Que sont-ils devenus… Boubacar Vieux Traoré : le joueur modèle
Si les dirigeants, les joueurs et les supporters, tous clubs confondus, avaient un respect religieux pour un joueur, c’était bien Boubacar Traoré dit Vieux Djan, le géant et colosse défenseur du Stade malien de Bamako. Comportement honorable, discipline exemplaire et sérieux notoire déterminaient cette estime quasi généralisée. Evoluant dans l’axe central, l’homme ne se posait pas beaucoup de questions pour intervenir. Timide jusque dans sa démarche, Boubacar Vieux Djan Traoré a pris en marche le train du groupe formé par feu Mamadou Kéïta dit Capi au début de l’année 1983. Très combatif et doté du sens de l’anticipation, comme le nécessite son statut de joueur axial, il a marqué son temps au Stade et en équipe nationale, jusqu’à sa retraite en 1994. Nous l’avons reçu dans le temple de la rubrique ” Que sont-ils devenus ? ” Notre premier contact avec Vieux Djan nous a permis de comprendre que derrière son air taciturne, se cache un homme aimable au sens élevé du social. Découvrons ensemble l’histoire de l’ancien joueur de flèche Noire de N’Tomikorobougou.
Rencontrer Boubacar Vieux Traoré n’a pas été pour nous une épreuve difficile, le temps nécessaire pour parcourir 300 mètres de notre domicile, à Hamdallaye AC.I. Bocoum.
Ignorant le gardien, c’est Vieux Djan lui-même qui s’est fait le devoir de nous accueillir à la porte, pour nous conduire dans un grand salon à l’étage, où devait se tenir l’entretien. Sa femme qui nous croisa au bas de l’escalier, ne s’est pas empêchée de se signaler par des taquineries amicales à notre endroit. Cela fait vivre et donne un tonus à notre inspiration pour l’animation de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”
Avoir un entretien avec Vieux Djan n’est pas une chose aisée. L’homme est peu bavard et se contente de donner des réponses précises et courtes. Tous ceux qui l’ont connu ont pourtant fait le constat que sa timidité ne se limite pas seulement en famille ou dans la rue, même sur un terrain de football on la sentait. Ce qui fait qu’il avait même de la peine à manifester un but, fut-il libérateur. En 1988, lors de la finale de la coupe du Mali contre le Djoliba, il marqua un but qui donna à la victoire des Blancs de Bamako aux allures d’une mini correction. Huit mois plus tard, il envoyait le Mali d’un splendide coup de tête en finale de la coupe Cabral à Bamako. Au match retour de la finale de la coupe Ufoa en 1992, face au Hafia FC de Conakry, il inscrit également le deuxième but sur coup franc. Tous ses buts ont été marqués à des moments cruciaux, pour ne pas même dire qu’ils étaient libérateurs. Mais bizarrement, Vieux Djan se contentait seulement de lever sa main pour toute manifestation, pendant que tout le stade était en délire. Bref, il était un joueur modèle qui ne contestait en outre aucune décision arbitrale.
Pourquoi un tel silence jusqu’au petit détail ? L’ancien sociétaire du Stade malien de Bamako soutient qu’il faut prendre tout au sérieux dans la vie, pour réussir. Le fait qu’il est moins bavard, relève de sa nature. Sur un terrain de football, la fatigue est la norme des choses et si on doit encore passer tout son temps à parler, on perdra finalement sa concentration, surtout que la prudence doit être l’arme de guerre pour un défenseur qui joue dans l’axe. C’est pourquoi, lui, Vieux Djan, n’aimait pas trop communiquer dans un match. L’essentiel est de jouer son rôle et permettre à l’équipe de gagner.
Nous avons connu Boubacar Vieux Traoré au milieu de la saison 1982-1983. Nous étions en son temps comme la plupart des jeunes des quartiers populaires de Bamako, des rats de terrain d’entrainement des différentes équipes de la capitale. Il venait d’intégrer le groupe de la génération dorée des Blancs de Bamako, un héritage légué par feu Mamadou Keïta dit Capi. C’étaient les Lassine Soumaoro, Mamadou Coulibaly dit Kouicy, Yacouba Traoré dit Yaba, Abdoulaye Kaloga, DjofoloTraoré, Seydou Diarra dit Platini etc …
On était très jeune pour comprendre comment Vieux Djan est parvenu à s’imposer, malgré l’évidence de la pléthore de qualité. Par sa constance, sa régularité dans les entrainements et son statut de joueur modèle sur tous les plans, il s’est fait une place dans l’antre des Blancs. De joueur remplaçant, il gagne sa place de titulaire. Maintenant comment faire pour l’incorporer dans le dispositif défensif stadiste ? L’entraineur Mamadou Diakité dit Doudou a eu le réflexe technique de placer Vieux Djan dans l’axe auprès de Lassine Soumaoro, et faire avancer Cheick Oumar Koné comme milieu défensif. C’était en 1983 lors de la finale de la coupe du Mali gagnée par le Djoliba sur le score de 1 à 0 (but d’Abdoulaye Koumaré “Muller” à la 12è mn). A la suite de ce coup d’essai, il ne quittera plus le bastion défensif du Stade Malien de Bamako. L’année à laquelle nous faisons allusion était pourtant son deuxième tour au Stade. Il dit avoir joué avec les cadets des Blancs.
Joueur de Flèche Noir de N’Tomikorobougou avec Gaoussou Samaké et Abdoulaye Kaloga, il a joué dans les catégories d’âge du Stade malien, par le canal du doyen Djibril Traoré. Plutôt intéressé par les compétitions inter quartiers, il abandonne les entrainements. Son amour pour le club et l’attachement à son ami Gaoussou Samaké prématurément parti en France l’ont poussé à reprendre le chemin des terrains. Comme évoqué plus haut, il n’a pas trainé à la touche. Et tous les entraineurs qui se sont succédé n’ont pas trouvé d’alibi pour le délaisser. Toujours égal à lui-même, Boubacar Vieux Djan Traoré régna dans l’axe stadiste durant 11 ans, de 1983 à 1994, date à laquelle il décide de prendre sa retraite. Parce que la majeure partie de sa génération avait raccroché. Donc il ne se sentait plus dans un milieu propice pour continuer. Comme bon nombre d’anciens joueurs, une fois sa retraite footballistique consommée, il prend du recul pour des raisons de service. Faudrait-il rappeler qu’il est cadre de l’EDM depuis 1986, soit trente-deux ans de service. Mais il suit de très près le football malien. Et c’est un véritable cri de cœur qu’il a lancé en souhaitant que la dernière finale de coupe du Mali, jouée le 23 septembre dernier, soit un déclic pour la fin de la crise de notre football. Il n’a pas voulu se prononcer sur les tenants et les aboutissants, mais reste persuadé que notre sport roi ne pourra pas se hisser au haut niveau dans les conditions actuelles.
Au Stade malien de Bamako, il remporta six coupes du Mali ( 1984-1985-1986-1988-1990-1992), réalisé un doublé, remporté cinq titres de champion (1984,-1987- 1989 – 1993 -1994), une coupe UFOA en 1992. Son aventure en équipe nationale débuta en 1987 avec Kidian Diallo. Et c’est à juste titre qu’il a tenu l’axe des Aigles avec Abdoulaye Traoré dit Abloni durant des années, lors des éliminatoires des CAN de 1988 et 1990, des différents tournois Cabral dont le sacre du Mali en 1989.
Doit-il sa réussite dans la vie au football ?
L’ancien joueur du Stade soutient qu’il jouait par amour du club et de la patrie. Les primes de matches variaient entre 15 000 et 30 000 F CFA. Avec de telles sommes dérisoires, comment pouvait-on songer à préparer un avenir ou fonder un foyer ? Sa chance a été qu’il a commencé à travailler très tôt. Autrement dit, il conciliait emploi et football. Dans ces conditions, il ne saurait être dépendant des primes de matches ou de voyages, qui ne représentaient pas grand-chose. Pour parler de ses bons souvenirs, Boubacar Vieux Traoré retient le sacre des Aigles en coupe Cabral en 1989 et la coupe Ufoa remportée par le Stade malien de Bamako en 1992.
Ses deux mauvais souvenirs sont la défaite du Stade à Kayes face au Sigui. L’on se rappelle que les Blancs ont mené au score par 2 buts à 0, avant d’être battus par 3 buts à 2. A l’époque, cet exploit du Sigui de Kayes a fait couler beaucoup d’encre. L’autre mauvais souvenir est cette finale du tournoi Cabral qui a opposé le Syli National de Guinée aux Aigles du Mali en 1987, où les joueurs maliens ont été persécutés uniquement pour les déstabiliser et permettre aux Guinéens de s’imposer. Le match s’est dénoué aux tirs au but.
Boubacar Vieux Djan Traoré se souvient d’une anecdote : “Le Mali a rencontré en demi-finale du tournoi Cabral en 1989 la Sierra Leone. On menait par 1 but 0, les Sierra Léonais ont monté la pression pour établir la parité. Il ne fallait pas paniquer, donc nous étions en train de procéder par des passes courtes pour tourner l’adversaire, quand subitement Oumar Guindo, aux abords de notre surface de réparation, prend le ballon dans ses mains pour ensuite le réengager. L’action a été tellement rapide que même le trio arbitral est resté inerte. Après le match, au moment du diner, nous posons la question à Oumar Guindo pour savoir ce qui l’a poussé à agir ainsi. Il a répondu que l’arbitre avait sifflé. Et pratiquement tout le groupe le convainc qu’aucun coup de sifflet n’avait retenti. Il prend sa tête et c’est en ce moment qu’il s’est rendu compte de sa faute. Tout le monde a rigolé, ce qui a donné lieu à une ambiance et des commentaires autour du plat”.
C’est de façon délibérée que nous n’avons pas voulu aborder ses relations avec feu Gaoussou Samaké. Parce que les deux hommes étaient de vrais amis. Le décès de Gaoussou a été tellement brutal que les plaies dans les cœurs ne sont pas encore cicatrisées. Et pour ne pas encore créer une émotion comme ce fut le cas avec certains héros de la rubrique. Sinon, Vieux Djan a beaucoup à dire sur ses relations avec son ami, arraché à l’affection de tout le monde le 17 juillet 2017.
Marié et père de 4 enfants dont 2 filles, Boubacar Vieux Djan Traoré demeure toujours dans son caractère taciturne. Après le boulot il campe dans la grande famille à N’Tomikorobougou, avant de rejoindre son domicile le soir à Hamdallaye A.C.I Bocoum. Malgré le fait qu’il s’est mis dans une posture de retraite définitive dans la pratique du football, les jeunes du quartier l’obligent parfois à prendre part aux matches de gala qu’ils organisent entre mariés et célibataires. Une autre face de notre société.
O. Roger Sissoko