Mohamed Amara, sociologue a propos de la visite du président du Faso au Mali : « Cette visite, c’est pour bénéficier du réseau russe »
Meguetan Infos
La visite au Mali du nouvel homme fort du Burkina Faso, le Capitaine Ibrahim Traoré ; la dégradation de la situation sécuritaire au nord et le centre du pays ; les affrontements violents de ces derniers jours entre l’EIGS et le GSIM dans le Liptako-gourma sont entre autres des sujets majeurs abordés par Mohamed Amara, sociologue et auteur de plusieurs livres dont : « Marchands d’angoisses », « le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être », éditions Grand vaux. Entretien.
Mali Tribune : Quelle analyse faites-vous de la visite du Président de la transition burkinabé, le Capitaine Ibrahim Traoré, au Mali ?
Mohamed Amara : Cette visite fait suite à celle déjà effectuée par Damiba, le prédécesseur du Président Traoré. Mais au-delà, c’est aussi une stratégie pour renforcer l’axe Bamako Ouagadougou. A travers cette visite, le Capitaine Traoré tente de contenter ses soutiens burkinabé, dont certains appellent à s’inspirer de la transition malienne pour gérer la crise sécuritaire. Enfin, elle est aussi révélatrice de la volonté des jeunes chefs d’État à intensifier les coopérations inter-états pour lutter contre le narco terrorisme. Mais réussiront-ils ? Une autre lecture, c’est que cette visite pourrait aussi être l’occasion de s’appuyer sur Bamako pour bénéficier du réseau russe, même si on sait tous que la présence des Russes au Mali n’a pas empêché la dégradation de la situation sécuritaire. Wait and see.
Mali Tribune : Ces derniers mois, la situation sécuritaire s’est fortement dégradée au Mali. Comment vous expliquez cela ?
M A.: Il y a plusieurs hypothèses. La première, c’est qu’aujourd’hui l’effectif des forces armées maliennes ne permet pas de couvrir l’ensemble du territoire. Par conséquent, l’armée s’est retrouvée, avec les coopérants russes, dans une situation où il est plutôt question de garder les positions que d’enclencher une véritable offensive pour traquer les groupes terroristes. Or, pour gagner la guerre, notre armée doit être en capacité d’aller chercher les narcoterroristes dans leurs fiefs. Sans oublier que le départ de la force Barkhane et de Takuba du Mali a créé une espèce de vide sécuritaire, qui profite aux narcoterroristes : l’Etat islamique au Grand Sahara et Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans. Pour combler ce vide sécuritaire, en plus d’une coopération militaire sous régionale, nous devons avoir des politiques militaires enracinée et évolutives articulant des moyens numériques (drone de surveillance et de renseignements) et humaines.
Mali Tribune : Justement on assiste à une lutte sous-jacente entre l’EIGS et le GSIM dans le Liptako-gourma. Peut-on parler d’une lutte de territorialisation ?
M A: Il y a un fait : l’enjeu principal des fantassins du narco terrorisme, l’EIGS et le GSIM, c’est contrôler et administrer ces territoires, et en faire par la suite des incubateurs de leurs modes de vie et de pensée, mais aussi une rampe de lancement de leur propagation. D’ailleurs, les impôts locaux (Zakat) qu’ils prélèvent sur les populations leur permettent de recruter davantage des jeunes, et acheter des armes. Dans ce contexte, les groupes terroristes, notamment l’EIGS avec ses méthodes violentes et meurtrières, se sont inscrits dans une entreprise d’effacement des identités existantes des populations pour en fabriquer des nouvelles. Leur : faire des populations locales des citoyens qui leur obéissent au doigt et à l’œil. Une autre manière de complexifier l’administration des territoires sous leur joug au cas où les FAMa les reconquièrent. Voilà le contexte où la domination par l’idéologie et les armes est prégnante.
Mali Tribune : Le CNT a approuvé le projet de texte qui consacre à la militarisation de la Police nationale et de la Protection civile. Quelle est la plus-value de cette loi ?
M A. : On peut avoir deux lectures de ce vote par le CNT. La première, c’est qu’il ne peut pas avoir une contradiction entre l’exécutif et le législatif de surcroit dans un régime de transition où la cohésion reste la règle du jeu. Par conséquent, le CNT ne peut que voter le texte de militarisation de la Police. Mais cela ne veut pas dire que le débat n’a pas eu lieu au sein du CNT. La deuxième hypothèse, dans l’immédiat, je ne perçois pas clairement la plus-value sécuritaire d’une telle loi pour arrêter la saignée sécuritaire. Or, notre pays a besoin, ici et maintenant, de stratégies militaires contreterroristes concrètes et visibles au moment où les groupes terroristes intensifient leurs actions dans le Nord.
Mali Tribune : Cette militarisation est-elle un gage suffisant pour assurer la sécurité sur l’ensemble du territoire ?
M A.: On peut espérer que la militarisation de la Police favorise la réinstallation de l’administration dans les zones reconquises par les FAMa, et contribue à ramener la paix. Mais, de toute évidence, elle nécessite du temps pour former les policiers pour qu’ils soient en mesure de surveiller et punir, faire le maintien d’ordre, mener des enquêtes (police judiciaire), et faire la guerre au besoin. Au regard de ces enjeux sécuritaires et de temps, il me parait judicieux de construire des politiques militaires pour les 30-50 ans à venir. La géopolitique actuelle de nos Etats nous l’impose.
Mali Tribune : Comment convaincre les partenaires au développement de continuer à soutenir la Police et la Protection civile en termes de formation et d’équipement en dépit de leur militarisation ?
MA.: Nous devons changer notre fusil d’épaule, c’est-à-dire apaiser les rapports avec la communauté internationale pour que des véritables projets de développement se mettent en place là où c’est possible. Le retour aussi à un ordre constitutionnel pourrait être un des signaux forts pour ramener la confiance entre le Mali et les partenaires au développement pour intensifier l’engagement de ces derniers aux côtés du Mali.
Propos recueillis par
Ousmane Mahamane
abamako.com