Que sont-ils- devenus … Compol Souleymane Diarra : Historien de formation, policier par vocation
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Nous avons écrit à l’occasion du décès de Sacko Maguiraga et Alou Badara Kéita que la rubrique “Que sont-ils devenus ?” nous vaut des relations particulières. Les Aïssata Guinto, Aminata Coulibaly dite Waraba 10, Balla Tounkara, Idrissa Traoré dit Poker, nos fidèles lecteurs Me Ousmane Thierno Diallo, Ibrahim Dembélé, Amara Diombéra, Lamine Sidibé, Gassiré Konaté ne cessent de nous adresser leurs sincères encouragements. En retour, nous leur promettons que notre reconnaissance à leur égard sera éternelle. C’est dans ce cadre que nous avons rendu visite à un ancien héros, Tidiane Traoré dit James, ou le grand J. C’était pour lui présenter les vœux de fête de ramadan. Après les formules d’accueil, un vieux assis à ses côtés attira notre attention. Pourquoi ne pas aller au bout de notre attention, pour exploiter notre instinct journalistique par une audace qui consisterait à lui adresser la parole et savoir qui il est. Sa présentation nous convainc à nous intéresser à son histoire pour l’animation de la rubrique “Que sont-ils devenus ?” Très cultivé, l’homme a une connaissance approfondie de l’histoire du Mali, des analyses politiques pertinentes sur la conduite des affaires du pays. En un mot le commissaire de police à la retraite Souleymane Diarra nous rappelle la citation de feu Amadou Hampaté Bah “En Afrique un vieillard qui meurt, est une bibliothèque qui brûle”. Apprenons ensemble de cet ancien officier de la Sécurité d’Etat des années 1974-1975.
Le commissaire de police (compol) Souleymane Diarra est un conservateur. Il ne cesse de rappeler la jeunesse d’aujourd’hui à l’ordre. Ancien fonctionnaire de la Sécurité d’Etat, il définit l’information par trois lettres ABC. La première, c’est la rumeur. La deuxième sert à recouper. Et la troisième, c’est l’incontestabilité.
Nos échanges de numéros téléphoniques débouchent sur un rendez-vous pour le dimanche 8 mai 2022. Et le jour “J”, James nous installe confortablement pour une longue interview avec le compol Souleymane Diarra. Marié avec quatre enfants, et onze petits -fils,il a enseigné au lycée Askia Mohamed pendant six ans (1964-1970). A la septième année de son statut d’enseignant, il dépose la craie et intègre la police nationale.
Après sa formation à ce niveau, il entre à l’Ecole des officiers militaires de Kati en 1974. La même année, il passe le brevet de parachutiste, parce qu’à l’époque tous les officiers avaient l’obligation de faire le saut. Devenu policier commando-parachutiste, il entame une longue carrière administrative dans divers commissariats du pays.
Il sert successivement au commissariat de la Régie du chemin de fer comme compol adjoint, puis à Mopti pour le même poste (1975-1978), commissaire principal à Diré (1978-1980), San (1980-1984). Il prend sa retraite en 1992 à la direction des services de sécurité, après y avoir été affecté en 1984.
Pour l’une des rares fois dans l’animation de la rubrique, nous procédons par une interview classique avec des questions réponses commentées parce que le compol Souleymane Diarra est un historien, qui enseigne sur plusieurs domaines.
Passionné du Coran, il l’interprète en quatre langues : l’arabe, le français, l’anglais et le bambara. Ce qui fait que sa seule passion dans cette vie demeure aujourd’hui la lecture du Saint Coran. Dans la vie il déteste le mensonge, la paresse.
Brillant orateur, le compol Souleymane Diarra n’a pas donné le minimum de temps pour cadrer l’entretien en plusieurs axes bâties sur son parcours. Il souhaite que la jeunesse apprenne l’histoire de son pays. Du coup, il entame son long exposé.
Petit rappel historique à l’intention de la jeunesse
“L’Empire du Ghana a été fondé par les Noirs venus de l’Egypte. Après son effondrement, Soundiata Kéita créa l’Empire du Mali en 1235. Ce fut un empire glorieux et de guerre, qui connaitra sa première crise en 1468, qui aboutira à la création de l’Empire Songhaï par Sony Ali Ber. Celui-ci chassa Makan III du pouvoir et occupa de Djenné au Niger en passant par le Tchad pendant vingt-sept ans. Au dix-septième siècle, Mamary Biton Coulibaly détruisit tout ce qui restait de l’Empire du Mali, pour fonder le Royaume bambara de Ségou. Les Toucouleurs venus par la suite sont chassés du pouvoir le 6 avril 1890 par Louis Archinard. C’est à partir de cette date que les Français vont s’installer dans notre pays jusqu’au 22 septembre 1960, date de l’indépendance du Mali, soit soixante-dix ans. Pour quel bilan ? Tout l’or malien volé, et seulement six écoles : le Cours normal de Sevaré, le Collège moderne de Diré, le lycée Terrasson de Fougères, le lycée Technique, le Cours complémentaire. Pendant cette période d’occupation, la France a été vaillamment combattue par le Bélédougou. Entre-temps sont nés les futurs dirigeants du Soudan Français Modibo Kéita, Mamadou Konaté, Fily Dabo Sissoko, Hamadoun Dicko. En 1940, le président français Charles de Gaulle promet à Londres aux colonies françaises la création de partis politiques. Et c’est à la Conférence de Brazzaville en 1944 que les dirigeants africains seront autorisés à créer les premiers partis politiques dans l’Empire français, notamment l’AOF (Afrique occidentale française composée du Soudan français (Mali), de la Côte d’Ivoire, de la Haute Volta,(Actuel Burkina Faso), du Dahomey,(aujourd’hui le Bénin) du Sénégal, de la Mauritanie , de la Guinée-Conakry , du Togo) et l’AEF (Afrique équatoriale française avec le Gabon, le Moyen Congo (l’actuel Congo-Brazza), l’Oubangui -Chari (aujourd’hui Centrafrique),le Tchad…) Avec ces douze pays l’US-RDA tient son premier congrès en octobre 1946. La section US-RDA du Soudan est née de la fusion du Bloc soudanais de Mamadou Konaté et le Parti démocratique de Drissa Diarra.
Après le décès de Mamadou Konaté, le 11 mai 1956, Modibo Kéita prend les rênes du parti en tant que secrétaire général, et le secrétariat politique choit à Drissa Diarra. En 1960, le Mali apporte son aide à l’Algérie. Déjà Charles de Gaulle organise un référendum en septembre 1958, qui avait pour but d’instaurer un nouveau système colonialiste, contraire aux idéaux de l’US-RDA. C’est-à-dire liberté, égalité, fraternité. Le Guinéen Ahmed Sékou Touré dit non. Choqué et atteint dans sa dignité, le président de Gaulle oublie son casque en Guinée. La Fédération du Mali avec le Sénégal, était une aventure, parce que les deux pays ne parlaient pas le même langage, n’avaient pas la même idéologie politique. D’où son échec.
Conséquence immédiate : la proclamation de l’indépendance du Mali le 22 septembre 1960, et Modibo Kéita devint le président. Le parti avait primauté sur l’Etat et opté pour une voix de développement non capitaliste. Le pays tend la main à la Chine et à l’URSS.
Des coopérations qui débouchent sur des milliers de bourses d’études, des formations pour l’armée malienne. Malgré tout, nos relations avec la France sont étroites, pour deux raisons : le soutien du Mali lors des deux guerres mondiales. Seulement elle a violé ses principes constitutionnels. Le président Modibo Kéita après la création de la monnaie le 1er juillet 1962, cinq ans se retourne vers la même France pour signer des rapports néocoloniaux Afrique-Asie.
Pourtant, le président Sékou Touré l’a mis en garde, au risque de se suicider politiquement. Pour la simple raison que la création de sa propre monnaie est un droit régalien. De la signature de ces accords en 1967 à nos jours, le Mali est toujours une nouvelle colonie avec le F CFA.
L’US-RDA a commis beaucoup d’erreurs. Ce qui entraîna sa chute par un coup d’Etat le 19 novembre 1968. Tous les militaires n’étaient pas d’accord avec l’intrusion de l’armée sur la scène politique, notamment Diby Silas Diarra, Alassane Diarra et autres. Ils ont manifesté leur désapprobation, et finiront dans les bagnes de Taoudéni, après avoir été arrêtés, jugés et condamnés. Moussa Traoré est resté au pouvoir pendant quelques années, sans régler le problème monétaire d’une manière autonome. En 1984, la monnaie néocolonialiste, le CFA signe son retour. Moussa n’a pas compris qu’un système qui n’est pas socialiste est capitaliste, donc obligation de créer des partis politiques. Il sera chassé du pouvoir en 1991″.
Quelle appréciation fait-il de cinq coups d’Etat au Mali, pendant trente ans de démocratie ?
D’emblée le compol martèle que la mission de l’armée n’est pas liée au coup d’Etat. Elle est plutôt au service du peuple. Seulement au Mali, il y a un problème d’éducation politique qui a cessé à partir de 1968. D’autre part, il enseigne que tout part du peuple et tout lui revient en démocratie. Malheureusement, chez nous, il regrette que nos partis politiques ont tendance à être des GIE. La plupart d’eux ne servent que ceux qui les ont créés.
Qu’est-ce que le policier ? Que pense-t-il de la démilitarisation de la police nationale ?
Sans démagogie, il soutient que l’armée et la justice ne sont rien sans la police. Ce qui démontre que sa démilitarisation n’a pas été une bonne chose. Pour la simple raison que l’armée et la police se complètent. Pour lui autant la police est souple, autant elle est rigoureuse comme l’armée au besoin, mais éminemment cultivée. Il définit le policier comme l’homme au centre de tout. Il a du flair, passe inaperçu et très craint parce qu’il est censé être au courant de tout.
Roger Tél (00223) 63 88 24 23
Aujourd’hui-Mali