Révision constitutionnelle : IBK entre deux feux !
Sous la pression de plus en plus forte de la France, le président Ibrahim Boubacar Keïta a remis la révision de la Constitution en tête de ses priorités, alors que le Centre du pays s’embrasse. Mais des voix s’élèvent à l’intérieur du pays pour dire Non à la tenue d’un référendum qui ouvre indiscutablement la voie à la PARTITION DU MALI. Pressé de l’extérieur, désavoué à intérieur du pays, le président IBK pourrait, dans les jours à venir, se retrouver pris au piège…
En effet, réviser la Constitution, surtout dans le contexte sociopolitique actuel, sans un minimum de consensus de la classe politique et de la société civile autour de ce projet, est un pari très risqué pour le président IBK. Et pour cause : plusieurs partis et mouvements de la société civile, ainsi qu’une large partie de l’opinion publique sont, d’ores et déjà, hostiles au projet de révision constitutionnelle, qui pour eux, une fois adopté consacrerait de fait, la partition du territoire national. Pourtant le chef de l’Etat, Ibrahim Boubacar Keïta, persiste dans sa volonté de réaliser son « fameux » référendum. L’explication d’un tel entêtement est, sans doute, liée aux pressions exercées par la France, l’ONU et de certains pays sur le président IBK.
Dans une déclaration en mars dernier, le président en exercice du Conseil de sécurité de l’ONU, Christoph Heugsen, était sans équivoque dans sa volonté de voir le Mali se lancer le plus rapidement dans le processus de révision constitutionnelle en dépit de la grave situation sécuritaire qui prévaut dans le pays, notamment au Centre. En effet, le pays est également le théâtre de violences inter-communautaires, dont la dernière en date, a fait 15 morts dans un village peulh (Hèrèmakono) situé dans la région de Ségou.
Dans sa déclaration, le diplomate allemand dicte la conduite à tenir : «Le Conseil exhorte le Gouvernement malien et les groupes armés de la Plateforme et de la Coordination à continuer d’accélérer l’application de l’Accord au moyen de mesures sérieuses, significatives et irréversibles, à prendre de manière urgente… ».
Il souligne l’importance d’une plus grande appropriation et priorisation de la mise en œuvre de l’Accord. Il encourage l’adoption par les parties maliennes d’une feuille de route révisée avec un calendrier clair, réaliste et contraignant, portant sur un nombre restreint de priorités, y compris l’aboutissement de la réforme constitutionnelle à l’issue d’un processus de collaboration et de participation, l’adoption d’un plan global en vue d’un redéploiement effectif des Forces de défense et de sécurité maliennes réformées et reconstituées vers le nord du Mali, ainsi que la création de la zone de développement des régions du nord.
Alors questions : Est-ce cette injonction émanant du siège de l’ONU qui fait trembler le président IBK ? Veut-on pousser le Mali à la division ? La France cherche-t-elle à offrir les trois régions du nord (Gao, Tombouctou et Kidal) aux rebelles de la CMA et leurs complices ? La communauté internationale, toujours sous l’égide de la France, veut-elle diviser le Mali comme ce fut le cas avec le Soudan ?
En attendant, pour mettre la pression sur IBK, Christoph Heugsen poursuit : « Le Conseil regrette vivement que plusieurs dispositions de l’Accord évoquées au paragraphe 4 de la résolution 2423 (2018) n’aient pas encore été pleinement appliquées, voire amorcées, malgré ses appels répétés dans ce sens, ces derniers mois».
Le 29 mars 2019, lors d’une réunion du Conseil de sécurité consacrée à notre pays, l’ONU avait dénoncé les retards pris dans la réforme constitutionnelle, prévue par l’Accord de paix de 2015, pour créer un Sénat, une Cour des comptes et inscrire la décentralisation dans la Constitution. De son côté, le ministre français des affaires Etrangères, Jean Yves Le Drian a également donné de la voix au sujet de notre pays. Il a instruit aux autorités maliennes d’élaborer “une nouvelle feuille de route” pour ce qu’il reste à accomplir dans l’Accord de paix, dont l’application impossible, selon lui, sans la force onusienne Minusma bénéficie actuellement d’une dynamique nouvelle.
Et… IBK s’exécute !
Quelques jours seulement après cette injonction émanent de New-York, le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta semble céder à la pression. Dans son adresse à la nation du mardi 16 avril 2019, il rouvre le débat sur la révision constitutionnelle.
IBK déclare : « Je ne peux cependant pas ignorer le fait que parmi les représentants des forces politiques et sociales rencontrés, la semaine dernière, figurent des interlocuteurs qui, animés de raisons positives, ont souhaité que se poursuive et s’approfondisse le débat autour des évolutions prises en charge par la révision constitutionnelle.
Cela afin de renforcer le consensus populaire autour de la future loi fondamentale.
Mon souhait n’est pas non plus de mettre à la marge d’une entreprise aussi importante pour l’avenir de notre pays les formations politiques et les associations qui souhaitent l’organisation d’un débat national en préalable de la tenue d’un Référendum.
Aussi ai-je décidé de confier à un triumvirat la tâche de diriger un cadre de concertation nationale regroupant du 23 au 28 avril 2019 les représentants de toutes les forces politiques et sociales de notre pays. Les remarques et propositions issues des travaux de ce cadre de concertation seront prises en compte dans l’avant-projet de loi portant révision de la Constitution du 25 février 1992. Celui-ci sera adopté en Conseil des Ministres avant d’être déposé à l’Assemblée Nationale… »
Un projet de dislocation du Mali
Cette révision constitutionnelle était prévue par l’Accord de paix d’Alger, signé mi-2015 par le gouvernement et les rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). Sur le papier, elle doit notamment permettre une plus grande décentralisation et renforcer le poids des collectivités territoriales.
Mais selon plusieurs experts, partis politiques, associations de la société civile et une grande majorité de l’opinion publique, ce projet de révision de la Constitution viserait plutôt à la partition du pays. Aussi, dans une tribune, Dr Brahima Fomba, chargé de cours à l’Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako, s’insurge contre la révision de la Constitution du 25 février 1992. « Les articles 13 (Nouveau) et 98.2 préfigurent un véritable projet sournois de dislocation du Mali que l’avant-projet de révision semble traiter comme une jungle sans solidarité entre les collectivités territoriales préoccupées chacune à se goinfrer des revenus des ressources minières de leurs terroirs. C’est ainsi que l’article 13(Nouveau), alinéas 2 et 3 dispose : « Les ressources naturelles du sol et du sous-sol sont la propriété du peuple malien… La loi détermine les modalités de la répartition des produits de leur exploitation entre l’Etat et les collectivités territoriales ».
Dr Fomba poursuit : « On fera remarquer que l’Accord d’Alger ne vise que les collectivités territoriales de région. En constitutionnalisant ces dispositions élargies à toutes les catégories de collectivités territoriales, l’avant-projet de révision organise subrepticement la partition programmée du Mali en prenant le soin de l’emballer dans des anti-phases de l’unité nationale qui, comme de la poudre aux yeux, ne visent en réalité qu’à divertir l’opinion.
Cette partition annoncée de manière à peine déguisée est assise sur la paupérisation généralisée de l’Etat organisée à travers la rétention par les « collectivités territoriales »- les régions du Nord en particuliers soi-disant riches en ressources minières- de mannes financières dont le budget d’Etat sera privé ».
Pour sa part, Dr Soumana Sacko, ancien Premier ministre et leader du parti Convention Nationale pour une Afrique Solidaire (CNAS-Faso Héré), estime que le peuple malien est résolument déterminé à défendre sa constitution démocratique, celle du 25 février 1992, issue de la conférence nationale souveraine. « Encore plus qu’hier, le peuple militant du 22 septembre 1960, du 20 janvier 1961 et du 26 mars 1991 est déterminé à défendre sa constitution démocratique et à faire échec à tout projet, visant à embarquer le Mali dans une aventure mal inspirée et inutilement couteuse, sous le prétexte fallacieux de corriger d’imaginaires « lacunes et insuffisances » que ses pourfendeurs n’arrivent pas à démontrer, alors même que des lois organiques, voire ordinaires, suffiraient pour prendre en charge certaines des préoccupations actuelles ».
Constat ? Avec les prises de position exprimées dans la presse, « il est évident que les contestations, au sujet de la révision constitutionnelle, recommencent comme en 2017 ». C’est pourquoi, Dr Sacko invite : « l’ensemble des Forces patriotiques, progressistes, républicaines et démocratiques à rester vigilantes et mobilisées pour la défense et la promotion des valeurs du 22 septembre 1960, du 20 janvier 1961 et du 26 mars 1991 ».
Dans une tribune relayée par la presse et intitulée « ce que je crains ! », notre compatriote, Cheick Sidi Diarra déplore le manque de consensus autour de cette révision constitutionnelle. « Si la nomination du comité (ndlr : comité d’experts s’entend) peut paraître anodine du fait qu’il s’agit d’experts sans coloration politique, il n’en demeure pas moins que cela relève d’une démarche inopportune et dangereuse ».
Car, selon lui, « l’ampleur des défis et l’urgence de leur trouver des réponses adaptées requièrent que l’on dépasse son égo personnel et que l’on consent tous les sacrifices pour la Nation en danger », ajoute l’ancien secrétaire général-adjoint des Nations-Unies.
Pour certains leaders de la Plateforme « Antè A Bana : Touche pas à ma constitution ! », cette révision constitutionnelle n’a d’autre but que de préparer la future partition du Mali.
De son côté, Modibo Sidibé, leader du parti FARE AN KAWULI, indique qu’une révision de la constitution est, certes, nécessaire. Mais elle doit se faire dans le consensus. Auquel cas, poursuit-il, ce projet de révision constitutionnelle risque fort de rencontrer la farouche opposition des partis politiques de l’opposition et de la société civile. Comme ce fût le cas le 28 août 2017 où, le président de la République s’est vu obligé de surseoir à ce projet.
Mémé Sanogo