Quand un antibiotique provoque un effet secondaire psychiatrique
C’est l’histoire d’un homme de 50 ans qui, traité à deux reprises par un antibiotique pour une pneumonie, a développé un effet secondaire psychiatrique. Il s’est alors mis à entendre des voix et a développé un délire à connotation mystique.
Tout commence lorsque ce patient reçoit un traitement antibiotique par amoxicilline-acide clavulanique (Augmentin®, 1 g trois fois par jour) pour une pneumonie diagnostiquée lors d’une consultation hospitalière. Il regagne ensuite son domicile mais retourne à l’hôpital le lendemain du fait de la persistance des symptômes respiratoires. Le traitement est alors modifié, l’antibiotique étant remplacé par un autre. Il ressort cette fois de l’hôpital avec une ordonnance comportant de la clarithromycine (500 mg deux fois par jour).
Deux jours plus tard, l’entourage familial du patient perçoit un changement progressif de son comportement. Il parle sans arrêt (logorrhée), se montre irritable, ne tient plus en place, est d’humeur exaltée et dit être en contact avec Dieu. La famille décide alors de le conduire à l’hôpital universitaire de Genève où il est admis aux urgences.
Ce patient ne présente pas d’allergie, ne fume pas, ne boit pas, ne consomme pas de substance illicite et ne suit aucun traitement médicamenteux. Il n’a par ailleurs jamais pris d’antibiotique auparavant.
Lors de son évaluation psychiatrique, le patient indique qu’il a eu la sensation de mourir et qu’il a présenté des hallucinations auditives durant la nuit qui a suivi la prise du premier antibiotique (Augmentin®). Il a entendu Dieu lui parler et lui dire qu’il avait été choisi pour une mission spéciale.
Le psychiatre note que le patient a une attitude familière et une activité psychomotrice légèrement augmentée. Il est irritable. Son flux de paroles est incessant et son humeur enjouée.
Le patient présente des difficultés d’endormissement, a des hallucinations auditives et des idées délirantes de nature mystique dont il a par ailleurs partiellement conscience de leur caractère anormal. Le traitement antibiotique est immédiatement arrêté. Le patient, qui a développé une agitation psychomotrice, se voit prescrire du lorazépam, une benzodiazépine pour le calmer.
Douze heures après l’arrêt du traitement antibiotique par clarithromycine, les médecins observent une amélioration. Le patient se rend en effet progressivement compte de son délire. Ses hallucinations auditives disparaissent. Les symptômes auront finalement duré environ 36 heures.
Épisode maniaque
Notre homme a présenté un épisode maniaque (mania, en anglais médical), état caractérisé par une exaltation de l’humeur. Il s’agit en principe d’une urgence psychiatrique nécessitant un traitement médicamenteux en milieu hospitalier (médicament régulateur de l’humeur, antipsychotique).
Le patient passe la nuit en observation aux urgences psychiatriques. Les médecins constatent alors que les autres symptômes de manie (humeur, irritabilité, activité motrice) s’atténuent. Seule la logorrhée persiste. Sur l’échelle de la manie de Young (YMRS), le score n’est plus qu’à 13, contre 28 au moment de l’évaluation psychiatrique. Cela correspond à un état hypomaniaque.
Deux comprimés de lorazépam (1 mg par voie orale), à prendre si besoin, sont remis au patient au moment de sa sortie de l’hôpital. Du fait de la rapide amélioration des symptômes après l’arrêt de la prise des antibiotiques et l’administration d’une benzodiazépine, les médecins ne prescrivent pas de traitement antipsychotique. Ils conseillent en revanche au patient de consulter son médecin traitant et de revenir pour une autre évaluation psychiatrique la semaine suivante.
Antibiomania
Le diagnostic retenu par les médecins suisses est celui d’une antibiomania, contraction d’antibiotics et mania, terme apparu pour la première fois en 2002 dans la littérature médicale pour désigner un épisode maniaque provoqué par les antibiotiques, induit dans ce cas précis par la clarithromycine. Il est alors décidé de prescrire à nouveau au patient de l’Augmentin® pour traiter sa pneumonie.
Une semaine après avoir été admis à l’hôpital, le patient se présente, comme prévu, pour son évaluation psychiatrique. Son humeur est modérément accrue. Il est bavard. Le score YMRS est alors de 3, ce qui correspond à une humeur relativement stable (euthymique, dans le jargon médical).
Ce que les médecins ignorent et qu’ils apprendront plus tard, c’est que notre homme a présenté une aggravation des symptômes le soir même de la reprise du traitement par Augmentin®. À sa sortie de l’hôpital, il a pris deux doses (625 mg) de cet antibiotique.
À minuit, il a à nouveau commencé à entendre des voix. Il s’est alors senti persécuté et anxieux. Il se rendait néanmoins partiellement compte que quelque chose n’allait pas. Le lendemain, il a présenté les mêmes symptômes maniaques que ceux survenus lors du premier épisode : logorrhée, difficultés d’endormissement, attitude familière, irritabilité. Le patient a pris les deux comprimés de lorazépam qui lui avait été remis à l’hôpital (un durant la nuit, l’autre le lendemain).
Notre homme a appelé son médecin traitant qui lui a recommandé d’arrêter le traitement antibiotique estimant qu’il s’agit d’un effet secondaire de l’Augmentin®.
Selon Edith Paula Meszaro et ses collègues urgentistes et psychiatres qui ont rapporté ce cas clinique le 11 août 2021 dans la revue en ligne BMC Psychiatry, l’antibiomania de ce patient résulterait de l’interaction médicamenteuse entre les deux antibiotiques prescrits, à savoir la clarithromycine et l’Augmentin® (amoxiciline-acide clavulanique), plutôt que deux épisodes maniaques séparés, imputables à deux antibiotiques. « Le rôle respectif de chaque antibiotique dans la survenue de cet effet secondaire psychiatrique est difficile à élucider car le patient a développé des hallucinations auditives après la prise d’Augmentin et celles-ci ont continué avec d’autres signes cliniques d’épisode maniaque avec la clarithromycine et la réintroduction de l’Augmentin », déclarent-ils.
« On peut formuler l’hypothèse d’une interaction pharmacodynamique entre les deux antibiotiques dans la mesure où l’on sait que ces deux médicaments peuvent chacun induire ce type de réaction secondaire », ajoutent-ils. Les médecins précisent qu’ils se sont abstenus de vérifier leur hypothèse en administrant à nouveau l’antibiotique à leur patient.
Deux études, respectivement publiées en 2002 et 2017, ont synthétisé les données disponibles sur l’antibiomania. Quarante-sept cas ont été recensés, auxquels s’ajoutent 143 autres rapportés par les autorités sanitaires américaines (Food and Drug Administration, FDA) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il ressort que les antibiotiques le plus souvent impliqués sont la clarithromycine (de la famille des macrolides), la ciprofloxacine et l’ofloxacine (de la famille des fluoroquinolones).
L’élément clé du diagnostic d’antibiomania repose sur la relation temporelle entre l’administration de l’antibiotique et la survenue des symptômes maniaques. L’intervention la plus importante dans un tel cas est d’interrompre le traitement, ce qui entraîne la disparition des symptômes sans avoir recours à un traitement médicamenteux de l’épisode maniaque.
L’hypothèse principale permettant d’expliquer l’antibiomania repose sur le fait que certains antibiotiques exercent une action sur des récepteurs dits GABAergiques présents à la surface des neurones, ce qui entraînerait une hyperexcitabilité neuronale et expliquerait la symptomatologie maniaque*.
L’antibiomedia a été décrite chez des sujets âgés de 3 à 77 ans (âge moyen : 40 ans). La plupart des patients n’avaient pas d’antécédents psychiatriques. Les deux tiers sont des hommes. La durée moyenne des symptômes maniaques induits par la clarithromycine était de trois jours selon une étude parue en 2002 dans le Journal of Clinical Psychopharmacology.
Publiée en 2017 dans le Journal of Affective Disorders, une revue systématique de 47 cas publiés dans la littérature médicale a montré que les macrolides étaient impliqués dans 18 cas. Dix-huit autres cas étaient liés à l’administration de médicaments antituberculeux. Sept cas étaient associés à la prise de fluoroquinolone, deux à des bêta-lactamines (vaste famille d’antibiotiques). Enfin deux cas concernaient d’autres classes d’antibiotiques. Quant à l’OMS, elle soulignait en 2002 que sur 82 cas d’antibiomania, la ciprofloxacine était impliquée dans 23 cas, l’ofloxacine dans 12 cas, l’antituberculeux isoniazide dans 5 cas, l’Augmentin® dans 2 cas.
En résumé, il apparaît que les macrolides, les fluoroquinolones et les antituberculeux représentent les classes d’antibiotiques le plus souvent associées à l’antibiomania.
Cet effet secondaire est rare mais mérite une plus grande attention de la part des médecins généralistes et des spécialistes de santé mentale, insistent les auteurs de ce cas clinique, ajoutant que « la survenue d’effets secondaires psychiatriques associés à une antibiothérapie, traitement très fréquemment utilisé, peut avoir un grand impact sur la qualité de vie du patient ».
Après « Les antibiotiques, c’est pas automatique ! », il est peut-être temps de retenir un autre slogan : « Urgence psychiatrique, c’est peut-être les antibiotiques ».