Soldats morts au Mali : un tournant dans la guerre au Sahel ?
ANALYSE. Au-delà de l’émotion suscitée par cet événement tragique, quelle est désormais la stratégie des pays alliés pour stopper la propagation djihadiste ?
Par Patrick Forestier
La perte de treize militaires français dans le crash de leurs deux hélicoptères marquera sans doute un tournant dans la guerre que mène la France au Sahel. C’est certes un crash qui s’est produit au Mali, mais qui n’est pas dû à la météo ou à un problème technique comme on l’entend d’habitude dans les catastrophes aériennes. Ni même un accident entre deux hélicoptères comme le qualifie le ministère des Armées dans son communiqué mais, comme l’a justement précisé son chef d’état-major le général Lecointre, la collision entre deux appareils en opération.
Ce que l’on sait
Un Cougar et deux Tigre progressaient de nuit en vol tactique, épousant le relief à dix mètres du sol pour appuyer leurs camarades au contact des terroristes islamistes, qui n’hésitent pas à tirer sur les hélicoptères français, comme cela s’est déjà produit dans le passé. Dans ces cas-là, le danger vient aussi de la nature de ce type de vol, qui permet de surprendre l’ennemi tous feux éteints en volant à saute-mouton au-dessus des arbres et des mouvements de terrain. Quand le bruit des pales se fait entendre, l’appareil est déjà passé. Une tactique parfaitement maîtrisée par les pilotes du 5e régiment d’hélicoptères de combat.
Chaque opération est toutefois différente. Dans ce cas-là, les pilotes devaient tenir compte à la fois de l’ennemi, mobile en pickup et à moto, et des commandos français au sol, qui ne doivent pas subir de tirs amis de la part des hélicoptères au cours d’une imbrication entre djihadistes et soldats qui aurait pu se produire pendant un autre engagement.
Le premier s’était déroulé vers 17 h 15 entre les commandos et ce groupe djihadiste, qui s’était égayé pour semer les Français. Un pick-up, en particulier, a réussi à s’échapper. Pour le retrouver, deux hélicoptères de combat arrivent sur la zone à la nuit noire, qualifié de niveau 5 dans la classification militaire. Armé de roquettes, de missiles et d’un canon de 30 mm, le Tigre est en mesure de détruire ce véhicule, recherché sur cet axe aujourd’hui menacé entre Gao et Ménaka. Pour trouver ces terroristes probablement de l’État islamique dans le grand Sahara, des Mirages 2000 sont venus renforcer le dispositif, coordonné par un chef de mission embarqué dans un hélicoptère Cougar, qui survole aussi le périmètre. Cet appareil a une double mission : la coordination de la traque et l’extraction immédiate en cas de pépin pour les commandos au sol. L’autre soir, la procédure était la même au cas où : un posé d’assaut pour soit débarquer ses hommes du groupement commandos montagne afin d’extraire un soldat blessé ou isolé, soit l’hélitreuiller avec une élingue. Des moments de grande tension, même si ces professionnels savent gérer le stress. Mais la collision reste le paramètre peut-être le plus difficile à gérer lorsque deux appareils évoluent dans un même secteur, par une nuit d’encre avec la menace de se faire abattre. Un contexte exceptionnel, qui est le lot de ces pilotes hors du commun et des commandos qui assument les risques sans faillir, hier en Afghanistan, aujourd’hui au Mali. Avec le danger inhérent à ce combat mortel. Lorsque le Cougar heurte un des deux Tigre, ou vice-versa, le destin bascule pour ces jeunes héros. Une collision qui laisse peu d’espoir aux occupants morts pour leur pays, au nom d’une lutte contre le terrorisme qui risque toutefois de faire débat une fois passée l’heure du recueillement.
Les questions se multiplient
Mis à part l’émotion, légitime envers les familles, aucun questionnement n’était jusqu’ici vraiment à l’ordre du jour, côté gouvernement comme opposition. Alors que dans cette guerre au Mali présentée à Paris comme le rempart contre le terrorisme censé protéger l’Europe, le soutien des alliés occidentaux reste toujours très faible. Aucun n’a envie en fait de rejoindre sur le terrain un combat qui ressemble désormais à un véritable bourbier où n’existe aucune vraie solution pour sortir vainqueur de cet engagement. Mis à part le temps très long qu’il faudrait pour l’emporter, un pari répété à l’antienne par les ministres, et les états-majors qui n’ont guère d’autres choix, rien n’est proposé pour atteindre des buts de guerre plus précis et envisager une solution plus claire d’ensemble, qui ne se résume pas à une opération d’intervention antiterroriste au coup par coup. Aujourd’hui, l’engagement français au Sahel, où le renseignement semble faire défaut, ressemble pourtant à une lutte « antisubversive », un mot tabou dans les armées et les cabinets ministériels depuis les événements d’Algérie, comme on appelait à l’époque la guerre dans ces départements français.
Scepticisme
L’autre difficulté est la politique menée par les autorités maliennes pour sortir de cette crise majeure qui les concerne au premier chef, et qui apparaît manquer de conviction et de choix assumé. Du coup, le gouvernement français, au fil des années, apparaît subir plutôt que d’initier avec une forte motivation des solutions politiques avec son partenaire qui traîne les pieds. Les accords d’Alger ne sont pas appliqués et le nord du pays reste sous l’emprise des rebelles touareg « présentables », mais qui poursuivent les mêmes buts que les groupes armés clandestins dont ils sont issus avec leurs clans familiaux respectifs. Leur objectif est toujours une séparation, ou du moins une sorte de fédération qui n’est pas vraiment discutée avec le pouvoir central à Bamako.
Vers un départ anticipé ?
Du coup, la France se retrouve entre le marteau et l’enclume, à essayer de « faire la police » entre les parties, dont une a muté en terrorisme islamique qui, a priori, ne menaçait pas directement la France. Emmanuel Macron a repris en fait à son compte les paramètres et les analyses commencés lors du quinquennat précédent en essayant de se sortir de cette fuite en avant, qui échappe désormais à tout contrôle. Pour rétablir dans le Gourma la situation sécuritaire, après les attaques au bilan très lourd contre l’armée malienne qui a perdu en un mois près de cent cinquante soldats, les hommes de l’opération Barkhane ont multiplié les engagements avant que les conquêtes des groupes terroristes, galvanisés par leurs succès, ne deviennent irréversibles, à moins de payer un très lourd tribut. Mais la mort des treize militaires français suscite déjà un légitime questionnement, qui pourrait être semblable à l’effroi qu’avait provoqué en 2018 celle des dix soldats français, et des vingt et un blessés, tombés dans une embuscade à Uzbin, en Afghanistan. Une tragédie qui avait marqué le tournant de l’engagement français dans ce pays, qui allait se terminer par un retrait ordonné fermement par Nicolas Sarkozy, alors président.