REJETEES ET MARGINALISEES PAR LEURS PROCHES : Les femmes atteintes de fistule rompent le silence
Beaucoup de jeunes femmes atteintes de fistules sont rejetées par leurs communautés à cause des mauvaises odeurs qu’elles dégagent. Certains les considèrent comme ‘’sales’’. Nous avons rencontré certaines d’entre elles au Centre OASIS du CHU du Point G. Elles parlent de leur vécu.
Une fistule est la formation anormale d’une connexion entre deux organes internes, entre le vagin et l’intestin par exemple, entre un organe et la surface du corps, comme entre le rectum et la peau, ou entre deux vaisseaux sanguins, comme entre les artères ou les veines. Il existe différents types de fistules selon l’endroit où elles se trouvent. Les plus communes sont la fistule anale, la fistule recto-vaginale, a fistule artério-veineuse, la fistule pulmonaire artério-veineuse et la fistule obstétricale (ou fistule vésico-génitale). Notre pays étant le plus touché par la fistule obstétricale, notre étude va se limiter qu’à celle-ci.
La fistule obstétricale, est un mal qui peut être totalement évité et, dans bien des cas, traité. Elle désigne une lésion provoquée par l’accouchement et survient en cas de dystocie, après un accouchement long et difficile et résulte généralement d’un travail prolongé de plusieurs jours et difficile, sans intervention obstétricale (césarienne) pratiquée en temps voulu. La femme victime d’une fistule obstétricale n’a plus de contrôle sur la sortie de ses urines. Elle est souvent mouillée et dégage en permanence une odeur d’urine. Elle est de ce fait souvent marginalisée par les membres de sa communauté et parfois renvoyée par son conjoint. Pour celles qui en sont victimes, cette maladie est vécue comme un drame car elle conduit souvent à l’isolement social des femmes atteintes.
Selon l’organisation mondiale de la santé (OMS) c’est une lésion qui entraine une communication entre le vagin et la vessie. Elle constitue une invalidité et une morbidité maternelle majeure. La perte permanente d’urines et/ou de selles à travers les organes génitaux suite à un accouchement laborieux, entraine en plus de graves conséquences sanitaires et psychologiques, une isolation sociale et une stigmatisation des femmes qui en sont victimes.
L’OMS indique que les femmes issues de milieu pauvre et défavorisé sont les plus touchées par cette maladie. Dans le monde, un peu plus de deux millions de femmes en sont victimes et ne bénéficient pas de traitement. Cette maladie conduit le plus souvent ses victimes à l’isolement car, se sentant rejeté par leurs poches.
Pour comprendre le calvaire que vie ses femmes au quotidien, nous sommes parties à la rencontre de certaines d’entre elles qui souffrent en silence croyant l’impossibilité d’une intervention chirurgicale réparatrice. Les accouchements à domicile, trop longs, peuvent se solder, si ce n’est par le décès de la mère ou de l’enfant, par des lésions importantes. La compression prolongée de la tête du fœtus sur les tissus du bassin engendre un manque d’irrigation sanguine qui provoque la nécrose de la paroi vaginale, formant un orifice entre le vagin et la vessie, entre le vagin et le rectum ou les deux à la fois.
Stigmatisation et rejet de la part des personnes qui les entourent, c’est ce qui résume la vie de ces femmes, c’est le cas de Rokia T. qui a contracté cette maladie il y a plus de 2O ans. Elle a été écartée de son foyer par sa belle-famille, « j’étais dans mon foyer quand j’ai contracté cette maladie, c’est en ce moment qu’ils m’ont envoyée chez mes parents et c’est ma mère qui s’occupait de moi ».
En plus de la désolation d’être rejetées, ces femmes qui sont généralement à leur premier accouchement perdent le plus souvent leurs enfants qui sont, morts nés ou qui décèdent au cours de l’accouchement, « j’étais à mon deuxième accouchement, l’enfant n’a pas pu survivre et mon premier enfant est décédé, je me retrouve aujourd’hui malade et sans enfants », a déploré Rokia avec larmes aux yeux.
Selon le Dr Keïta Assata Samassékou, au Pavillon Chirurgie en urologie à l’hôpital de Point-G, le centre OASIS est à l’initiative du Pr Kalilou Ouattara, chef de service à l’époque (1997) et du Dr Tembely Aly qui ont réussi à faire accepter à Mme Adam Ba Konaré leur proposition du centre d’accueil et de Prise en charge en charge de la fistule obstétricale. « Outre la prise en charge chirurgicale, il y a un volet réinsertion sociale, nous les apprenons à blanchir, à faire du savon, à faire la couture etc… ».
« Avec mon arrivée ici au centre, je me réjouis car, j’ai vu que cette maladie n’est pas propre à ma personne et qu’il y’avait d’autres personnes qui ont vécu pire que moi avec nos expériences respectives, nous essayons de les partager, histoire de les laisser un peu dans le passé, Je fais de la blanchisserie pour subvenir à mes besoins », a témoigné Rokia.
Pour Dr. Keïta Assata Samassékou la surveillance de la grossesse à travers les consultations prénatales (CPN) qui revêt une importance particulière dans la politique de soins de santé primaires pourrait éviter cette maladie et tant d’autres.
C’est le cas de Mariam G., âgée de 17 ans venue de Koro. Elle travaille comme une aide-ménagère à Bamako, elle a accouché d’un enfant mort-né « Quand j’ai constaté ma grossesse je n’ai pas fait de suivi faute de moyens, je suis restée comme ça jusqu’au jour de l’accouchement et c’est ainsi que j’ai mis pied pour la première fois dans un centre hospitalier, c’est ainsi que les docteurs m’ont dit que l’enfant est décédé dans mon ventre depuis 3 jours je ne le savais pas », a-t-elle dit.
« J’ai cette maladie depuis 1 an, rejetée depuis par les gens de chez qui je travaillais, mes parents s’occupent de mon suivi et c’est même eux qui m’ont envoyée dans ce centre, je fais la lessive et la vaisselle pour essayer de m’acheter certaines choses. Par jour, je peux gagner 250f à 1000FCFA cela dépend des jours, souvent rien », a-t-elle précisé.
Les mariages d’enfants, des grossesses précoces et les mutilations génitales féminines contribuent au nombre croissant de cas de fistules en Afrique subsaharienne. Le risque de fistule est beaucoup plus important pour les jeunes filles enceintes dont le corps n’est pas encore complètement formé. Bien que le nombre exact de femmes touchées par la fistule en Afrique sub-saharienne ne soit pas connu, les Nations Unies estiment qu’il pourrait s’élevé à un million.
Maria M. âgée de 18 ans, victime d’un mariage précoce, elle dit avoir été mariée à l’âge de 15 ans, « j’ai contracté cette maladie pendant mon accouchement, je me suis mariée à l’âge de 15 ans malgré moi, car je voulais continuer les études, mais mon père m’a donnée en mariage à un cousin, qui m’a ensuite délaissée, et chassée et m’a même traitée de sorcière quand j’ai contracté cette maladie. C’est ainsi que j’ai été accompagnée par Barkhane à Bamako pour des soins ici à Bamako, c’est comme cela que je me suis retrouvée au centre, j’ai plusieurs fois tenté de rentrer en contact avec mon mari qui a refusé de prendre mes appels ou quand j’appelle avec des numéros inconnus ,il raccroche dès qu’il me reconnait ;c’est mon père qui m’aide pour mes soins ,je vends aussi des arachides pour appuyer mon père ,j’ai bénéficié d’une opération il y a de cela 3 ans, ça n’a pas marché ,je garde l’espoir de guérir vite pour retourner à l’école car c’est la seule chose qui me permettra de me sentir mieux », a-t-elle espéré.
La fistule obstétricale est peu connue de tous malgré sa forte présence au Mali, il doit avoir des campagnes de sensibilisation régulière dans les parties les plus reculées du pays dans le but de faire comprendre aux uns et aux autres que cette maladie humiliante qui relègue marginalise les femmes peut être guérie.
Maffenin Diarra
Source : Le Pays