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Projet de révision constitutionnelle : La décentralisation à l’épreuve… !

Sans nécessairement dénier toute avancée à l’avant-projet de loi portant révision de la Constitution du 25 février 1992, le constitutionnaliste Dr Brahima FOMBA a préféré dans cette contribution, se focaliser sur ses insuffisances, ses incohérences, et surtout sur les innombrables interrogations qu’il suscite. Comme il a eu à le soutenir dans notre parution n°1022 du 29 octobre 2018, et Dr FOMBA considère toujours, au regard des tares de l’avant-projet de révision passé aux cribles que cette deuxième tentative est condamnée à un échec aussi lamentable que celle de 2017. Dans cette troisième partie, il démontre comment l’avant-projet de révision souffre de deux aberrations qui mettent en cause ses constructions juridiques relatives à la décentralisation. De l’avis du Dr FOMBA, cet avant-projet fait trop dans le mimétisme institutionnel. De l’autre côté, il méconnait le principe fondamental de la libre administration par des échafaudages institutionnels grotesques qui ne tiennent pas la route. Démonstration.

L’avant-projet de révision fait trop dans du mimétisme institutionnel. Ainsi, à trop vouloir s’acharner sur la constitutionnalisation de la décentralisation prônée par un Accord d’Alger mal rédigé, qui de surcroît, au mépris de l’évidence, fait fi de la politique de décentralisation en vigueur au Mali depuis les années 90 pour ne pas aller plus loin, l’avant-projet a fini par s‘exiler dans une sorte d’escapade de mimétisme en plein cœur du droit Français. Il a fini par oublier que la question de la constitutionnalisation de la décentralisation dont l’Accord d’Alger fait son cheval de bataille n’est qu’un faux problème au Mali. L’on sait tous qu’au Mali, la décentralisation a toujours fait l’objet de constitutionnalisation y compris par l’actuelle Constitution qui garantit le principe de la libre administration des collectivités territoriales. De manière complètement superfétatoire, l’avant-projet de révision va s’adonner au recopiage d’une disposition de la constitution française qu’il replâtre dans son texte. Il s‘agit de la disposition suivante de l’article 1er de la Constitution de la Vème République : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. …Son organisation est décentralisée ». Comme on l’aura noté, l’article 1er de la constitution de la Vème République a été mal recopié, car l’avant-projet de révision à l’alinéa 1er de l’article 25 (Nouveau), y a ajouté autre chose : « Le Mali est une République indépendante, souveraine, indivisible, démocratique, laïque et social. Son organisation est déconcentrée et décentralisée ». Si l’avant-projet avait cru bon y apporter une petite touche d’authenticité en ajoutant le terme « déconcentré », c’est complètement raté ! L’alinéa 1er de l’article 25 (Nouveau) cristallise en quelque sorte la déconcentration, alors que l’objectif recherché pour une meilleure gouvernance est d’aller plutôt vers plus de décentralisation et donc vers le dépérissement progressif de la déconcentration, à l’instar du récent Décret n° 2019-0258/P-RM du 27 mars 2019 relatif aux modalités de transfert des services déconcentrées de l’Etat aux collectivités territoriales. Le terme « déconcentré » s’avère de trop dans ce membre de phrase de l’alinéa 1er de l’article 25 (Nouveau). L’avant-projet de révision rame ici à contre-courant ! Le mimétisme dont il fait preuve paraît pour le moins mal inspiré.

Par ailleurs, l’avant-projet méconnait le principe fondamental de la libre administration à travers des échafaudages institutionnels grotesques qui ne tiennent pas la route. A travers l’article 98.3, il consacre la suprématie des conseils régionaux sur les autres niveaux de collectivités territoriales. Cet article 98.3 à la formulation alambiquée est ainsi libellé : « Aucune collectivité ne peut exercer une tutelle sur une autre. Toutefois, en matière d’aménagement du territoire et de planification du développement territoriale, la région assure un rôle prééminent dans le respect de l’autonomie et des compétences propres des collectivités territoriales qui la composent ».

C’est une aberration juridique que de soutenir à la fois qu’aucune collectivité ne peut exercer une tutelle sur une autre et qu’en matière d’aménagement du territoire et de planification du développement-des compétence reconnues à tous les niveaux de collectivités territoriales- le Conseil régional va assurer un rôle « prééminent » dans le respect de l’autonomie et des compétences propres des communes et des conseils de cercle ! Comment le Conseil régional va-t-il très concrètement assumer ce rôle prééminent par rapport aux autres collectivités territoriales ? C’est toute l’ambiguïté de cet article qui traduit l’imposture juridique qui s’y cache. Cette imposture juridique se ramène en fait à une tutelle déguisée qui ne dit pas son nom. Il est absolument scandaleux que l’avant-projet de révision puisse inscrire de telles grotesques montages juridiquement dans la Constitution du Mali. Si l’avant-projet veut assurer à la région un « rôle prééminent » dans ces matières, on pourrait à la limite comprendre que les autres niveaux de collectivités territoriales (communes et conseils de cercles) soient dessaisies de ces compétences qu’on réserverait alors uniquement aux conseils régionaux. Mais dans ce cas, il faudrait se demander quelle serait alors la pertinence d’une collectivité territoriale ne s’occupant ni d’aménagement du territoire ni de planification du développement. Autant supprimer dans ce cas tous les autres niveaux de collectivités territoriales et ne conserver que les Conseils régionaux. Dans l’esprit de la libre administration et de l’autonomie des collectivités territoriales, la suprématie de la région sur les autres collectivités territoriales est juridiquement intenable. Il ne saurait y avoir ni relation hiérarchique, ni relation de tutelle même déguisée, entre les collectivités territoriales. La tutelle doit demeurer une prérogative de l’Etat.

Le régime politique « présidentialisé » dans la cacophonie institutionnelle

La Constitution du 25 février 1992 a institué un régime de type semi-présidentiel ou semi parlementaire avec comme caractéristique fondamentale, un exécutif dualiste constitué d’un Président de la République élu au suffrage universel et d’un gouvernement dirigé par un Premier ministre qu’il nomme. Ce faisant, le constituant malien de 1992 n’a voulu ni totalement d’un régime parlementaire, ni totalement d’un régime présidentiel. C’est ce positionnement médian qui met en quelque sorte le Premier ministre « à équidistance » du Président de la République et de l’Assemblée nationale dans le cadre d’un exécutif dualiste. Il en découle pour lui, une « double responsabilité » devant l’Assemblée nationale et le Président de la République. Il faut toutefois préciser qu’aux termes de l’article 38 de la Constitution, si le Premier ministre est responsable devant le Président de la République, ce dernier ne peut mettre fin à ses fonctions que s’il lui présente sa démission. Par ailleurs selon l’article 53 de la Constitution, « le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation … » et naturellement, cette disposition doit être lue en parallèle avec l’article 54 instituant la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale. Si le gouvernement est politiquement responsable devant l’Assemblée nationale, c’est bien par ce qu’il procède davantage de la majorité parlementaire que du Président de la République.

Dans une incohérence totale, l’avant-projet de révision remet en cause l’équilibre institutionnel inhérent au caractère semi présidentiel ou semi parlementaire du régime politique institué par la Constitution de 1992. Désormais, plus besoin que le Premier ministre présente nécessairement sa démission afin qu’il soit mis fin à ses fonctions par le Président de la République, comme stipulé à l’article 38(Nouveau) de l’avant- projet selon lequel « le président de la République nomme le Premier ministre et met fin à ses fonctions… ». Par ailleurs, l’avant-projet dispose à l’article 53(Nouveau) que « le gouvernement met en œuvre la politique de la nation telle que définie par le Président de la République… ». Néanmoins, il ose maintenir à l’article 54(Nouveau) que « le gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale dans les conditions et suivant les procédures prévues par les articles 78, 79, et 79.1 de la présente Constitution ».

En conférant au Président de la République, la responsabilité de déterminer la politique de la nation tout en rendant le gouvernement responsable de cette politique qu’il ne fait pourtant que « mettre en œuvre », l’avant- projet de révision casse le moteur essentiel de l’équilibre institutionnel du régime semi-présidentiel ou semi-parlementaire que nous connaissons. Cette casse dessine une nouvelle architecture institutionnelle complètement anachronique dans laquelle le Président de la République, quoique politiquement irresponsable, détermine la politique de la nation que ne fait que conduire le gouvernement qui demeure toutefois responsable devant l’Assemblée nationale. En d’autres termes, le gouvernement va devoir répondre devant les députés y compris au prix d’une éventuelle destitution, d’une politique qu’il n’aurait ni définie, ni déterminée ! Si la détermination ou la définition de la politique de la nation revient au Président de la République, autant dire que le poste de Premier ministre est supprimé de facto. Et si le Premier devient l’exécutant de la politique de la nation déterminée par le Président de la République, le régime politique change substantiellement de nature juridique. De semi présidentielle ou semi parlementaire, il vire carrément vers un régime « présidentialisé » dans la cacophonie institutionnelle. La proposition créée de l’incohérence institutionnelle au cœur de la République du fait du décrochage entre pouvoir et responsabilité. Le Président de la République ne doit déterminer la politique de la nation que si sa responsabilité politique est établie.

A titre de droit comparé, le Sénégal a connu la même incohérence institutionnelle à travers l’article 36 de sa Constitution qui disposait :« Le Président de la République est le gardien de la Constitution. Il détermine la politique de la nation, que le gouvernement applique sous la direction du Premier ministre ». Dans ce pays également, le Président de la République déterminait la politique de la nation et c’est le gouvernement qui était responsable devant l’Assemblée nationale de cette politique.

Le 17 avril 2019, un projet de loi de révision constitutionnelle initiée par le Président Macky SALL visait à mettre un terme à cette incohérence institutionnelle par la suppression pure et simple du poste de Premier ministre. Ledit projet a finalement été adopté le 4 mai 2019 par les députés sénégalais. Du coup le Sénégal est désormais sorti des ambiguïtés et incohérences institutionnelles que l’avant-projet propose pour le Mali pour l’option d’un régime politique de nature présidentielle. La réforme constitutionnelle du Président Ma Macky SALL instaure au Sénégal une séparation rigide des pouvoirs caractéristique des régimes présidentiels avec les conséquences suivantes : le Président de la République est le seul chef de l’exécutif, le Président de la République ne peut plus dissoudre l’Assemblée nationale, les députés ne peuvent pus renverser le gouvernement. Cela n’a aucun sens, comme le fait l’avant-projet de révision, d’acter une « présidentialisation cacophonique » du régime politique du Mali.

Une Constitution exposée au grave danger de la révision par voie parlementaire excluant le peuple souverain

L’avant-projet de révision constitutionnelle a tellement cédé à la tentation de la banalisation de la procédure de révision qu’en la matière, il s’est montré beaucoup plus « performant » que les tripatouillages de 2017. Dans le projet de 2017, la révision par voie parlementaire était matériellement limitée par l’exclusion de cette procédure des dispositions constitutionnelles relatives à la durée ou le nombre de mandats du Président de la République, des députés et des sénateurs ainsi qu’à l’alinéa qui pose cette limitation.

L’avant-projet en son soi-disant article 110 (Nouveau) qui constitue en réalité l’article 118 (Nouveau), a fait sauter ce « verrou » en donnant carte blanche au Président de la République qui pourra faire tripatouiller à sa guise la Constitution par la majorité mécanique et docile qui lui sera naturellement acquise et dévouée au Sénat et à l’Assemblée nationale. Ainsi, l’alinéa 3 dispose : « Toutefois, le projet n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au parlement convoqué en congrès. Le texte est définitivement approuvé s’il réunit une majorité favorable des deux tiers des suffrages exprimés ». Mise à part les limitations matérielles de l’article 118-4 relatives à la forme républicaine, la laïcité de l’Etat et le multipartisme, l’avant-projet garantit au Président de la République une croisade anti-référendaire sans encombre qui met à la touche le peuple souverain dans le processus de révision de sa loi fondamentale. La révision constitutionnelle se fera à l’abri de toute contrainte référendaire et se réglera, en catimini, par la voie parlementaire du fait des caprices du Président de la République. Il est évident qu’un tel libéralisme procédural, dans le contexte politique de docilité parlementarisme que nous connaissons au Mali, expose naturellement la Constitution à un danger mortel de tripatouillages politiciens sans fin. La banalisation de la révision constitutionnelle à travers le circuit du labyrinthe parlementaire n’a pas d’issue démocratique et ne peut que conduire le pays dans l’impasse des inflations révisionnistes anti-républicaines.

La création de la structure pérenne de gestion des élections renvoyée aux calendes grecques

L’avant-projet de révision constitutionnelle voulait enterrer définitivement la création de la structure pérenne de gestion des élections qu’elle ne se serait pas pris autrement à travers le dernier alinéa de l’article 27 (Nouveau) ainsi libellé : « Un organe permanent et indépendant assure l’administration des élections et des scrutins référendaires dont il proclame les résultats définitifs dans les conditions fixées par une loi organique ». Le hic est que si cette structure « proclame les résultats définitifs des scrutins », comment va-t-on concilier cette prérogative avec l’article 37 (Nouveau) où il est stipulé que le Président élu entre en fonction quinze jours après « la validation des résultats par la Cour constitutionnelle ». Cela voudrait-il dire que les « les résultats définitifs » ne seraient pas si « définitifs » que ça, puisqu’ils devront faire l’objet de « validation » ?

Au-delà de cette fausse note, il faut reconnaître par ailleurs que l’avant-projet fait preuve de malice juridique. Quelle belle illusion en effet que de constitutionnaliser un organe dont la mise en place apparaît comme une urgence absolue qui ne peut aucunement souffrir des aléas d’une révision constitutionnelle hypothétique ! L’on se rappelle pourtant qu’en 97, on n’a pas eu besoin de réforme constitutionnelle pour créer la CENI de l’époque chargée de l’organisation et de la gestion des élections. L’article 27 (Nouveau) apparaît à cet égard quelque peu suspect.

Face aux échéances électorales en attente, l’avant-projet ne chercherait-t-il pas à redonner carte blanche au ministère de l’Administration territoriale terni par la mascarade électorale jamais égalée de la présidentielle de 2018 ? Cette question se pose, car même si par extraordinaire, la révision constitutionnelle aboutissait, il faudrait pour y voir clair, attendre la loi organique relative à ladite structure sur la composition de laquelle l’avant-projet de révision lui-même ne dit mot.

La constitutionnalisation de la structure pérenne indépendante d’organisation et de gestion des élections est un luxe juridique superflu dans le contexte actuel du Mali où il n’existe aujourd’hui aucun obstacle juridique à la création de cet organe par voie législative.

Dr Brahima FOMBA

Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJP)

(L’Aube 1068 du jeudi 16 mai 2019)

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