Procès du 13-Novembre: le mécanisme d’indemnisation des victimes en question
Meguetan Infos
Au procès des attentats du 13-Novembre, c’est la cinquème et dernière semaine dédiée aux auditions des rescapés et proches de victimes. Plus de 350 parties civiles ont témoigné de l’horreur des attaques et de leurs terribles conséquences. Au moment d’évoquer leur difficile chemin de reconstruction, nombre d’entre elles ont critiqué le processus d’indemnisation du Fonds de garantie des victimes.
Presque pas un jour ne se passe sans que ne soient évoquées des difficultés avec le Fonds de garantie. S’il est impossible de lister ici chaque cas particulier, les principaux reproches avaient été formulés dès le premier jour de témoignages par la fille de Manuel Dias, tué par un kamikaze aux abords du Stade de France. Elle avait dénoncé « un parcours du combattant qui va nous anéantir chaque jour », avant de lister les « lourdes démarches », le traumatisme « ravivé à chaque expertise », des experts « sans empathie » qui « minimisent les préjudices » et des parties civiles qui se sentent en position d’accusés, puisqu’il « faut justifier son statut de victime continuellement. »
Des expertises difficiles à vivre
Plusieurs victimes accusent d’ailleurs le Fond de se comporter comme un assureur. Dans certains domaines, les expertises peuvent être particulièrement difficiles, notamment pour ce qui touche aux séquelles psychologiques mais aussi ce qui a trait à la situation professionnelle, indique Philippe Duperron, président du l’association « 13onze15 ».
« Le problème de l’expertise c’est que l’expert doit déterminer un état qui doit déboucher sur une indemnisation. Il faut établir la relation de cause à effet entre l’attentat et la situation professionnelle dans laque se trouve la victime post-attentat. On a vu des experts qui avaient tendance soit à minimiser le préjudice, soit à mettre en doute le lien de causalité entre les deux. Et évidemment c’est toujours extrêmement violent d’entendre cette mise en doute », explique-t-il.
De la douleur ajoutée à la douleur
« Tout ça ajoute de la douleur à la douleur », déplore Philippe Duperron. Comme c’est le cas également pour ce qui est des difficultés de certains proches de victimes à être pris en charge, mais aussi l’impression d’un manque de transparence dans les critères d’indemnisation, même si le Fonds dit les tenir publics.
Philippe Duperron raconte ainsi que quand il a refusé une somme liée à la mort de son fils, une autre, supérieure, lui a été proposée, sans aucune explication. D’où la terrible impression d’une « sorte de poker », alors qu’il est déjà si difficile aux victimes de voir un montant mis sur leur perte.
« Mais il faut reconnaitre que quoi qu’il fasse, le Fonds ne pourra jamais être à la hauteur des souffrances ressenties », pointe Philippe Duperron. Or, il tient à le préciser, ce système d’indemnisation, malgré ses imperfections, joue un rôle très important. D’autres pays, y compris européens, nous l’envient d’ailleurs, ce que souligne également Julien Rencki, le directeur général du fonds de garantie.
Un service public sans objectif économique
Julien Rencki réfute par ailleurs fortement la comparaison avec un assureur. Le Fonds de garantie est un service public, contrôlé notamment par la Cour des comptes, qui n’a aucun budget ou limite de budget, insiste-t-il. Il n’a donc « aucun objectif économique », uniquement celui d’une « juste indemnisation. »
Concernant les attentats du 13 novembre, le Fonds a recensé 2 600 victimes. 82% ont reçu une offre définitive d’indemnisation : 70% d’entre elles l’ont acceptée, 6% des victimes la contestent en justice. Entre sommes définitives et provisions déjà versées, près de 145 millions d’euros ont été octroyés à ce jour. 16 fausses victimes ont également été débusquées.
Julien Rencki se dit toutefois parfaitement conscient du ressenti des victimes. Mais il découle de fait, selon lui, du choix fait par la France de proposer une « indemnisation totale » (qui prenne en charge les séquelles physiques et psychologiques mais aussi la situation économique), individualisée et non forfaitaire comme cela peut être le cas dans d’autres pays.
« La difficulté, souligne-t-il, c’est que pour que le Fonds de garantie puisse indemniser au plus près la réalité les séquelles et traumatismes, ça suppose qu’il les connaisse. D’où la nécessité d’établir ces préjudices. D’où la nécessité de l’expertise médicale. Et je sais combien c’est un moment sensible et parfois très mal vécu par les victimes qui, face à un médecin qui n’est pas là pour les soigner -c’est un médecin expert- mais qui est là pour évaluer les séquelles, peuvent avoir le sentiment de devoir, quelque part, justifier de leur souffrance. »
Travailler à améliorer le dispositif
Le Fonds de garantie et associations sont unanimes : il y a matière à améliorer le dispositif. Ils y travaillent ensemble. Une charte de l’expertise médicale a été adoptée, l’accent est mis sur la formation des experts et une consultation sur le processus d’indemnisation a été lancée cet été auprès de 5 500 victimes d’attentats perpétrés depuis 2015 notamment.
Mais il faudra sans doute aborder aussi des problématiques plus complexes, soulignent tout deux Philippe Duperron et Julien Rencki, comme une éventuelle forfaitisation dans certains domaines ou l’intervention du juge plus tôt au cours du processus, même sans contentieux.
L’objectif étant de faire en sorte que ce dispositif, soutien crucial à la reconstruction, ne devienne pas, paradoxalement, une entrave à cette reconstruction.
Guillaume, la 131e victime
Parmi les témoignages des victimes du Bataclan, il y a ceux du père et des deux frères de Guillaume Valette, décédé deux ans après l’attentat.
« Guillaume n’a pas été tué le 13 novembre 2015, il a été tué à petit feu. » Ce sont les mots d’Arlette, la mère de Guillaume, qui n’a pas eu la force de venir témoigner et qui a demandé à l’un de ses fils de lire la lettre à la barre.
Alain, son père, lui, raconte la longue descente aux enfers de son fils, pourtant rescapé de la tuerie du Bataclan, mais brisé à jamais psychologiquement par l’horreur dont il a été le témoin.
Le bruit des tirs gravé à jamais dans son esprit, le regard fixe de la jeune femme morte à côté de lui, comment il a enfoui sa tête parmi les cadavres pour se cacher, les corps entassés qu’il a fallu enjamber et puis, quand il a réussi à se mettre à l’abri, ces cris terribles qu’il a entendu pendant des heures au travers d’une cloison avant d’être libéré par les policiers.
Des souvenirs dont Guillaume n’aura jamais réussi à se défaire, au point de sombrer lentement vers des délires hypocondriaques et une dépression sévère.
Et puis la vie sociale qui s’arrête, l’hospitalisation et le suicide tout juste deux ans après cette nuit sanglante.
S’en est suivi un combat pour que la justice reconnaisse enfin Guillaume comme une victime directe des attentats du 13-Novembre, la 131e. Sa mère conclut dans sa lettre : « Elle ne pardonnera jamais. »
PROCÈS DES ATTENTATS DU 13-NOVEMBRE
RFI