Ne pas oublier les civils dans la lutte antiterroriste au Sahel
La Cédéao promet un milliard de dollars supplémentaires pour combattre le djihadisme ces quatre prochaines années. Les ONG de la société appellent à investir dans le développement plutôt que dans la réponse militaire.
La Cédéao promet un milliard de dollars supplémentaires pour combattre le djihadisme dans les quatre prochaines années.
A première vue, la somme paraît importante : c’est plus du double de celle promise fin 2018 à la force conjointe du G5 Sahel par les bailleurs étrangers (Union européenne, Arabie Saoudite, Etats-Unis, France et Emirats arabes unis). D’autant que ces fonds n’ont pas tous été débloqués.
Cette fois, la somme promise provient de fonds internes de la Cédéao, élargie pour l’occasion à la Mauritanie et au Tchad.
Un milliard de dollars, pour quoi faire exactement ? Pour le moment, on ne sait pas : le budget et le plan seront détaillés au prochain sommet sous-régional à Abuja, en décembre.
Ce qui a déjà été annoncé, est que la somme sera employée à “renforcer les capacités opérationnelles” des forces armées du G5 Sahel et des armées nationales déployées sur le terrain.
Briser le cycle de violence…
L’annonce déçoit les organisations de la société civile dans les zones concernées qui mettent plus l’accent sur l’aide au développement.
Amadou Barre Cheffou, secrétaire exécutif de l’ONG Karkara travaille notamment dans la région de Tillaberi au Niger, dans la zone frontalière avec le Mali et regrette la “désolation” semée par les groupes armés :
“Ils brûlent les écoles, ils chassent les enseignants et s’en prennent même aux autorités locales qu’ils considèrent comme les informateurs du gouvernement au niveau du pays. Les besoins sont énormes, au-delà de la sécurité, parce que les populations qui ont dû quitter leur village et leur ménage ont des besoins alimentaires, des besoins de soins et aussi d’éducation de leurs enfants.”
… en misant sur les jeunes
Le politologue nigérien Souley Adji estime qu’il faut agir en priorité en direction des jeunes.
“Il faut occuper ces jeunes, leur trouver un emploi. Parce qu’il y a aussi des impératifs sociaux qui sont forts : dans ces villages-là, il faut que les jeunes gens et les jeunes filles soient mariés. S’ils se retrouvent à 25 ans encore célibataires, il y a des risques qu’ils rejoignent les groupes djihadistes.”
D’où l’importance à ce que les populations civiles et leurs aspirations soient aussi davantage prises en compte.
Amadou Barre Cheffou ajoute : “Cette crise ne peut pas se résoudre de manière militaire. Si on prend le début de l’intervention [de l’armée française] Barkhane jusqu’à aujourd’hui, ça fait plus de cinq ans qu’on est en train de patauger. On ne peut pas dire que les besoins militaires ne sont pas nécessaires, mais il faut aussi d’autres approches, qui visent notamment la satisfaction des communautés en aval pour leur donner le sentiment d’appartenir à un espace national et que leur mal est pris en compte par les autorités au sommet. C’est très important. J’ai cru comprendre que l’Union européenne en avait pris conscience, elle a lancé des appels à proposition pour un certain nombre de projets dont les montants sont assez consistants, que ce soit pour ce qu’ils appellent le ‘fuseau ouest’, c’est-à-dire la Mauritanie, le ‘fuseau centre’, côté Niger-Mali-Burkina, et le ‘fuseau est’ au Tchad-Niger. Ça permettra de travailler au renforcement des infrastructures sociales de base et faire face aux besoins et nécessités de base des communautés.”
La consultation des leaders et associations locales est donc primordiale pour qu’un dialogue s’établisse entre l’Etat et les habitants, mais aussi entre les militaires et les habitants, qui pourraient leur fournir les informations précieuses s’ils avaient moins peur des terroristes et davantage confiance dans les forces armées.
Le Niger fait déjà des efforts, note Souley Adji: “Dans l’ouest du Niger, les marabouts, les chefs traditionnels sont très impliqués. Ils sont formés, il y a des groupes de dialogue entre les autorités traditionnelles et les autorités modernes, administratives. C’est une voie à suivre par les autres pays. Bien sûr, il faut qu’en amont les Etats mettent les moyens pour que les pays soient développés .”
Le rôle de l’Allemagne
Le changement de paradigme se doit d’être soutenu par l’Occident, selon Grit Lenz, qui dirige Fokus Sahel. Il s’agit d’une association allemande qui a organisé en mars dernier une conférence à Francfort avec des acteurs sahéliens sur le thème “Comment sortir de la violence ?” (voir document pdf ci-dessous). Et parmi les recommandations des participants, il y a également une révision de la politique de coopération des Etats occidentaux :
“Un grand défi est de mieux intégrer la société civile des zones victimes de la violence dans les zones reculées et qui sont moins organisées, qui ont du mal à se faire entendre. La logique de la coopération, ce sont toujours des programmes à court terme et pour avoir des financements, il faut savoir faire des dossiers de demandes.”
Tous insistent enfin sur l’importance d’une meilleure gestion, plus transparente, de l’Etat pour un développement durable.
Source : Deutsche Welle