Modibo Mao Makalou, économiste sur le budget 2023 et le sommet de la CEDEAO « La Cédéao doit faire en sorte que le dialogue porte ses fruits entre les deux parties »
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Dans cette interview, Modibo Mao Makalou, économiste évoque deux sujets majeurs à savoir le budget 2023 qui été approuvé par le CNT, mais également le 62e sommet ordinaire des Chefs d’Etat de la Cédéao. Entretien.
Mali Tribune : que faut-il retenir de la loi de finances qui a été adoptée par le CNT la semaine dernière ?
Modibo Mao Makalou : Vous savez la session parlementaire d’octobre est appelée la session budgétaire. Parce que c’est la loi de finances, quand elle est votée, qui autorise l’Etat à prélever les recettes fiscales et budgetaires et à les dépenser. La Constitution du 25 février 1992 détermine en ses articles 70 et 77 que l’Etat doit déterminer ses charges et ressources dans un équilibre budgétaire et financier. Pour cela, l’Etat et ses démembrements expriment leurs besoins en termes des charges financières. Après on consolide tout cela ensuite, on détermine les ressources qui vont couvrir ses charges durant une année. Evidemment, c’est dans l’année N-1 qu’on fait le budget de N c’est-à-dire, le projet de loi 2023 est voté en 2022. Mais l’exécution commence en janvier 2023 parce que l’année budgétaire commence le 1er janvier et termine le 31 décembre. Mais au cours de l’exécution de ce budget, il se peut qu’il y ait des dépenses budgétaires imprévues ou des ressources budgétaires imprévues. Mais si l’écart est très grand évidemment le projet de loi de finances étant une prévision, c’est dans l’exécution qu’on va constater la qualité des prévisions initiales budgétaires. Donc si les écarts deviennent assez importants, en ce moment on fait ce qu’on appelle des ajustements, et l’on prend une autre loi pour rectifier le budget quand on est dans l’année d’exécution on l’appelle cela la loi de finance initiale. Ensuite, on prend une loi rectificative pour rectifier la loi de finances initiale en termes d’ajustement. Quand les recettes et dépenses sont totalement arrêtées, généralement c’est N+1 ou N+2 on prend ce qu’on appelle une loi de réglements pour boucler définitivement le budget.
Nous sommes dans le 6e budget-programme de budget que nous exécutons. Mais nous n’avons pas entièrement basculé dans le budget programme. Il y a des programmes avec leurs objectifs et indicateurs de performance, c’est la gestion axée sur les résultats. Avant, nous avions ce qu’on appelle un budget des moyens, c’est-à-dire on vous donne une somme et vous devriez la dépenser. Maintenant, c’est en termes d’objectifs. C’est ce qui explique les programmes, objectifs et les indicateurs. Cette approche permet de savoir si les institutions et ministères ont atteint les cibles ou pas. Ce qu’il faut savoir, on ne peut pas assigner des objectifs à toutes les institutions parce qu’on parle de l’Etat et ses démembrements quand vous prenez le Président de la République quel objectif peut-on lui assigner ? Cette institution incarnée par le Président de la République joue un rôle central névralgique de supervision et d’exécution de l’activité de l’État. Ce seront donc à ce niveau plutôt des dotations que des programmes. Par rapport à la loi rectificative de 2022 le déficit budgétaire est évalué à 696 milliards de FCFA dans le projet de loi de finances 2023 alors qu’il était de 665 milliards de FCFA dans la loi de finances rectificative de 2022, ce qui fait 248 milliards de FCFA de différence soit une augmentation de 4,73% du déficit budgétaire. Ça veut dire que l’on n’arrive toujours pas à couvrir l’ensemble de nos charges budgétaires avec nos ressources budgétaires. Mais on peut expliquer aussi que non seulement les ressources ont augmenté mais les dépenses ont aussi augmenté. Cependant Il y a des hypothèses par rapport aux prévisions budgétaires, par exemple, la croissance économique en 2023 serait de 5,1%. C’est une hypothèse très optimiste mais avec la crise mondiale et la crise multidimensionnelle que nous traversons je pense que nous n’allons pas atteindre un taux de croissance économique de 5,1% de en 2023. La cible de l’inflation est prévue à 2,3% en 2023 ce qui paraît aussi trop optimiste. L’inflation actuellement est assez élevée au Mali et se trouve à un niveau jamais atteint auparavant comme d’ailleurs chez nos voisins et l’ensemble des pays du monde. En 2020 l’inflation était à 0,5% au Mali aujourd’hui nous sommes au delà de 10% pour septembre et octobre 2022. Il faut nécessairement des mesures d’accompagnement et , surtout un plan de riposte contre l’inflation pour préserver le pouvoir d’achat des populations qui est rongé par l’inflation (hausse généralisée et durable des prix des biens de consommation des ménages).
Mali Tribune : Pourquoi il y a plus de dépenses budgétaires que de recettes ?
M.M.M : ça arrive dans presque tous les pays du monde. Nous sommes dans ce qu’on appelle l’économique où les besoins sont illimités et les ressources sont limitées. Le fonctionnement d’un Etat demande un certain nombre de choses. Il y a des missions régaliennes comme les services sociaux de base, la défense, la justice…. Le déficit budgétaire est financé par la dette publique (qui est constituée de la dette intérieure qui est libellée en monnaie locale et de la dette extérieure qui est libellée en monnaie etrangère appelées devises). Aussi certains pays qui bénéficient de l’assistance extérieure ou l’aide publique au développement l’utilise pour combler une partie des déficits budgétaires. Malheureusement cette aide publique au développement est entrain de tarir car ceux qui fournissent l’aide sont eux-mêmes confrontés à des difficultés financières et budgétaires. Notons que les 8 pays membres de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA) qui ont en partage le FCFA en Afrique de l’Ouest utilisent constamment le marché sous-régional monétaire et financier pour financer la trésorerie des 8 États membres. La stratégie d’endettement de notre pays envisage d’emprunter environ 1000 milliards de FCFA chaque année.
Mali Tribune : ce qui estomaque certains Maliens dans cette loi de finances, ce sont les dotations allouées à la Présidence de la République et le CNT. Comment vous expliquez cela ?
M.M.M : En effet le constat est accablant le fonctionnement de l’État continue d’augmenter au détriment des investissements publics. Aussi, les transferts et subventions qui permettent de réduire les inégalités sociales et d’assister les couches vulnérables a été réduit dans le projet de loi de finances 2023. Par contre il faudra beaucoup de prudence dans l’analyse des budgets des institutions et des départements ministériels. Vous savez, les ministères ont des cadres définis mais pour les institutions le cadre peut changer d’une année à une autre. Si on prend le cas de la Présidence et de la Primature que je connais bien, ils ont beaucoup de services rattachés et de personnel. Dépendant de celui qui est en fonction ou de la conjoncture, l’institution peut diminuer et les missions peuvent diminuer ou augmenter. Par exemple, il y a certaines Commissions et services qui ne sont pas connus du grand public qui se trouvent dans ces institutions. Donc quand vous voyez le budget, vous pensez que c’est pour l’administration générale mais vous ne savez pas combien de personnes travaillent là-bas et ce qu’elles font et ce n’est pas du ressort du grand public de savoir ce que ces personnes ont comme missions et responsabilités. Décortiquer le budget de la Présidence ou de la Primature, je ne vois pas quel impact positif cela a de polémiquer sur des dizaines de ‘milliards FCFA alors qu’on parle d’un budget de 2899 milliards de FCFA. Certes, nous sommes en démocratie tout devrait être sur la table mais même dans les pays les plus grandes démocraties, il y a des sujets sensibles qu’on n’étale pas publiquement.
Mali Tribune : quelle analyse faites-vous du 62e sommet ordinaire des Chefs d’Etat de la CEDEAO sur les trois Transitions ?
M.M.M : La soixante-deuxième session ordinaire de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de ‘Ouest (CEDEAO) s’est tenue le 4 décembre 2022 à Abuja, République Fédérale du Nigéria.
Selon le communiqué final, ” en ce qui concerne le Mali, la Conférence a noté avec satisfaction que le processus de
transition suit son cours et que les autorités de transition ont réalisé des progrès avec la mise en place d’un mécanisme conjoint de suivi et évaluation du calendrier de transition impliquant le gouvernement, la CEDEAO, l’Union Africaine (UA), l’Organisation des Nations Unies (ONU), le Médiateur de la CEDEAO, le Comité directeur et le Comité technique.”
Aussi, “les Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO instruisent la Commission de la CEDEAO d’aider
les autorités maliennes, avec l’appui de l’UA et de l’ONU, à organiser une réunion avec les partenaires techniques et financiers pour mobiliser les ressources nécessaires pour relever les défis socio-politiques et sécuritaires afin d’aider au respect du délai de la fin de la transition fixé à 2024. Toutefois, la Conférence exprime sa vive préoccupation face à l’affaiblissement de la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), à la suite du retrait de certains pays contributeurs de troupes de la mission et appelle au renforcement de l’effectif et des prérogatives de la MINUSMA afin de lui permettre de s’acquitter efficacement de son mandat. ”
Mali Tribune : la Cédéao exige la libération d’ici le 1er janvier 2023 des 46 militaires ivoiriens arrêtés sous peine des sanctions. Est-ce que cette exigence de la Cédéao ne va pas davantage radicaliser Bamako ?
M.M.M : ‘J’aimerais souligner que le communiqué final de la Conférence ” rappelle et salue les différents efforts diplomatiques déployés par la CEDEAO et ses Etats membres ainsi que par les Nations Unies pour obtenir la libération des 46 soldats ivoiriens détenus au Mali.
Par ailleurs, la Conférence appelle les autorités maliennes à répondre positivement aux différents appels à la libération desdits soldats. La Conférence rappelle et salue les différents efforts diplomatiques déployés par la CEDEAO et ses Etats membres ainsi que par les Nations Unies pour obtenir la libération des 46 soldats ivoiriens détenus au Mali. ”
Il me semble important de souligner que la CEDEAO encourage plutôt la médiation et la négociation comme voie de sortie de crise pour ce qui concerne le dossier des 46 militaires détenus au Mali.
Mali Tribune : la création d’une force anti-coup d’état mettra-t-elle fin à la descente des militaires dans la rêne politique ?
M.M.M : Selon le communiqué final, la Conférence instruit à la CEDEAO ” de parachever la révision du Protocole additionnel de 2001 sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance. Elle demande par ailleurs au Président de la Commission de lui soumettre lors de son prochain sommet le projet de protocole additionnel révisé.
La Conférence décide également de mettre en place une force régionale dont le mandat inclura la restauration de l’ordre constitutionnel”. En effet, il urge pour la CEDEAO de lutter contre le terrorisme, contre l’insécurité. Nous avons 3 trois pays membres de la CEDEAO (Burkina Faso, Mali, et Niger) qui sont en très grandes difficultés sur une partie de leur territoire. Je pense qu’une force en attente de la Cédéao dans la région des trois frontières serait la première aide urgente. Évidemment les putschs et les tripatouillages constitutionnels ne doivent pas être encouragés. Mais les putschs sont souvent les résultats d’imbroglio politique. Ne faut-il pas s’attaquer aux causes des putschs qu’aux effets des putschs. Comment faire éviter les putschs ? Comment éviter les blocages politiques ? Comment créer la bonne entente, la cohésion au niveau des politiques ? Comment éviter les tripatouillages des textes constitutionnels et électoraux pour se maintenir au pouvoir ? je pense que c’est tout cela qu’il faut voir sous un œil attentif en s’attaquant aux plutôt qu’aux effets de la mauvaise gouvernance.
Propos recueillis par
Ousmane Mahamane
Source: Mali Tribune