Rentrée des Cours et Tribunaux 2018-2019 : «La justice, Facteur de croissance et de progrès»
«Nous souhaitons que notre justice respire à la même hauteur que les autres justices du monde, qu’elle soit à l’aise dans son monde, qu’elle soit contemporaine de son siècle. Cela nous coûtera ce que ça nous coûtera, mais nous le ferons…», a déclaré le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta
Présidée, hier, par le président de la République, président du Conseil supérieur de la magistrature, Ibrahim Boubacar Kéïta, l’audience solennelle de la rentrée des Cours et Tribunaux 2018-2019 avait un seul dossier inscrit au rôle : «La justice, facteur de croissance et de progrès». Ce thème a été choisi pour donner le top départ de la nouvelle année judiciaire. L’événement a eu lieu au siège de la Cour suprême en présence du Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, des présidents des institutions de la République, des ministres, des représentants du corps diplomatique et tout naturellement des membres de la grande famille judiciaire de notre pays.
Plusieurs interventions ont marqué cette cérémonie dont le premier acte a été l’exécution, dans une solennité, de l’hymne national. Dans ses propos introductifs, le président de la Cour suprême a souligné que le choix du thème de la rentrée solennelle de cette année n’est pas le fruit du hasard, précisant qu’il procède du souci de lever un coin de voile sur un aspect de la justice très souvent méconnu du grand public.
«Facteur de croissance et de progrès, oui la justice l’est, parce qu’elle est facteur de paix, de stabilité sociale, de sécurité sans lesquelles aucun développement n’est possible. Le développement d’un pays pourrait même être mesuré à l’aune de la façon dont sa justice est rendue», a commenté Nouhoum Tapily. Il a estimé que la croissance ou le progrès qui n’est pas soutenu par une justice forte, indépendante et impartiale est précaire, ajoutant qu’inversement la justice qui n’est pas soutenue par une croissance économique forte, susceptible de lui fournir les moyens de son indépendance est fragile.
Facteur de croissance et de progrès, la justice l’est également en ce que bien rendue, elle assure la sécurité juridique et judiciaire des transactions économiques et financières. En effet, dans un pays où l’injustice est criarde, où les libertés ne peuvent s’exercer aisément, les activités économiques peuvent difficilement prospérer, a souligné le haut magistrat. «Mieux la justice est rendue, plus elle attire les investisseurs et plus il y a des investissements dans un pays, plus celui-ci peut aspirer à la croissance et au développement. La bonne qualité de la justice accroît la confiance que les partenaires financiers placent en l’Etat dont les caisses peuvent s’en retrouver renflouées», a argumenté le président de la Cour suprême, avant de soutenir que pour parvenir à ces fins, il serait judicieux de renforcer le système judiciaire lui-même par le biais du renforcement de l’indépendance de la justice. Ceci, a-t-il préconisé, nécessite de doter l’administration judiciaire de moyens adéquats lui permettant d’exécuter convenablement sa mission.
LOIS ET RÈGLEMENTS CRÉDIBLES- L’on retient essentiellement de la présentation faite par Adama Coulibaly, rapporteur du thème, que la croissance et le progrès imposent un environnement protégé et organisé par des lois et des règlements crédibles, encadré par des structures fiables et financé par des institutions dynamiques aussi bien du marché financier que monétaire. Ainsi, la justice assure l’omniprésence indéniable dans un contexte où nul ne peut ignorer l’interdépendance qui existe entre les continents, dépassant le cadre isolé des pays, a expliqué le substitut du procureur près le tribunal de grande instance de la Commune VI.
L’application de ces règles place désormais la justice au coeur de la mondialisation et de l’intégration communautaire, a poursuivi M. Coulibaly estimant que l’insécurité judiciaire découlera du rendu de la justice, de l’application du droit et du respect de la déontologie. «La conséquence sera le recul des investissements à travers les délocalisations, les cessations d’activités et la crainte de création de nouvelles entreprises», a-t-il détaillé.
En outre, le magistrat-conférencier a fait savoir qu’il existe non pas un rapport d’extériorité et de subordination, mais des interactions complexes et imbriquées entre la justice et le déploiement des activités économiques. A l’en croire, si la sécurité juridique et judiciaire est une préoccupation constante du monde des affaires, c’est aussi parce que les affaires sont les lieux de contentieux en tout genre liés aux inévitables aléas qui affectent les relations entre agents économiques.
«L’inadaptation et l’inadéquation de la règle de droit, l’instabilité d’une jurisprudence aléatoire, la précarité des conditions de vie et de travail, l’insuffisance de formation des acteurs de la justice sont autant d’obstacles à l’assainissement de l’environnement des affaires, donc à la croissance et au progrès. La fonction de régulation de l’Etat consiste à agir sur l’évolution économique de manière à en améliorer les principaux indicateurs que sont la croissance, l’emploi, l’équilibre extérieur et la stabilité des prix à long terme», a expliqué M. Coulibaly.
A sa suite, le procureur général de la Cour suprême, Wafi Ougadeye, a déclaré que la justice est un facteur central des enjeux liés à l’environnement politique, économique, social, culturel, religieux et sécuritaire. Pour lui, une saine distribution de la justice favorise la sécurité humaine dans son ensemble, y compris le respect des droits de la personne et la gouvernance démocratique. «Ce n’est que par une bonne justice que l’on peut sécuriser les investissements internes et externes, stimuler le progrès et le développement », a renchéri le magistrat.
Par ailleurs, M. Ougadeye a assuré que l’apport de la justice en termes d’injection de flux financiers dans le budget national n’était pas négligeable, précisant qu’en matière civile, les divers frais de procédure et d’enregistrement sont versés au trésor. En matière pénale, a-t-il énoncé, les états financiers de janvier 2012 à septembre 2017 de la brigade économique et financière du Pôle économique et financier de la Commune III du District de Bamako font ressortir un montant global de 3,4 milliards de F CFA au titre de paiements effectués. De 2005 à 2016, selon le magistrat, le Pôle économique et financier de Bamako a recouvré la somme de 4, 6 milliards de F CFA. En outre, la Cour d’assises de Bamako a prononcé des condamnations au titre des amendes, des dommages et intérêts et des remboursements pour un montant global de 900, 4 millions de FCFA pour l’année 2016 et 4, 4 milliards de FCFA pour l’année 2017.
PAS UN ÉTAT SAUVAGE- Pour sa part, le bâtonnier de l’ordre des avocats du Mali, Me Alassane Sangaré, estime que parler de la justice comme facteur de croissance et de progrès revient à évoquer la qualité de notre justice. «En effet, la justice constitue un pilier du pacte citoyen et républicain de notre pays. Son impartialité, sa capacité à assurer un équilibre entre prévention, sanction et protection des libertés publiques et individuelles sont au coeur du bon fonctionnement de la société», a commenté l’avocat.
Bouclant les interventions, le président de la République s’est dit très heureux de présider cette cérémonie.
«Votre thème de rentrée des Cours et Tribunaux, comme chaque année, est d’une pertinence singulière. Si nous avons l’ambition, non feinte, mais réelle, nous avons compris dès l’abord que sans ce pilier, il est vain de prétendre faire quoi que ce soit. Donc, la croissance reposant sur l’effort collectif conjugué aboutissant à un cumul de biens, de revenus permettant une bonne redistribution sur l’ensemble national, cela sera impossible si ce mode de règlement des relations entre ceux qui sont les membres dans une société donnée ne fonctionne pas », a déclaré le chef de l’Etat. «D’où notre intérêt pour ce que vous faites, ce que vous êtes.
C’est pourquoi, nous avons dit notre souci, que l’état de la justice dans ce pays n’était pas à notre honneur. Lorsque nous le disions, aucune grève ne nous y avait contraint, simple intelligence de situation, simple nécessité absolue d’être à hauteur de situation… Nous ne sommes pas un Etat sauvage, nous avons ambition à être à un autre niveau…Dès lors, comment ne pas penser aux conditions de travail et de séjour de tous ceux qui servent la République», a poursuivi le président Kéïta.
Faisant allusion au récent mouvement de débrayage des magistrats, le chef de l’Etat a dit sa surprise, son incompréhension, «dans ce temps même, où nous étions en souci de vous, d’assister à cette grève singulière à l’entrée d’un processus électoral». Sensible à la cause, le président IBK a promis de mettre les magistrats dans les conditions de grande dignité. «Nous souhaitons que notre justice respire à la même hauteur que les autres justices du monde, qu’elle soit à l’aise dans son monde, qu’elle soit contemporaine de son siècle. Cela nous coûtera ce que ça nous coûtera, mais nous le ferons, pas sous la crainte, parce que c’est notre devoir de le faire, et parce que nous souhaitons en être», a conclu le président du Conseil supérieur de la magistrature. Auparavant, le président de la Cour suprême avait remis au président de la République quatre recueils contenant les arrêts de l’institution de 2012 à 2016.
Massa SIDIBÉ