique mais se situent ailleurs.
Il y a sept (07) actions concrètes à poser qui auront comme conséquence d’accélérer et de la façon la plus efficace, le retour effectif des services de l’Etat, des forces de défense de sécurité et autres dans le Nord-mali sur des nouvelles bases qui permettront de cimenter notre appartenance commune à la République en vue de finir définitivement avec ces cycles récurrents de rebellions dans notre pays dont tout le monde est pratiquement las. Ne comptez malheureusement pas sur moi pour les énumérer et les commentez. Depuis 2009 à travers la Coalition Patriotique pour le Mali (CPM) héritée du Professeur feu Dialla KONATE, jusqu’au Mouvement Tabalé qui nous rassemble aujourd’hui, hommes politiques et acteurs de la société civile nous ont toujours volé nos idées au profit de leur ascension sociale et politique tout en nous considérant comme la cinquième roue de la charrette. Ç’est désormais révolu à jamais surtout que j’en fais déjà assez à travers cette adresse.
N°5 : L’écrasante majorité des populations du nord ne jurent que par le Mali
Ça vous paraitra peut-être incroyable mais pour autant c’est la vérité.
L’écrasante majorité des populations du nord, des acteurs et responsables de l’ensemble des groupes et mouvements armées au plus haut niveau, sont pour un Mali réconcilié et uni. Il faut intégrer l’extrême gravité et la profondeur de la crise de 2012, prendre en compte ces séquelles psychotiques, physiques et matérielles associées à celles regrettables de la visite d’un ancien Premier Ministre, avec ces rancœurs et rancunes, toutes choses qui ont installé une grande méfiance entre toutes les parties. Ne pas aussi perdre de vue que cela fait quand bien même bientôt 10 ans que malgré l’absence des services de l’Etat les communautés sont arrivées à survivre au prix de souffrances et de sacrifices énormes, ce qui pourrait les conforter dans une certaine idée selon laquelle avec ou sans Etat ils s’en sortiront d’une façon ou d’une autre. Il faut donc de la patience et de la compréhension.
Conclusion : D’énormes sacrifices de la part des maliens…
J’ai fait économie des détails qui nous renvoient à la géopolitique de cette crise pour ne pas être assez long.
L’attitude récente de certains partenaires financiers de conditionner leur aide à notre armée à la clarification des fonds engagés dans la Loi de Programmation Militaire , le retrait des USA d’Afghanistan et leur politique de non financement de la lutte contre le terrorisme dans le sahel, les nouvelles responsabilités militaires et stratégiques de l’Allemagne chez nous, les fermetures annoncées des bases de Tessalit, Kidal et Tombouctou pour 2022, les manifestations çà et là appelant à la présence Russe dans notre pays et au soutien de la relecture de l’accord de défense entre le Mali et la France, les assises récentes de Kidal qui ont conduit à la rentrée de l’armée malienne dans cette ville et à Tessalit, constituent tous en réalité les mêmes éléments du nouveau puzzle géostratégique pour le sahel et dont la maitrise des tenants et des aboutissants exigera beaucoup de savoir de savoir-faire, de savoir être des autorités en place mais surtout d’énormes sacrifice de la part de tous les maliens. Sommes-nous prêts ? Il y a une forte interconnexion entre les phénomènes internes et externes dont le décryptage est à l’actif de la théorie sociologique fonctionnaliste.
Pour finir, nous devons savoir que nous subissons les conséquences de la faillite de notre système de gouvernance depuis fort longtemps. Ça nous a couté très cher et nous n’avons pas encore fini de payer la facture. Assumons-nous donc sur toute la ligne. Quand Iknan Ag Souleymane disait il y a quelques jours au CNT « …Est-ce que VOUS le Mali… », il n’y a pas de ton plus clair pour nous alerter sur l’extrême gravité et la persistance de la crise de l’Etat-Nation dans notre pays. Faisons en sorte que les dégâts soient limités maitrisés en nous éloignant des aprioris, des idées reçues, des préjugés et de la suspicion au risque que notre destin politique ne nous échappe complètement et pour de bon.
Unir nos forces pour des élections crédibles, justes et transparentes…
Le seul et vrai défi à relever aujourd’hui est de nous battre afin qu’aux prochaines élections nous puissions donner la chance à notre pays d’avoir des femmes et des hommes aux affaires qui incarneront une nouvelle vision politique de rupture intégrale et radicale d’avec le système de gouvernance des 30 dernières années afin de tourner la page de la 3ème République pour la 4ème qui doit accoucher des Assises Nationales Souveraines qui devront être organisées et réussies par la Transition actuelle qui n’a aucun droit à l’échec .
Dans ma traversée du Sahara et du désert, je formule de ton mon cœur les sincères vœux afin que le Mali retrouve sa stabilité avec des populations réconciliées pour nous permettre d’affronter les défis auxquels nous sommes confrontés.
Fabou KANTE
Président de la CPM (Coalition Patriotique pour le MALI)
Président du Mouvement Tabalé,
Ambassadeur de la Paix depuis 2001.
Source: Mali Tribune