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Ségou : Les conducteurs de pinasse broient du noir

La crise sanitaire qui sévit dans le pays a sonné le glas de cette activité naguère prospère. L’appel à l’aide des acteurs reste sans réponse pour le moment

 

Entre le manque d’accompagnement, l’absence de touristes, la vétusté des embarcations, la baisse drastique de la clientèle et de revenus, les conducteurs de pinasses de Ségou ont perdu le moral et peinent à joindre les deux bouts. Le fleuve Niger a longtemps été le lieu de convergence culturelle. Il occupe une grande place dans la vie des pêcheurs, des agriculteurs, des éleveurs, des exploitants de sable, mais aussi des transporteurs fluviaux (piroguiers et pinassiers). Ces derniers sont des acteurs incontournables du transport fluvial et jouent le rôle de liaison entre les peuples à travers leurs engins flottants.

Il est 10 heures ce 30 mai. Sur les berges du fleuve Niger règne une ambiance électrique. Au milieu du brouhaha des moteurs et du braiment d’ânes, les dockers chargent les marchandises (sacs de ciment, de mil, d’huile, de sucre, de riz et bien d’autres produits alimentaires) dans de grosses pirogues équipées de moteurs hors-bord. La flopée d’enfants courent de gauche à droite, plus loin, quelques conducteurs de pinasses s’apprêtent à prendre le large sous un ciel grisâtre. Assis sur un tabouret, Mohamed Dicko, pinassier, papote avec son ami Souleymane Maïga, un gaillard à l’allure décontractée. Il accepte de nous accorder quelques minutes d’entretien sur son métier. Mohamed Dicko exerce cette profession depuis 12 ans.

C’est à Tonka, une commune située dans le Cercle de Goundam dans la Région de Tombouctou, qu’il aurait appris les ficelles du métier auprès d’Ousmane, son ancien patron. Son travail consiste à assurer le transport des biens et personnes sur le fleuve. Le déclenchement de la crise politico-sécuritaire de 2012 et l’interdiction par les chancelleries occidentales de la destination Mali comme lieu touristique à leurs ressortissants ont sérieusement impacté l’activité des promoteurs hôteliers et d’agences de voyages, les guides touristiques et pinassiers qui vivent depuis des moments difficiles. Selon Mohamed Dicko, dans le temps, les voyages ne manquaient pas et les affaires tournaient bien contrairement à nos jours où la situation va de mal en pis.

Tout de même, notre interlocuteur affirme qu’il lui arrive souvent de gagner 10.000 Fcfa par jour. «Sur ce montant, je retire 2.500 comme tarif de la location de pinasse et les frais du carburant. Le montant restant m’appartient», précise Mohamed Dicko. En période de crue, la navigation est plus contraignante pour les piroguiers et pinassiers. «Précisément, au mois d’août, nous allons jusqu’au village de Kala, niché sur l’autre rive du fleuve. Pour s’y rendre, nous faisons quelques déviations. Les passagers déboursent 200 Fcfa à l’aller. La clientèle a rétréci. Il est difficile de joindre les deux bouts», révèle notre interlocuteur.

Les conducteurs de pinasses travaillent de concert avec les agences de voyages et les guides pour le transport des touristes. Boureima Kassogué alias «Djigui Bombo» est guide touristique, fondateur de l’agence de voyage Papillon Reizen et détenteur de plusieurs pinasses. à l’en croire, on distingue plusieurs types de pinassiers. Certains assurent uniquement le transport de marchandises et de passagers. D’autres pratiquent la pêche, l’exploitation du sable et du gravier et enfin, il y a ceux qui transportent les voyageurs en les faisant découvrir le fleuve Niger et les merveilleux sites touristiques du pays. Selon Boureima Kassogué, depuis 2012, les pinassiers touristiques se sont brutalement retrouvés sur le carreau. «On en compte actuellement juste quelques-uns à Ségou, alors qu’auparavant, il y avait une trentaine», précise-t-il.

Mamoutou Touré travaille pour le compte de Boureima Kassogué. Si son moral est en berne en raison de l’absence de la clientèle étrangère et des vicissitudes quotidiennes de la vie, sa passion dévorante pour le métier de piroguier est restée intacte. «Autrefois, nous faisons le trajet avec les touristes de Ségou-Mopti en 4 jours, Ségou-Koulikoro en 3 jours, Ségou-Gao en 9 jours avec nos embarcations flottantes. à Ségou, nous allions à Markala, Kalabougou, Banankoro et au campement des bozos en une journée. Aujourd’hui, rien ne va plus. Il n’y a plus d’activités.

Les temps sont durs. Au lieu de s’amoindrir, les difficultés ne cessent d’augmenter du jour au lendemain», indique le pinassier Mamoutou Touré. Il ajoute qu’à un moment donné, l’arrivée d’une cohorte de touristes dans la Cité des Balanzans lui avait fait retrouver le sourire qu’il avait perdu il y a longtemps. Malheureusement, cet instant de plaisir et de retour au travail a été de courte durée à cause de la pandémie de la Covid-19. «Nous passons des jours et des mois sans pourtant apercevoir un touriste. Les incessants déplacements du chef de l’association des guides et piroguiers à la mairie de la Commune urbaine de Ségou en vue d’obtenir de l’aide ont été vains.

Déboussolé, il a fini par jeter l’éponge après deux mois d’attente. Chaque jour, c’était le même discours, on lui disait de revenir le lendemain», raconte Mamoutou Touré. Les prix des circuits de voyages restent inchangés. En l’absence de touristes, le jeune Touré conduit le bac, un engin utilisé pour faire traverser les personnes, véhicules, motos ou animaux d’une rive à l’autre du fleuve. Il est persuadé que seul le travail affranchit l’homme de la pauvreté. à midi, le soleil affirmait à présent sa victoire sur la grisaille que nous rencontrons Salif Tienta. Lui et son apprenti s’affairent à transporter du bois vers la pinasse dans un va-et-vient permanent.

Le front perlé de sueur, il indique que son travail est très éprouvant et n’hésite pas à le comparer à celui de l’âne. «Tous les jours, je me lève à 5h du matin. Ma journée de travail prend fin à 18h. De retour à la maison, les douleurs abdominales sont intenses», avoue Salif. Affaibli par l’âge, il nous confie son souhait de quitter ce travail. «Je suis extenué. à mon âge, il est difficile de faire ce genre de boulot, mais je n’ai pas le choix», explique-t-il, d’un ton désespéré. Un peu plus loin, sous un hangar, Kema Kampo et son jeune frère Lassiné sont préoccupés à réparer le moteur hors-bord de marque Suzuki endommagé après un périple sur le fleuve Niger.

Kema Kampo a plusieurs cordes à son arc. En plus d’être conducteur de pinasse et pêcheur, il répare toutes sortes d’appareils électroniques, et même des moteurs. «Chez un mécanicien professionnel, la réparation de ce moteur coûte 25.000 Fcfa. En moyenne, il me faut 4 mois pour regrouper cette somme. Je ne peux pas me permettre de payer une telle somme. C’est au-dessus de mes moyens, raison pour laquelle j’ai décidé avec l’appui de mon frère d’assurer la maintenance du moteur», souligne-t-il…

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