Le rapport de l’Onusida, paru à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre la maladie, pointe qu’en 2020, la pandémie de Covid-19 a pris le devant de la scène, reléguant le dépistage du sida et les traitements au second plan. Les objectifs des Nations unies de « mettre fin au sida en tant que problème pour la santé publique à l’horizon 2030 » semblent difficiles à tenir si les conditions ne changent pas.
Dans tous les pays, la lutte contre le VIH a pâti de la pandémie de Covid-19 à différents degrés et pour Winnie Byanyima, la directrice exécutive de l’Onusida, l’objectif de mettre fin au sida d’ici 2030 ne sera pas tenable dans les circonstances actuelles.
Sur toute la planète, l’épidémie de Covid-19 a perturbé à la fois l’accès au dépistage et l’accès aux soins. Dans l’ensemble des pays sondés, on a constaté 35% de dépistages en moins entre 2019 et 2020, 21% de cas de VIH diagnostiqués en moins, et 1,5 million de personnes infectées en plus.
Depuis 40 ans, l’épidémie de sida a tué plus de 36 millions de personnes dans le monde dont 680 000 en 2020. Si les conditions actuelles ne changent pas, l’OMS annonce 7,7 millions de morts pour la décennie 2020-2030.
Moins de dépistage, plus de contaminations
Pendant les confinements, les boîtes de nuit, les lieux de rassemblement ont été fermés dans de nombreux pays. Les gens ont aussi arrêté de voyager, mais rester chez soi ne signifie pas stopper toute activité sexuelle, au contraire, et les comportements à risque se sont multipliés.
En parallèle, la lutte contre le VIH s’est trouvée particulièrement perturbée lors des confinements du premier semestre 2020. D’une part, les programmes de prévention à destination des populations à haut risque ont mis du temps pour s’adapter – les services de réductions des risques pour les personnes usagères de drogues ont été interrompus dans près des deux tiers des 130 pays sondés. D’autre part, faute de dépistage, le nombre de nouveaux traitements a diminué et des personnes qui bénéficiaient déjà des traitements antirétroviraux ont subi des difficultés d’approvisionnement en médicaments.
Quant aux programmes de prophylaxie préexposition (PreP), qui protègent préventivement de la contamination (prise de médicament – Truvada – en complément du préservatif), ils se sont étendus en 2020 sans pour autant atteindre les objectifs mondiaux.
Des inégalités croissantes, un facteur aggravant
En 2020, la pandémie de Covid-19 a partout aggravé les inégalités sociales et économiques avec des conséquences sur la lutte contre le sida. « Les dommages plus larges causés par la pandémie – ressentis le plus durement par les populations déjà défavorisées – menacent de saper les efforts mondiaux visant à mettre fin à la pandémie de sida d’ici 2030 », peut-on lire dans le rapport de l’Onusida.
Selon le rapport du Forum économique mondial 2021, le Covid-19 a fait reculer l’égalité de genre d’au moins une génération. Des dizaines d’études ont documenté une augmentation de la violence à l’égard des femmes et des filles pendant la pandémie et « cette augmentation de la violence est associée à un risque accru d’infection par le VIH et à de moins bons résultats pour la santé des femmes vivant avec le VIH ».
En Afrique subsaharienne, pour l’année 2020, 63% des nouvelles contaminations concernaient des femmes. Dans cette région, 220 000 filles et garçons entre 15 et 24 ans ont été détectés positifs au VIH, et six nouvelles infections sur sept chez les adolescents âgés de 15 à 19 ans, concernent des filles. En cause, la fermeture des écoles, et l’accroissement des abus.
Plus de discrimination donc plus de contaminations
Les populations clés, les plus vulnérables au sida, que sont les usagers de drogues injectables, les travailleurs et travailleuses du sexe, les transgenres, les détenus, les homosexuels et les hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes se sont retrouvées une fois de plus marginalisées pendant la pandémie de Covid-19 en 2020, avec un risque accru de contracter le VIH.
Serge Douaumong, responsable de plaidoyer pour le groupe d’ONG Coalition Plus, cite le Cameroun où la loi punit l’homosexualité. La prévalence du sida y est de 3% sur l’ensemble de la population, mais de 37,2% chez les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes. « Plus il y a d’hostilité, plus il y a des lois qui pénalisent les pratiques des homosexuels, des travailleurs et travailleuses du sexe […], plus le VIH prolifère. Si on veut lutter contre le VIH, il faut absolument mettre en place des dispositifs pour combattre et limiter les abus envers ces populations, pour qu’elles puissent aller vers les services [de santé] sans crainte d’être arrêtées ou jugées, car il y a encore des pays où avoir sur soi des préservatifs constitue une preuve de l’homosexualité. »
C’est un combat pour la vie, contre les préjugés, contre les stigmatisations…
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Reprendre en main l’épidémie de sida
« Faire confiance aux communautés affectées s’est toujours avéré être une stratégie gagnante », peut-on lire dans le rapport de l’Onusida. Des décennies d’expérience et de preuves dans la lutte contre le VIH montrent que cela fonctionne bien quand ce sont les communautés elles-mêmes qui s’organisent pour lutter contre la désinformation, pour trouver les gens à risque ou encore distribuer les médicaments.
Pour atteindre les objectifs de 2030, l’Onudisa demande aux États de financer et soutenir des ripostes efficaces au VIH, et de les intégrer dans les systèmes de santé, de protection sociale, humanitaires et de ripostes aux pandémies. Pour le professeur Paul Farmer, cofondateur de l’ONG Partners in Health, la stratégie du Plan national rwandais (Rwanda HIV/AIDS targets), lancé en 2015, est une réussite en la matière.
L’Onusida rappelle que pour lutter efficacement contre le sida et les autres épidémies, cinq éléments sont essentiels et requièrent une plus grande attention de la part des dirigeants mondiaux : « (1) Des infrastructures dirigées par les communautés et basées sur les communautés ; (2) un accès équitable aux médicaments, aux vaccins et aux technologies de la santé ; (3) un soutien aux travailleurs en premières lignes de front sur la pandémie ; (4) les droits de l’homme au centre des réponses à la pandémie ; et (5) des systèmes de données centrés sur les personnes qui mettent en évidence les inégalités ».
À tous les niveaux, du local à l’international, il y a encore beaucoup à faire.
RFI