Mohamed Taher Ould El Hadj, 2e vice-président du collège transitoire de Taoudéni : « J’ai toujours proclamé mon attachement à l’unité nationale du Mali dont j’ai tout le temps brandi les couleurs nationales »
Meguetan Infos
Créée officiellement en 2016, alors que le décret a été adopté quelques années auparavant, la région de Taoudéni n’arrive pas à décoller comme il se doit et amorcer un développement harmonieux. De plus, elle fait face à certaines rivalités et des querelles de leadership. Pour en savoir plus, nous avons échangé avec le 2e vice-président du Collège transitoire de Taoudéni, Mohamed Taher Ould El Hadj, qui a bien voulu nous accorder cette interview afin d’évoquer les obstacles empêchant la région de prendre son envol.
Le Wagadu : Aujourd’hui, comment se porte la région de Taoudéni ?
Taher Ould El Hadj : La région de Taoudéni se porte de mieux en mieux. D’énormes efforts sont en train d’être déployés en vue de la rendre viable. Vous savez, cette région n’a été créée effectivement qu’en 2016. Dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger signé en 2015, le gouvernement malien a consenti d’importants efforts financiers et sécuritaires, en désignant à sa tête, un des Grands officiers supérieurs des FAMA, en la personne du Général Abderrahmane Ould Meidou.
Sa bravoure, son sérieux, sa rigueur, son professionnalisme et surtout son patriotisme sont autant de qualités qui ont prévalu à cette nomination. Nous ne pouvions pas avoir meilleur que lui à cette fonction pour l’opérationnalisation de cette nouvelle entité administrative dont le développement reste toujours handicapée par son éloignement de la Capitale Bamako, son extrême enclavement à cause de ses pistes périlleuses car non balisées, sablonneuses ou rocailleuses. Une situation due à la gestion mafieuse des projets par certaines ONG, ironiquement administrées par des enfants de la Région.
Je veux nommer comme exemple l’ONG familiale de Jamal El Oumrani « Paix et Progrès ». Celle-ci est actuellement dirigée par son frère, Moulaye El Oumrani. Tous deux possèdent la double nationalité malienne et allemande leur permettant d’être mieux introduits dans certaines chancelleries et organisations.
Cette situation a conduit à d’importants détournements de fonds destinés à l’exécution de plusieurs projets financés par la Banque Mondiale, la MINUSMA ou la GIZ allemande. Parmi ces projets figure notamment le balisage de la route de Tombouctou– Taoudéni qui n’est qu’une arnaque et une escroquerie parce que les travaux n’ont pas été faits comme il faut.
Ce que l’on voit sur cet axe, ce sont juste quelques fûts écartelés à des distances ridicules. Ce n’est pas tout. On peut aussi ajouter à cette liste non exhaustive l’installation du VCAT à Taoudéni et l’extension du réseau de communication, financé par le ministère de la Communication ; le projet de création d’une palmeraie à Taoudéni où des troncs secs de palmiers ont été plantés dans le sol et montrés pompeusement à l’ORTM, alors que la réalisation d’un tel projet demande l’accomplissement préalable des études et des analyses de sol avec l’importation coûteuse des rejets des palmiers dattiers en prévenance des oasis dans la sous-région.
Les études techniques pour la réalisation du plan d’urbanisme de la ville de Taoudéni, financé à coup de millions par la Banque Mondiale, ont été bâclées et réalisées clandestinement, en dehors du respect de toutes les procédures règlementaires requises, dont en premier lieu la participation des structures régionales et locales. Ceci a d’ailleurs fait l’objet d’un article percutant publié par un des journaux de la place.
Le Wagadu : Pourtant, malgré ces projets, on voit que la région est toujours enclavée. Comment faire pour accéder à Taoudéni par la route ?
Taher Ould El Hadj : Pour parcourir en assurance les 650 kilomètres qui séparent Taoudéni de Tombouctou, il faut mobiliser une importante logistique : au minimum deux véhicules tout terrain, avec pour chaque voiture, 400 litres de carburant, 200 litres d’eau douce, des provisions alimentaires suffisantes, et un Guide chevronné, familier avec tous les repères géographiques, de ce NO MAN’S LAND, austère où des milliers de caravaniers ont eu à perdre la vie, suite à des tempêtes de sable ou à une désorientation fatale du Guide principal.
Avant l’introduction des moyens modernes de navigation terrestre dans la zone (GPS et Boussole), il était quasiment suicidaire de s’aventurer de mener une expédition sans Guide, dans cette zone désertique, connue jadis pour sa prison mouroir à ciel ouvert : le tristement célèbre Bagne de Taoudéni.
À ces conditions climatiques difficiles est venu s’ajouter un autre obstacle majeur, le phénomène de l’insécurité qui constitue aujourd’hui un des plus grands défis pour le gouvernement malien en vue de rétablir sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire.
Le Wagadu : De sa création à nos jours, quels sont les enjeux et défis auxquels fait face la région de Taoudéni ?
Taher Ould El Hadj : À ce sujet, permettez-moi de commencer par vous parler de la situation politique qui fait que la région est aujourd’hui au cœur d’une guerre de leadership. Celle-ci oppose les tenants de l’ancienne nomenclature de l’UDPM et ses partisans avec la nouvelle génération issue des différentes rébellions qui ont secoué le septentrion malien. Cette dernière, considère le premier groupe comme étant ceux qui ont largement profité des largesses politiques et économiques de l’Etat malien aux dépens de l’écrasante majorité des populations bédouines, et cela de l’indépendance du Mali à nos jours.
En analysant le caractère sociologique des acteurs qui se tiraillent le leadership de la Région de Taoudéni, l’on peut caricaturer la situation politique par une « lutte intestine, entre citadins et nomades ». Dans le jargon local cela transparaît à travers la dénomination de ces groupes : « les Koiridje ou citadins » versus « les GandjiBoro ou Nomades ».
Les premiers ayant profité de la scolarisation de leurs enfants tandis que les seconds se prévalent aujourd’hui de l’avantage sur le terrain, offert par la lutte révolutionnaire pour la démocratie et l’émancipation dont les Mouvements dans la zone sont constitués majoritairement des combattants armés, issus de ces tribus bédouines et qui avaient très peu profité des avantages de l’Ecole moderne. Pour ces nomades, ces citadins ont toujours profité de leur statut d’intermédiaire entre eux et l’administration coloniale et après entre eux et les différents régimes qui se sont succédé à la tête du Mali souverain.
Cette problématique de lutte des classes dans le marxisme- léninisme se retrouve parfaitement à Taoudéni comme dans toutes les régions du septentrion malien. Malheureusement, les dirigeants maliens n’ont pas toujours pris en compte cette dimension dans les enjeux sur le leadership dans le Nord du Mali. Alors que cette situation a conduit à l’aliénation de la majorité de la composante nomade qui voit en l’État, un soutien partial et indéfectible à des spoilers indésirables qui en fait ne représentent rien aux yeux de ces communautés nomades.
Le cas de l’imposition à la tête du Collège Transitoire de Taoudéni, de Hamoudi Sidi Ahmed AG ADDA, un ancien opérateur économique de Gao, est une illustration flagrante de cette politique maladroite vis-à-vis de ces communautés nomades marginalisées et qui ne cherchent qu’à intégrer le tissu social de la nation malienne. Aucune communauté malienne n’acceptera qu’on lui impose un leader qui n’a jamais résidé avec elle, même si ses parents sont natifs de la région. D’autant qu’il est distant des réalités et des difficultés du quotidien de ces bédouins.
Le Wagadu : Selon-vous qu’est-ce qui alimente ces antagonismes au sein du Collège Transitoire de Taoudeni ?
Taher Ould El Hadj : Pour bien comprendre la situation, il est important de placer les choses dans leur contexte. Il y a un premier groupe des protagonistes pour le leadership de Taoudéni qui est dirigé par Jamal El Oumrani (Opérateur Économique) et Sidaly Bagna. Lequel est opposé à un second groupe dirigé par Dina Ould Daya (Premier Vice-président du Collège Transitoire de Taoudéni) et moi-même.
Sur le terrain, nous bénéficions d’un large soutien des populations locales. Raison pour laquelle nous avons même créé récemment à Ber « le Haut Conseil Berabiche » regroupant toutes les tribus Berabich ». Je suis également membre d’un groupe armé signataire de l’Accord d’Alger en l’occurrence la Plateforme du 14 juin 2014 d’Alger. D’ailleurs, je viens même de présenter ma démission de toutes mes fonctions en liaison avec les Mouvements signataires.
Au plus fort de la crise en 2012, j’ai tout le temps refusé de militer au sein des mouvements sécessionnistes. J’ai toujours proclamé mon attachement à l’unité nationale du Mali dont j’ai tout le temps brandi les couleurs nationales, même sous l’occupation de la Région de Tombouctou par les Djihadistes.
C’est fort de ce parcours et du soutien des populations de Taoudéni envers ma personne que j’ai refusé de suivre le mot d’ordre des Mouvements signataires demandant à leurs adhérents de boycotter les travaux des assises nationales de la refondation. Grâce au soutien que j’ai aussi bénéficié de la part du gouverneur de la région, Taoudéni a valablement organisé cette rencontre à l’instar des autres régions du Mali.
Quant au groupe des « intellectuels » dont les timoniers sont Jamal El Oumrani et Sidaly Bagna, ils maîtrisent la machine étatique au niveau de la Capitale, Bamako où ils exercent un lobbying efficace, parfois soutenu par ceux qui tiennent les cordes de la bourse pour bloquer toute ascension de leurs protagonistes au sein des services centraux de l’Etat et au niveau des bailleurs de fonds.
C’est ainsi qu’ils ont pu persuader certains fonctionnaires de la haute administration étatique et quelques bailleurs de fonds qu’ils sont « les seuls représentants crédibles auprès des populations de Taoudéni et de ce fait les mieux placés pour conduire toute activité de développement ou humanitaire dans la nouvelle région de Taoudéni ».
Les premières divergences entre les deux groupes paraîtront au grand jour. Lors de la mise en place du Collège Transitoire de Taoudéni, le duo Jamal El Oumrani/Sidaly Bagna sera mis en minorité et ne pourra pas figurer sur la liste de cette institution qui occupe une place de choix dans la supervision et la certification des activités de développement dans la nouvelle Région.
Toutes les tentatives de réconciliation entre les deux parties conduites par le ministre de l’Administration territoriale, le Colonel Abdoulaye Maïga -que je remercie au passage- seront vaines car la famille Oumrani tient à avoir le leadership ou la présidence du Collège Transitoire de Taoudéni.
Cela, pour une raison tout à fait évidente : le rôle de certification dans l’exécution des projets à Taoudéni est vital pour la prospérité du business de l’ONG familiale « Paix et Progrès ». Laquelle est bien introduite auprès des bailleurs de fonds et c’est elle qui rafle tous les financements à destination de cette région en chantier.
Le Wagadu : Des images ont largement circulé montrant le gouverneur arme à la main échangeant avec des civils. Qu’est-ce qui explique cette scène ?
Il est important de souligner que les rivalités entre les deux groupes, lors de la mise en place de ces autorités intérimaires, ont failli dégénérer en Rixe, entre les sympathisants des protagonistes dont certains étaient armés de couteaux et sabres, n’eût été l’intervention musclée du gouverneur et de ses agents de sécurité.
C’est cette scène d’interposition du gouverneur, brandissant une arme au milieu des éléments hostiles à l’ordre public, dans les locaux du gouvernorat de Taoudéni, qui a été utilisée machiavéliquement par le Groupe des Oumrani et alliés pour diffamer le Général Ould Meidou qui est connu comme un Homme de poigne et qui a pu imposer l’autorité de l’Etat, dans une Région difficile où l’usage de la violence contre les autorités administratives et militaires est monnaie courante.
Suite à leur défaite électorale, Jamal El Oumrani et Sidaly Bagna vont s’accrocher au président contesté du Collège, Hamoudi Sidi Ahmed Ag ADDA, qui a été imposé à la tête du Collège Transitoire de Taoudéni. Cette imposition de Hamoudi Sidi Ahmed AG ADDA en tant que président du Collège Transitoire de Taoudéni a donné lieu à de vives contestations de la part des Mouvements armés qui occupent pendant 48h les check-points de la ville de Tombouctou.
Cette situation insurrectionnelle a pris fin avec la visite du ministre de la Défense de l’époque Abdoulaye Idrissa Maïga accompagné du Général Ould Meidou, qui a pu, avec mon soutien, calmer les leaders des Mouvements. Ces derniers reprochaient à Hamoudi Sidi Ahmed Ag ADDA d’être loin du terrain et des préoccupations de la majorité écrasante des populations nomades de Taoudéni.
Je rappelle qu’à travers Hamoudi dont l’état de santé est très précaire, Sidaly, qui n’est autre que son cousin et beau-père, s’est vu octroyer illégalement et sans aucune procédure la présidence de l’Agence de Développement Régional (ADR). Une nomination vivement contestée et dénoncée par Dina Ould Daya en sa qualité de 1er vice-président du Collège transitoire de Taoudéni. C’est là que se trouve même une partie de tout le problème. Pour ce qui est de Jamal, son seul objectif, c’est de continuer à bénéficier de certains marchés du collège sans les exécuter à bon escient.
Le Wagadu : Quelles ont été les conséquences de ces tiraillements ?
Taher Ould El Hadj : Il faut dire que ce conflit contre-productif pour le développement de Taoudéni n’a pas épargné le gouverneur qui est hautement apprécié par les populations locales et sa hiérarchie administrative et militaire, pour ses efforts louables dans la construction des infrastructures dans les six cercles de la Région et cela malgré les défis sécuritaires.
Les nombreux reportages sur les constructions de forages, des écoles, des centres de santé, des bâtiments administratifs, effectués par l’ORTM, sont des témoignages concrets et éloquents de l’efficacité du Général Ould Meidou qui ne prétend pas être universitaire, ce qui n’altère en rien ses qualités de leader charismatique, sérieux, patriote et travailleur.
Pour ce qui est du sort des meneurs de cette ONG et leurs soutiens, ils sont discrédités politiquement par les populations nomades. Les rentes illicites cumulées sur les projets financés par certains bailleurs de fonds mal ou partiellement exécutés sur le terrain, ont conduit les populations à les désavouer. Tout ce qui leur reste, c’est une vaste campagne de désinformation et de propagande calomnieuse qu’ils mènent contre les autorités intérimaires et le Gouverneur de la Région. Le seul tort reproché à ces derniers c’est de constituer un obstacle majeur à « leur enrichissement illicite par l’usage du faux » sur le dos des populations meurtries par plusieurs années d’insécurité et de pauvreté extrême.
Le Wagadu : Finalement, quelle est la solution face à cette situation qui ne permet pas un développement harmonieux de la région ?
Taher Ould El Hadj : Pour nous, l’idéal serait de mettre fin aux activités de l’ONG « Paix et Progrès » dont les meneurs profitent de leur double nationalité malienne et allemande pour bénéficier des entrées auprès des organisations internationales dont en tête la GIZ afin de faire main basse sur tous les projets à destination de Taoudéni.
Ceux-ci sont détournés de manière astucieuse à travers des montages de vidéos sensationnelles démontrant que les travaux sont exécutés au bénéfice des populations locales. Alors qu’il n’en est rien. Ils veulent juste mettre en œuvre leur ruse sachant que les bailleurs de fonds n’en verront pas d’équipe pour vérifier la réalisation des projets sur le terrain à cause de l’inaccessibilité de Taoudéni qui est une zone dangereuse sur le plan sécuritaire.
Il est important de convoquer ce groupe au Pôle économique pour rendre compte de l’utilisation de tous les fonds perçus pour la réalisation de plusieurs projets non ou mal exécutés dans la Région de Taoudéni. Il faut arrêter l’hémorragie provoquée par ces détournements à ciel ouvert qui se passent dans la plus grande impunité.
Le Mali Kura qui prêche la bonne Gouvernance devrait se saisir de cette affaire pour montrer à tous les acteurs chargés du développement dans le Nord du Mali que les choses ont changé et que des comptes doivent être rendus à chaque fois qu’il s’agit de l’utilisation des fonds publics, en faveur des pauvres populations.
Enfin, les Responsables politiques et administratifs de la nouvelle Région de Taoudéni gagneraient tout à travailler pour une réconciliation de tous les acteurs impliqués dans l’opérationnalisation de cette nouvelle entité administrative et économique qui constitue l’espoir de toute la Nation malienne avec ses réserves pétrolières et gazières importantes non encore exploitées.
Anne Marie Soumouthéra
Le Wagadu