Le taux d’abstention record des élections législatives du 17 décembre révèle la profondeur du fossé qui sépare les dirigeants tunisiens de leur population. Il est donc urgent d’organiser un scrutin présidentiel anticipé.
Les élections législatives qui se sont déroulées en Tunisie ce 17 décembre ont été marquées par une abstention massive. Le taux de participation, extrêmement bas, est sans précédent. Les raisons de cette désaffection populaire sont nombreuses et méritent d’être évoquées en profondeur.
Descente aux enfers
Tout d’abord et surtout, le contexte socio-économique, particulièrement difficile et tendu, a pesé de tout son poids. Les Tunisiens font, hélas, la queue pour se procurer des denrées de première nécessité telles que le lait et le sucre, pas pour voter. Ils sont préoccupés et épuisés par les pénuries, par le chômage de masse et par l’inflation, qui a atteint 9,8% en novembre dernier – le pays frôle une inflation à deux chiffres, et donc l’hyperinflation… Les Tunisiens sont exaspérés par cette descente aux enfers, dont ils ne voient pas l’issue.
À LIRERecord mondial d’abstention en Tunisie : cinq questions pour comprendre les résultats des législativesVient ensuite le climat politique, particulièrement délétère. Bien qu’il concentre tous les pouvoirs entre ses mains depuis juillet 2021, le président, Kaïs Saïed, n’a rien fait pour résoudre les problèmes du pays. Il n’a d’ailleurs rien tenté, et la situation se dégrade. Le pouvoir législatif – en l’occurrence l’Assemblée – s’estime donc lésé. Un argument est sans cesse revenu durant cette campagne électorale : « À quoi bon aller voter ? Dans le régime hyper-présidentiel qu’impose la Constitution de M. Saïed, le chef de l’État dispose de tous les pouvoirs ». Les citoyens n’ont pas vu l’utilité de participer à ce scrutin. La prolifération de candidats au profil sulfureux et/ou insuffisamment compétents n’a fait que renforcer la désaffection populaire.
Conditions draconiennes
Il est une autre raison à cette abstention massive, inhérente, celle-là, à la loi électorale édictée par Kaïs Saïed. Les conditions draconiennes imposées aux candidats potentiels ont entraîné un effondrement du nombre des candidatures. L’offre politique s’est réduite comme peau de chagrin. Parmi ces conditions figurent la suppression du financement public de la campagne et l’obligation, pour les candidats, de recueillir jusqu’à 400 parrainages dans leur circonscription, alors qu’un nouveau découpage électoral a rétréci ces circonscriptions.
Si la loi électorale et l’hyperprésidence de Kaïs Saïed expliquent le désintérêt, l’indifférence et l’abstention massive des Tunisiens lors de ces législatives, le contexte socio-économique dans lequel ils évoluent demeure la raison principale de cette bérézina. En effet, si le président avait entrepris les réformes vitales qui s’imposent et s’il s’était attelé à résoudre les problèmes qui asphyxient le pays, les Tunisiens n’auraient pas puni le pouvoir aussi sévèrement.
Crise de légitimité
Kaïs Saïed saura-t-il tirer les leçons de ce cinglant désaveu ? Nous sommes dubitatifs, tant ce dirigeant a pour habitude de ne rien assumer. Il préfère tenir les autres pour responsables de tout ce qui va mal dans le pays. Quoi qu’il en soit, la crise de légitimité se confirme à l’issue de ces législatives.
À LIRETunisie : Kaïs Saïed, ou la pratique personnelle du pouvoirCette crise a commencé au lendemain de l’entrée en vigueur de la Constitution adoptée le 25 juillet 2022, car toute nouvelle Constitution implique de facto une nouvelle légitimité constitutionnelle qui rompt avec la précédente. Par conséquent, une élection présidentielle anticipée doit être organisée. Il est inconcevable, et totalement démagogique, de continuer à exercer un mandat émanant de la légitimité conférée par l’ancienne Constitution tout en utilisant les prérogatives issues de la nouvelle. En définitive, sur quelle base Kaïs Saïed peut-il se maintenir au pouvoir et imposer son projet autocratique, réactionnaire et populiste ? La crise de légitimité est réelle et ne saurait être ignorée.