Situation sécuritaire au Mali : Quel avenir sans la MINUSMA?
Créée par la Résolution 2100 du Conseil de Sécurité de l’ONU du 25 avril 2013, pour appuyer le processus politico-sécuritaire dans notre pays, la MINUSMA est vue par bon nombre de Maliens comme un fonds de commerce et une force d’occupation étrangère de la Communauté internationale. L’application de l’Accord de paix qui est censée être l’une de ses occupations prioritaires marche à pas de tortue. Elle n’est qu’à 30% du taux d’exécution de sa feuille de route alors qu’elle devait être effective depuis 2017. Ce sont-là, entre autres, les propos exposés, hier, lundi 29 octobre, par Moussa Mara, ancien Premier Ministre d’IBK et membre de la Convergence des forces patriotiques contre le report des élections législatives. Lisez son analyse !
«La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) est devenue un acteur principal dans les dispositifs de résolution de la crise malienne. En cinq ans, elle s’est imposée dans le paysage politique, sécuritaire et socioéconomique du pays. Sa flotte aérienne permet de relier le Nord du pays au reste du Mali. Elle agit dans de nombreux domaines, jusqu’à l’assistance aux couches sociales et à la société civile. Les Maliens commencent à avoir le réflexe du recours à la MINUSMA pour un recrutement, une subvention ou encore un appui au processus électoral. Ses nombreux fonctionnaires font le bonheur des hôtels, restaurants et des propriétaires de logements. Ses installations ultras sécurisées de Bamako, Mopti ou Kidal font penser qu’elle est partie pour rester durablement dans notre pays, à l’instar d’autres missions comme la MONUSCO en République Démocratique du Congo.
Pourtant, la MINUSMA est une mission théoriquement éphémère et au statut provisoire. Sa durée d’intervention est limitée dans le temps et fixée, depuis 2013, à une année renouvelable. Au mois de juin, chaque année, des discussions ont lieu aux Nations Unies avant le renouvellement du mandat de la mission, demandé par les autorités maliennes comme cela est prévu et appuyé par les partenaires. Cette année, des débats accrochés et un renouvellement à minima ont été consacrés par la Résolution 2423, assortie d’instructions au Secrétaire Général de l’ONU de faire un Rapport présentant l’évolution de la situation, six mois après l’investiture du Président élu. Des débats auront, donc, lieu en 2019 en prévision d’une éventuelle reconfiguration de la mission. Ces changements par rapport aux autres années montrent bien l’agacement des Nations Unies face à la situation sur le terrain et le peu de progrès constaté. Les pressions supplémentaires et les délais qui se réduisent doivent alerter l’État malien à réfléchir sur l’avenir de cette mission. Cela d’autant plus que des raisons légitimes poussent à poser la question de son utilité et de son efficacité : le processus de paix qu’elle appuie fait du surplace, l’Accord de paix censé être appliqué totalement avant la fin de l’année 2017, ne l’est pas à 30% à fin 2018, la situation sécuritaire ne s’arrange pas, la paix a tendance à s’éloigner, la réconciliation n’est pas vraiment à l’ordre du jour et le tissu social est en train de se fracturer. À tout cela s’ajoute un contexte sociopolitique tendu, sans perspective d’amélioration à court terme.
Les voyants de notre pays sont plus proches du rouge que du vert, la Mission censée nous aider à nous en sortir est, donc, interpellée. Elle le sera sans doute lors des prochains débats sur sa propre situation. Malgré ses 12.000 soldats, ses milliers de fonctionnaires civils et paramilitaires et plus d’un milliard de dollars de Budget annuel, le moins qu’on puisse dire est que le Mali n’est pas si loin de la situation qu’il vivait en 2013, à son arrivée sur notre sol ! Le contexte international n’est pas favorable au maintien en l’état de cette mission, la principale menace venant du Gouvernement américain, premier contributeur à la MINUSMA et aux opérations des Nations Unies. Les Américains ont souci de faire des économies, de préserver l’argent de leurs contribuables et ne considèrent pas la situation malienne et sahélienne comme une menace internationale majeure. Ils agiront pour une reconfiguration de la mission vers une réduction de son envergure à défaut d’un retrait à court terme. S’ils n’obtiennent pas gain de cause, ils brandiront évidemment la menace de la réduction de leurs contributions aux Nations Unies, ce qui aura fatalement un impact sur les opérations de maintien de paix et donc sur la MINUSMA.
Il ne faut pas s’attendre à ce que d’autres pays riches suppléent les États-Unis ou volent au secours de la MINUSMA ; car, le Sahel n’est pas stratégique pour eux non plus. Il faut reconnaître, par ailleurs, que, depuis quelques mois, on constate un affaiblissement des groupes terroristes présents aussi bien sur les théâtres libyens que nigérians et sahéliens. Ils sont et seront à peu près contenus. La menace qu’ils représentent pour la communauté internationale baisse et baissera même s’il y a de fortes chances qu’elle reste endémique, notamment dans notre pays et pour longtemps. Nous devons anticiper une baisse d’intensité de l’intérêt et du soutien international, nous préparer à la réduction des moyens de la MINUSMA et à son retrait à moyen terme sans forcément que le G5 Sahel ou la force Barkhane soient en mesure de suppléer voire d’être plus efficaces qu’aujourd’hui. Nous devons nous préparer à une réponse sécuritaire et militaire, mais surtout politique face à ces situations prévisibles à court terme. La montée en puissance de nos forces, leur redéploiement sur le territoire et la restructuration de l’armée avec la mise en œuvre diligente de la Loi d’orientation et de programmation militaire, dans un contexte de transparence et de lutte absolue contre la corruption et les fraudes, sont incontournables, mais ne seront pas suffisants, loin de là !Il nous faut un nouveau contexte sociopolitique mobilisateur des Maliens et leur permettant d’accepter des sacrifices importants pour sortir le pays des difficultés.
Pour ce faire, les autorités de notre pays doivent s’astreindre à des efforts importants sur elles-mêmes, revoir leur grille de lecture et se hisser à la hauteur de la situation historique que vit le Mali en ce moment. Il est d’abord impératif de tenir un discours objectif, reconnaissant les difficultés économiques, sociales, politiques, sécuritaires et appelant l’ensemble des composantes de la nation à la mobilisation sur plusieurs années pour espérer sortir de l’impasse. Il faut, ensuite, fixer un cap clair qui permette aux Maliens de situer le plan de marche, la cadence à adopter ainsi que les objectifs à court, moyen et long termes. Ce cap contiendra la mise en œuvre sincère de l’Accord de paix, dans son texte et dans son esprit, la résolution des questions identitaires et religieuses, la refondation de l’Etat et de la Gouvernance publique dans un cadre d’équité entre les citoyens, les communautés et les territoires.
Il faut, enfin, adopter une démarche de rassemblement demandant à chacun des concessions, avec en premier lieu les dépositaires du pouvoir, pour convaincre du nouvel esprit dans lequel nous devons concevoir nos rapports sociopolitiques et engager la gouvernance publique de notre pays. C’est en mobilisant tous les ressorts de nos compatriotes et de ce vieux pays qu’est le Mali que nous puissions espérer avoir une chance de sortir notre pays des affres de la division, des troubles socio- politiques et de son implosion programmée, avec la MINUSMA ou pas, avec Barkhane ou pas et avec le G5 Sahel ou pas ! ».
Seydou Konaté
LE COMBAT