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Salif Keita, les voix d’un continent

Salif Keita signe Un autre blanc, sur lequel il s’est imprégné de la jeune génération du rap et a invité ses vieux amis. À 69 ans, le chanteur malien a annoncé que cet album, produit dans son studio de Bamako, serait son dernier alors même que sa voix porte toujours. Il fêtera en cette fin d’année ses cinquante ans de carrière.

La première surprise d’Un nouveau blanc, c’est d’entendre des clins d’œil à l’afro-trap et de s’apercevoir que la voix de Salif Keita a subi le traitement réservé aux chanteurs de r’n’b. « Cette fois-ci, on n’a pas eu de producteur. C’est mon album le plus africain. On l’a fait beaucoup plus proche de nous-même. On a essayé d’aller voir un producteur, mais ça partait dans le sens que je ne voulais pas. C’était un peu risqué », rigole-t-il. Alors, le chanteur a concilié le rap avec ce qu’il a fait jusqu’à maintenant, et s’est éloigné des expérimentations passées.

Outre la présence du rappeur d’origine guinéenne et sénégalaise MHD« dont tous ses enfants sont fans, du plus petit au plus grand », le grand Salif a fait appel à la star nigériane, Yemi Alade pour la chanson Diarawa Fa. Sur cette ballade, la chanteuse fait le pont entre une nouvelle génération africaine qui consomme la musique sur des smartphones, et celle de Salif Keita arrivé en France en 1983, après une carrière déjà riche au Mali et en Côte d’Ivoire.

Le prix à payer d’être albinos

Il est bien loin le temps où le jeune albinos jouait « les troubadours » dans les clubs de Bamako, et où il découvrait sa voix exceptionnelle au sein du Rail Band. C’est un musicien de 69 ans, rompu aux obligations du métier que l’on rencontre, et qui monte un peu le ton lorsque le propos ne lui convient pas. « Le rôle de l’artiste, c’est de dire les choses et de donner de l’amour, de rapprocher les gens et de coudre les draps humains. Maintenant, il y en a qui le font autrement. Mais on ne va pas parler de ça… La musique, c’est un couteau. Avec, tu peux piquer comme tu peux caresser », dit-il.

Son histoire est bien connue, cet « autre blanc » a payé très cher sa condition dans pays où, aujourd’hui encore, les albinos sont la cible de superstitions et de meurtres rituels. Rejeté du fait de sa couleur de peau, il n’a pas pu poursuivre sa carrière de maître d’école à cause de sa vue défaillante (1). Et c’est grâce à la chanson que le fils de nobles malinké a échappé au désœuvrement, son chant devenant son « cri ». Comment a-t-il vécu, ce chanteur qui n’aurait jamais dû l’être ?  A-t-il eu la peur au ventre ? « Peut-être que j’étais trop dur, mais je n’ai jamais eu peur d’aller vers les autres à cause de cela.  Au contraire, je m’impose toujours », répond-t-il.

L’aura de Salif Keita a débordé de la musique, notamment grâce à la fondation avec laquelle il défend la cause des albinos (2). Impliqué en politique, il s’est présenté aux élections législatives en 2007 dans son pays, le Mali, et pour les présidentielles de l’été dernier, le chanteur a soutenu la candidature de Soumaïla Cissé, le principal opposant du président Ibrahim Boubacar Keïta.

Dans Were were, il adresse d’ailleurs « une pique aux hommes politiques » en place et liste de grands leaders de l’histoire africaine. Le premier président du Mozambique, Samora Machel, le symbole de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, Nelson Mandela, ou même l’autocrate libyen Mouammar Khadafi, dont la figure a pu fasciné l’Afrique.

La sœur Angélique Kidjo

Salif Keita a aussi fait appel à ses vieux amis comme l’Ivoirien Alpha Blondy ou la Béninoise Angélique Kidjo, qui apparaît sur l’I Tarafo chanté en trio avec MHD. « I Tarafo, cela veut dire : ‘Tu es parti dire’. Je dis : ‘Tu es parti dire à mes parents qu’il ne faut pas m’accepter dans la famille.’ Cela parle de sales féticheurs qui racontent des mauvais trucs. Comme Angélique est une vraie maman, qu’elle connaît la place des femmes africaines, je lui ai demandé de venir chanter avec moi. Angélique Kidjo, c’est ma sœur », confie-t-il. Mais le duo le plus saisissant est certainement Gnamale, avec le groupe sud-africain Ladysmith Black Mambazo.

La star malienne l’a dit et répété, Un nouveau blanc sera son dernier album. Ce qui ne signifie pas qu’il va se retirer complètement de la musique, ou revenir à ses activités de cultivateur. « Une chanson, tu peux la faire en quelques jours ou en une semaine. Mais un album, cela prend des années. Il faut chercher les mélodies, trouver un sujet, les gens avec lesquels le faire », constate-t-il. En attendant, il devrait célébrer cinq décennies de carrière cette fin d’année. À l’aube de ses 70 ans, ce prince de la musique mandingue n’est pas près de se taire.
(1) Le fait d’être mal-voyant est souvent un handicap dont souffrent les albinos.
(2) La fondation Salif Keita pour les albinos, dont Salif Keita s’occupe aujourd’hui avec sa fille, Nantenin Keita, elle aussi albinos et championne de 400 mètres handisport.

Salif keita Un autre blanc (Believe/Naïve) 2018
Site officiel de Salif Keita
Page Facebook de Salif Keita

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