Nouveau meurtre en pleine rue à Charleroi: “Ici, c’est le Delhaize de la came”
7/7.be
REPORTAGELe boulevard Jacques Bertrand à Charleroi a été une nouvelle fois le théâtre d’une scène de violence. Dans la nuit de dimanche à lundi, un homme en séjour illégal y a été tué à la suite d’une bagarre avec un autre homme. Nous sommes allés à la pêche aux témoignages dans le quartier.
Le calme règne ce mardi après-midi au boulevard Jacques Bertrand à Charleroi. Les badauds déambulent en toute décontraction.
Coup de couteau
Pourtant, au même endroit, un homme a reçu un coup de couteau en plein thorax dans la nuit de dimanche à lundi. En séjour illégal, la victime s’est effondrée quelques mètres plus loin, sur l’avenue de l’Europe. À l’arrivée des secours, elle était encore consciente avant de décéder quelques instants plus tard”, a confirmé lundi matin le Parquet de Charleroi. Lundi, son identité n’était toujours pas connue.
Le suspect est, lui, identifié. Âgé de 42 ans, il a pris la fuite à la suite des faits. “Il a pris la fuite à bord d’un taxi et son point de chute a pu être retrouvé. Cependant, à l’arrivée des services de police, il avait quitté les lieux et n’a toujours pas été retrouvé à l’heure actuelle. Il est bien connu de la justice principalement pour des faits de vol et a déjà été condamné à plusieurs reprises”.
Silence
Dans le voisinage, personne n’a rien remarqué ce jour-là. Et quand c’était le cas, personne n’a désiré témoigner. “Je ne souhaite pas répondre aux questions. Je n’ai pas envie d’avoir des problèmes” nous réplique-t-on, par exemple, par sonnette interposée. Pourtant, la garantie de l’anonymat est proposée au riverain qui décroche son parlophone: “Peu importe! Je ne veux pas être mêlé à ces histoires”. Quelles histoires? Même le Parquet de Charleroi ne connaît pas la nature du conflit qui opposait les deux rivaux dimanche. Nous ne le saurons pas non plus.
“Pire que Paris”
Une chose est certaine. Le trafic de drogues a pignon sur rue dans cette avenue. “Si l’on excepte la période des travaux durant laquelle les affaires ont tourné au ralenti, c’est le Delhaize de la came ici” raconte Pierre (prénom d’emprunt). Il habite dans le coin depuis peu. Mais cela fait plus de 20 ans que sa maman loge là. Il a donc eu le temps de se faire une idée sur les environs: “Quand j’arrivais de Liège, j’avais à peine le temps de me garer qu’on me proposait directement des doses. C’est vraiment la cour des Miracles”.
Pourtant, l’homme a vécu dans d’autres métropoles: précisément dans la Cité Ardente, à Bruxelles et à Paris. “J’ai habité à Paris pendant 13 ans. Je n’y ai jamais vu un quartier comme ça sauf à la rue Myrha. Mais dans cette rue, même les CRS (NDLR/ Compagnies Républicaines de Sécurité) ne s’y aventuraient pas. En cas de problèmes, ils la bloquaient, mais ils n’y entraient pas” décrit-il. “À Bruxelles, j’ai côtoyé le quartier Matongé. Il n’y avait pas de soucis comme ici. Un jour, j’ai amené mon ex au boulevard Jacques Bertrand. Elle a réellement été surprise par l’endroit. Il y a une dizaine d’années d’ici, ma maman a même été attaquée entre Noël et Nouvel An”.
Une nuit avant
Dans la nuit de dimanche à lundi, il n’a rien vu de ce qui s’est passé: “Il y a tellement souvent des altercations que je ne porte plus attention au moindre bruit. Il faut vraiment que le boucan soit important pour que je me lève et que je jette un œil”.
Par contre, il a alerté les services de police… dans la nuit de samedi à dimanche: “Vers trois heures du matin, il y a eu une énorme bagarre devant le bar ‘Le Gringo’. Il y avait 15 ou 20 mecs. Certains balançaient des briques du chantier sur l’établissement. Cela a duré une dizaine de minutes. Quand la police est arrivée, tout le monde s’était déjà enfui”.
Partir
Le concitoyen de 52 ans ne voit qu’une solution à la problématique: “Partir. À moins que les travaux entamés ici ne changent la donne! On voit déjà ce que ça donne et c’est beau”.
Partir. Le mot est lâché. Caroline (nom d’emprunt) sort de son immeuble. Elle n’escompte pas faire de vieux os dans le secteur: “Vivement que je me casse d’ici! Je veux déménager le plus rapidement possible. C’est un quartier de merde (sic)”.
“Aucun respect”
Son discours ne diffère pas beaucoup de celui de Pierre: “Il y a des agressions tout le temps. Pas tous les jours. Mais assez souvent quand même. Il n’y a plus aucun respect”.
Un de ses voisins l’interrompt. Il montre du doigt des logements en face: “Tous les gens qui habitent dans l’immeuble où vous avez sonné foutent le bordel”. Malgré nos tentatives, personne ne nous y avait répondu.
Police
Caroline reprend: “La police doit faire le nécessaire. Il y a aussi beaucoup de dealers”.
Les forces de l’ordre n’y ménagent pourtant pas leurs efforts. Régulièrement, elles mènent des opérations contre le trafic de stupéfiants à la Ville-Haute. Les dernières fois, elles se sont même concentrées sur le tronçon compris entre le boulevard Jacques Bertrand et le parc Notre-Dame. Plusieurs arrestations ont eu lieu.
“Ville de l’amour”
Malgré ses récriminations, Caroline n’a cependant jamais été violentée à Charleroi: “Pas à Charleroi, non”. Riveraine du boulevard Jacques Bertrand depuis un an, elle n’a pas non plus assisté à la moindre rixe de ses propres yeux: “Dimanche soir, je n’aurais rien su voir vu que je rendais visite à ma famille”. Par ailleurs, elle n’évite pas non plus de sortir: “Je n’ai pas peur. Je ne vois pas pourquoi ce serait le cas. Sinon, on ne vit plus”.
Alors que nous sommes en pleine discussion, une passante intervient: “Charleroi, c’est la ville de l’amour. J’y viens tous les jours depuis Bruxelles. Ce n’est pas pire qu’ailleurs, vous savez”. Caroline n’est pas complètement d’accord avec elle: “C’est vrai qu’il y a des mauvais quartiers partout. Mais pour le reste, il faut vivre ici pour comprendre. Vous habitez ici?” La réponse est négative. “Bein voilà! C’est la totale ici” conclut Caroline.
Identité
Elle ne veut pas davantage s’attarder. Elle craint de trop en dire: “On ne sait jamais qu’on vienne me trouver après cela. Mais je vous en ai déjà dit pas mal”. C’est notamment pour cette raison qu’elle n’a pas souhaité dévoiler son prénom ni même son âge.
En flânant un peu, nous tombons sur Catherine. Âgée de 81 ans, c’est la seule qui ait accepté que son prénom soit publié: “Mais je ne vous donne pas mon nom. Je n’ai pas envie que cela se retourne contre moi”. Cela fait six mois qu’elle est domiciliée à proximité.
Cris
Dimanche soir, elle n’a rien décelé d’inhabituel: “Vers quatre ou cinq heures du matin, on entend toujours des cris dus à des disputes ou des bagarres. Le trafic de drogues est aussi extrêmement visible”.
Amies agressées
À titre personnel, elle a aussi des choses à raconter. Deux de ses amies ont récemment été agressées. Pas au boulevard Jacques Bertrand à proprement parler. Mais à quelques mètres de là.
La première de ses “copines” a été molestée à l’entrée de la station de métro “Beaux-Arts”: “Elle a été poussée dans les escaliers du métro. Une fois à terre, ses agresseurs lui ont volé son sac. Elle est tombée en syncope. Elle a eu une commotion cérébrale. Ses poignets et ses bras ont été brisés. Aujourd’hui, elle est sortie de l’hôpital, mais elle a des pertes de mémoire. Et elle est traumatisée. Elle ne sort plus pour l’instant”.
La seconde a été brutalisée à la rue de la Poterne: “Elle s’est fait casser les doigts par son ancien propriétaire. Ils avaient un différend. Ma copine a trouvé un autre logement. Le proprio n’a pas voulu lui rendre sa caution. Du coup, elle ne lui a pas rendu les clés de l’appartement. Tout s’est envenimé à partir de là”.
Heureusement, rien de tel n’est jamais arrivé à Catherine: “Je n’ai pas peur. Sinon, on ne fait plus rien”. Ni au boulevard Jacques Bertrand, ni ailleurs dans la ville: “J’ai vécu dix ans dans la même rue avant de partir et de revenir pour raisons familiales”. Pas de regret? “Si, mais ça ne sert à rien d’en avoir”.
Direction l’Irlande
Aujourd’hui, elle prépare déjà son départ… pour l’Irlande: “Je suis Irlandaise. Dans un mois ou deux, je retourne dans mon pays”. Sa préférence est clairement affichée: “Quand j’ai débarqué à Charleroi il y a 50 ans, ce n’était pas comme de nos jours. Désormais, le trafic de drogues gangrène la cité. Un jour, j’ai vu un individu enlever une poubelle d’une bouche d’égouts. Au début, je me suis demandée pourquoi, mais j’ai vite compris quand je l’ai vu sortir du sac des liasses de billets et des sachets de drogue. Les trafiquants cachent leurs produits partout… Dans des trous, dans les murs…”
Elle ne retrouve pas tout cela sur l’île d’émeraude: “Aucun quartier comme celui-ci n’existe en Irlande. Bien sûr, il y a des bagarres d’Irlandais à cause de l’alcool. Mais une fois que c’est réglé, ils se serrent la main. Après, je vis dans le sud de l’île. Je ne sais pas comment ça se passe dans le nord. J’imagine que la cohabitation avec les Anglais y est plus compliquée. Mais globalement, l’Irlande est plus conviviale que Charleroi. C’est triste de voir le manque de respect et de tolérance qui règne ici. Voir autant d’agressions et de drogue, c’est spécifique à Charleroi. La saleté aussi même si ça s’est amélioré au fil du temps. La mentalité est très différente de là-bas. C’est simple. Mon petit-fils a un jour voyagé en Irlande avec moi. Il ne voulait plus rentrer”.
Avenue de l’Europe
L’avenue de l’Europe où le sans-papier s’est écroulé avant de décéder dimanche soir n’est pas mieux lotie. Parmi les reproches récoltés sur place, on peut citer le manque d’éclairage dû aux travaux ou encore la présence de squatteurs en plus du deal de rue et de la violence. Une habitante nous a même confié qu’elle n’osait plus dormir seule dans son logement et qu’elle escomptait acheter des volets.
Il y a un an presque jour pour jour, le Spawn Bar avait d’ailleurs été cambriolé dans cette voirie. Preuve que les difficultés rencontrées dans le périmètre ne datent pas d’hier! Cela fait même de nombreuses années qu’elles se répètent.
En attendant, un dossier pour meurtre a été mis à l’instruction pour la mort de l’individu survenu dimanche. Aux dernières nouvelles, l’auteur présumé des faits est toujours en fuite.
Statistiques
Voici quelques statistiques criminelles enregistrées par le Parquet de Charleroi pour l’année 2021!
• 39 mandats d’arrêt pour des faits de meurtres, de tentatives de meurtre, d’assassinats ou de tentatives d’assassinat ont été ordonnés sur le territoire de la Zone de Police de Charleroi.
• 148 des 446 mandats d’arrêt prononcés ont trait à la lutte contre le trafic de stupéfiants.