“Nous vivions comme si nous étions des maitres absolus de l’avenir” et covid est passé par là (J. Attali)
Meguetan Infos
On m’a raconté un jour (mais je ne peux jurer de l’authenticité de l’anecdote) que, à la fin des années trente, dans certains milieux de la bourgeoisie française, sur les cartons d’invitation pour un déjeuner, une soirée, ou un vernissage d’exposition, on ajoutait à la formule classique (RSVP, pour « Répondez s’il vous plait »), l’acronyme mystérieux : SHLP, pour «Si Hitler Le Permet », tant l’inquiétude grandissait de voir une guerre se déclencher à tout moment, conduisant à l’annulation de toutes ces festivités.
Aujourd’hui, on pourrait à juste titre glisser, dans toutes les invitations à des déjeuners, des diners, des colloques, des forums ou autres inaugurations, un acronyme du même genre : SCLP, « Si Le (ou plutôt «la», selon l’étrange choix grammatical qui a prévalu) Covid Le Permet ».
De fait, en deux ans, on a fini par réaliser que plus rien ne peut être prévu avec autant d’assurances qu’avant. Ni un déjeuner, ni un rendez-vous, ni un diner, ni des vacances, ni tout autre rendez-vous, de toute nature. On a même fini par admettre que cette situation n’était pas une parenthèse, qui devrait bientôt se fermer, mais bien une dimension structurelle de la condition humaine dont les riches et les puissants, aussi bien que la plupart des gens de la classe moyenne, avaient fini par oublier la fragilité et la finitude. Négligeant une évidence : à chaque instant, notre vie peut prendre un autre tour, ou s’interrompre.
Nous vivions comme si nous étions des maitres absolus de l’avenir. Absurde illusion que la pandémie a dissipé. SLCLP devrait donc être la marque de 2022.
Si on y réfléchit un peu, la formule n’est pas aussi négative qu’il peut sembler. Dire ou écrire, sur une invitation, « SLCLP » c’est déjà faire des projets, les afficher, et les mettre en œuvre, même si on garde présent à l’esprit qu’ils peuvent être rendus impossibles par un évènement indépendant de notre volonté. C’est ne pas avoir renoncé à se projeter dans l’avenir. C’est se souvenir que seuls les gens ayant des projets peuvent durer. C’est d’ailleurs la grande leçon que Victor Frankl, l’élève de Freud, avait tiré de son martyr à Auschwitz : pour survivre à la tentative de meurtre permanente, qu’était la vie dans les camps, il fallait ne jamais penser à l’imminence de la mort, ni à la faim, et avoir des projets. Cette leçon, dont Frankl tira après la guerre une profonde théorie psychanalytique, s’applique parfaitement à la situation d’aujourd’hui.
Dans le monde qui vient, et dès 2022, rien ne serait pire que de baisser les bras, de renoncer, de ne penser qu’aux dangers la pandémie, de se croire malade sans l’être encore, de se penser condamné dès la nouvelle de l’infection, de plier bagages, de lâcher la rampe, de ne plus prévoir de rencontres, de vacances, de voyages, d’initiatives. Et pourtant, le risque est grand de voir bien des gens être tentés de vivre dans l’instant, dans la résignation. Ceux qui le feront, entreprises comme nations ou individus, ne feront qu’accélérer la venue des évènements qu’ils redoutent, selon l’engrenage classique de la prophétie autoréalisatrice.
Aussi, en cette fin d’une deuxième année marquée par cette incertitude nouvelle, il est particulièrement important de continuer à faire des projets, et même, plus que jamais, d’entrer dans le détail de l’organisation de leur mise en œuvre.
Pour ma part, (et je vous invite à en faire autant) je regarderai la liste que j’avais préparée à la même époque l’an dernier ; je verrai ce qui a été fait, ce qui a échoué, ce que je n’ai pas même essayé. J’y ajouterai l’essentiel, c’est-à-dire tout ce que l’imprévu m’a fait faire en plus ou différemment ; je réfléchirai à la raison pour laquelle je m’étais donné ces ambitions. Je définirai mes objectifs pour les douze mois à venir, (qui seront d’ailleurs radicalement différents de ceux que je m’étais fixés l’année précédente) ; enfin je chercherai comment avoir les moyens de les mener à bien, même si le Covid tentait de prétendre m’en empêcher. En espérant pouvoir en arriver à écrire un jour non plus SLCLP mais IMQIA («invitation maintenue quoiqu’il arrive. »)
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