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Tribune : Le dysfonctionnement est général

Comment résumer mon analyse de la situation actuelle du Mali en métaphore ? Je dirais qu’on me demande de choisir entre le paludisme et le sida. J’ai déjà le palu à un stade avancé au point que ma vie est en danger. Je préfèrerais guérir de ce palu sans attraper le Sida.

Notre cher pays dysfonctionne à tous les niveaux. Tellement d’exemples !!! Les partis dits de l’opposition ne nous ont-ils pas enlevé toute possibilité de sanctionner la gestion d’IBK en faisant des alliances avec des partis de la majorité pendant les élections législatives de 2020 ? Comment Timbiné s’est trouvé à la présidence de l’Assemblée nationale ? Est-ce que des gens n’ont pas voté pour le mettre au moins au deuxième tour et permettre à la présidente de la Cour constitutionnelle d’abuser de ses pouvoirs ? Est-ce qu’une centaine de députés, en totale possession de leur libre arbitre, ne l’a pas choisi ? Est-ce que les syndicats des enseignants ont dépensé autant d’énergie à assainir le secteur de l’éducation qu’ils l’ont fait pour obtenir la mise en œuvre de l’article 39 ? Comment répondrait l’archiviste de l’ORTM quand un chercheur viendrait dans quelques années pour consulter les archives en lien avec la marche du 5 juin 2020 ? Est-ce qu’un jour on a vu une association de défenseurs d’usagers publics se battre contre le racket des policiers sur la route ?… Je pourrais écrire plusieurs livres avec ces questions sur notre dysfonctionnement. Et Dieu sait que notre pays est à terre !!! Mais nous ne disposons plus de beaucoup d’outils pour sortir de là par le haut.

Nous disposons d’une fiction d’institution. Nous pouvons l’utiliser pour guérir du palu. D’abord un bon traitement pour retrouver nos forces, puis un bon assainissement de la maison pour empêcher les moustiques de revenir et retransmettre le palu.

C’est là que le discours d’IBK ce mardi 16 juin au CICB et la proposition de Soumeylou Boubeye Maïga me semblent sages et pourraient nous permettre de mettre les bases d’un redémarrage et d’une mise à niveau intelligents du logiciel Mali. Nous aurions une forme de transition de 3 ans, sans mettre à bas nos institutions, pour travailler à la refondation du Mali. Nous pourrions ainsi prendre le temps de sérieusement questionner le fonds de notre dysfonctionnement général.

Les Maliens ne se parlent plus. Chacun est dans son monologue. Si nous choisissons le Sida, nous ouvrirons la boite de pandore : du désordre sur du désordre. La fiction d’institution qui nous permet pour l’instant un minimum de lien structurel ne sera plus. Tout le monde va vouloir la place du calife. Ce serait pire qu’en 2012 dont on ne finit pas de payer la facture. On perdra officiellement Kidal. Le centre restera un western. On va perdre les 10 prochaines années à réapprendre à nous parler. J’avais dit la même chose quand on fragilisait ATT en 2012. On m’a rétorqué qu’on ne verra pas pire que sous ATT. Ça fait presque 10 ans qu’on voit pire que sous ATT. Là on continue à me répéter la même chose. Si on refait la même erreur on verra pire que sous IBK !!!

Si je suis IBK, je vais au bout de mon discours du mardi 16 juin. Je dissous l’Assemblée nationale et trouverais une formule légale pour renouveler la Cour constitutionnelle. Je choisirais Tiébilé Dramé ou Modibo Sidibé (ou une personnalité de ce niveau de compétence et de consensus) comme Premier ministre pour coordonner l’action du gouvernement d’union nationale. J’entourerais le Premier ministre de 5 ministres d’Etat : un ministre d’Etat chargé de l’Education, un ministre d’Etat chargé de la Défense, un ministre d’Etat chargé de la Justice, un ministre d’Etat chargé des Affaires étrangères et de l’Accord pour la Paix, un ministre d’Etat chargé de la Culture et de la Construction citoyenne. Le reste du gouvernement sera constitué de 50 % de techniciens et de 50 % de politiques. Toute personne qui accepte d’entrer dans ce gouvernement doit s’engager à ne postuler pour aucune fonction électorale (président, député, conseiller communal) en 2023.

Je mettrais en place une Assemblée constituante chargée d’élaborer une nouvelle constitution à qui je confèrerais les missions de contrôle gouvernemental. Au-delà, des urgences, cette forme de transition doit procéder à une franche rupture indispensable au renouveau : Quels qu’ils soient, les chemins de l’avenir ne s’ouvriront pas sans que le pays ne se soigne d’un cancer qui empoisonne toutes les initiatives publiques ou privées : la corruption. Le mal est si profond, si répandu, si accepté ; il touche tellement de gens, du ministre au simple fonctionnaire, du simple fonctionnaire à sa lointaine cousine du village, que le remède doit être d’une nature complètement nouvelle. Je demanderais qu’on efface l’ardoise. Cela ne peut concrètement se faire sans un coup d’éponge sur le passé. Je proposerais une amnistie générale des délits financiers et violences politiques du passé. C’est très injuste. Mais le mal est tellement profond qu’on ne peut l’éviter. C’est de cette façon que nous pourrons repartir sur de nouvelles bases, nous faire à nouveau confiance. Et une Conférence nationale du pardon doit mettre en œuvre ce coup d’éponge du passé, montrer clairement nos errements.

Construire le “hóron“ d’aujourd’hui, le citoyen malien du 21ème siècle : Cette transition doit mettre en place les bases de la construction du “hóron“ malien du 21ème siècle. Il est entrepreneur ou employé, sérieux, responsable, droit, courageux, autonome, solidaire, engagé pour la communauté, informé des enjeux de sa famille, de son quartier, de sa commune, de son pays et du monde. Il définit son présent par le futur à construire en commun et non par les errements du passé. Il sera la principale matière première de la société harmonieuse que nous rêvons pour le Mali.

Inventer de nouvelles formes de solidarité ; Il nous faudrait accepter que notre forme de solidarité, organisée à partir de la famille, des proches, de la religion, de l’ethnie …, a atteint ses limites. Elle est d’ailleurs une des sources acceptées de notre corruption. La corruption d’un cadre est facilement acceptable ou encouragée par la société elle-même quand il paie régulièrement les ordonnances médicales du cousin et autres connaissances. Le cadre honnête est facilement mis au banc de la société parce qu’il participera peu aux frais “sociaux“, malgré sa place. Je proposerais de sortir de cette situation ambivalente en inventant de nouvelles formes de solidarité qui couvriront le maximum de corps de métiers et de sans-emplois : couverture médicale, retraite, etc.

Voilà un début de proposition dans le débat actuel. En espérant qu’on va sortir des passions partisanes et prendre conscience que nous avons tous la responsabilité de sortir le Mali de là.

Je vous propose de lire mon essai “on ne nait pas Banyengo, on le devient“. Il est plus précis dans l’analyse de notre situation et propose plusieurs pistes d’actions.

Avec mes excuses à ceux que j’ai désobligés

Alioune Ifra NDiaye

Mali Tribune

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