Sur le lieu d’une tuerie, le président malien récuse tout « conflit interethnique »
Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta a récusé toute notion de « conflit interethnique » et promis la confiscation des armes illicites dans le centre du pays ensanglanté par les violences entre communautés, lors d’un déplacement dans un village dogon frappé par une tuerie.
Depuis l’apparition en 2015 dans cette région du groupe jihadiste du prédicateur Amadou Koufa, recrutant prioritairement parmi les Peuls, traditionnellement éleveurs, les affrontements se multiplient entre cette communauté et les ethnies bambara et dogon, pratiquant essentiellement l’agriculture, qui ont créé leurs « groupes d’autodéfense ».
« Il n’y a aucune espèce de conflit interethnique dans notre pays », a déclaré le président Keïta, lors de sa visite dans le hameau de Sobane Da, près de Bandiagara, où une attaque dans la soirée du 9 juin a fait 35 morts, dont 24 enfants.
Il a en revanche reconnu « des manipulations et des actes odieux aux fins de déstabiliser le Mali », appelant à un « sursaut salvateur » de tous les Maliens.
Les violences dans le centre du Mali avaient culminé avec le massacre le 23 mars, attribué à des chasseurs dogons, de quelque 160 Peuls, dans le village d’Ogossagou, près de la frontière avec le Burkina Faso.
Lors d’une rencontre avec les habitants, M. Keïta a annoncé le « désarmement de tous ceux qui détiennent illégalement les armes », sous peine de sanctions. Il a mis en garde les jeunes contre la tentation de la vengeance. « N’acceptez pas de vous enrôler dans une milice quelconque », leur a-t-il lancé.
L’attaque n’a pas été revendiquée, mais des habitants ont dit soupçonner des Peuls venus de localités voisines et présumés appartenir à des groupes jihadistes.
Arrivé à bord d’un hélicoptère de la Mission de l’ONU au Mali (Minusma), avec notamment la cardinal Jean Zerbo, archevêque de Bamako, et plusieurs ministres, dont celui de la Défense, M. Keïta s’est aussitôt dirigé vers la fosse commune où les 35 corps ont été inhumés.
Là, Mgr Zerbo a prié pour les victimes, en présence du chef de l’Etat. La population du village se compose essentiellement de catholiques, portant le même nom de famille, « Dara », alors que les Maliens, toutes communautés confondues, sont très majoritairement musulmans.
– Enquêteurs de l’ONU sur place –
Selon un enseignant de la localité voisine de Sangha, qui assistait à la visite, Moussa Touré, la population a été « bouleversée » par l’attaque des « terroristes ». « Mais là où ils ont échoué, c’est qu’il s’attendaient à déclencher une guerre civile », a-t-il dit à l’AFP.
Par ailleurs, la Minusma a annoncé jeudi soir avoir dépêché dans le village « une équipe composée d’enquêteurs de sa division des droits de l’homme et de la protection, mais aussi de la police des Nations unies et de son unité de police technique et scientifique ».
Le gouvernement a proclamé mercredi un deuil national de trois jours et révoqué le gouverneur de la région de Mopti (centre), où se concentre l’essentiel des violences dans le pays, le général Sidi Alassane Touré.
Quelques heures auparavant, une nouvelle attaque visant deux villages essentiellement dogons du secteur de Bankass, plus au sud, a fait au moins deux morts et des blessés, selon un élu local et une source de sécurité malienne.
Lors d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU mercredi, le chef de la Minusma, Mahamat Saleh Annadif, a jugé que « le cycle infernal de la violence devait être arrêté » afin d’éviter que « chacun ne se fasse justice par lui-même ».
Le ministre malien des Affaires étrangères, Tiébilé Dramé, a pour sa part réclamé « une présence accrue » des Casques bleus dans le centre du pays. « Cette présence accrue est la condition du succès du processus politique que nous allons engager dans les prochains jours », a-t-il ajouté, sans autre précision.
Mais il a demandé que ce redéploiement ne se fasse pas « au détriment des régions du Nord » où les opérations militaires, notamment de la force française Barkhane, continuent à se dérouler.
Le nord du Mali était tombé en 2012 sous la coupe de groupes jihadistes, en grande partie dispersés par une intervention militaire lancée en janvier 2013 à l’initiative de la France, qui se poursuit.
Mais des zones entières échappent au contrôle des forces maliennes, françaises et de l’ONU, malgré la signature en 2015 d’un accord de paix censé isoler définitivement les jihadistes.