Ces derniers sont tenus de s’acquitter a terme échu de leur quote-part au risque de se voir rappeler a l’ordre avec la manière la moins accommodante possible
Des responsables de tontine exigeant que chaque membre présente quelqu’un qui se porte garant, au cas où l’intérêt se trouve dans l’incapacité d’honorer ses engagements
La tontine à l’origine est une association d’épargnants, à l’expiration de laquelle l’avoir est distribué entre les survivants ou entre les ayants droit des membres décédés. Elle aurait été créée par Lorenzo Tonti, un banquier italien napolitain né vers 1602 et décédé en 1684. Depuis, cette forme de cotisation a connu beaucoup d’évolutions. De nos jours, la tontine est cette organisation ou regroupement de personnes qui se cotisent une certaine somme journalière, hebdomadaire ou mensuelle pour subvenir en partie à leurs besoins financiers. C’est donc un regroupement de personnes volontaires salariés ou menant d’autres activités génératrices de revenus qui doivent s’acquitter de leur quote-part.
Les membres conviennent généralement de façon verbale des règles de conduite à tenir entre eux en vue d’assurer la continuité de la cotisation jusqu’à l’expiration du délai impparti. Il est rare de voir que les règles convenues par tous les cotisants soient formalisées et signées par écrit. L’entente verbale en la matière suffit comme acte d’engagement entre les cotisants. Généralement mus par l’appât du gain qui tombe à terme échu, les membres de la tontine envisagent rarement les cas où un de leurs vient à disparaître. Que faire ? Comment assurer la continuité de la cotisation sans ce membre et comment combler le vide qu’il va laisser ?
Des interrogations que les membres se présentent rarement et associées il convient pourtant de trouver des réponses, la mort faisant partie de notre existence terrestre. Elle peut surprendre à tout moment. Quand elle arrive, les membres de la tontine, à moins de l’avoir convenu et discuté auparavant, se trouvent parfois désarmés ne sachant comment s’y prendre. Il se trouve que des adhérents ne veulent renoncer à leur dû et le ou le gestionnaire de la tontine doit vite trouver une solution palliative pour sauver la mise.
Les réseaux sociaux nous ont rappelé à l’évidence dans un cas d’espèce. À l’annonce du décès d’une cotisante, la gestionnaire de la tontine dont elle était membre, n’a pas pu se maîtriser devant ce qui paraît être une évidence de la vie. Elle ne savait quoi dire et quoi faire, comment réagir face à la pression qu’elle allait subir de la part des autres adhérents. « Soraya ne peut pas mourir. De ce pas, je m’en vais vérifier, si ce que l’on dit est vrai», s’emporte la dame. D’une insensibilité incroyable, elle gesticule, puisqu’elle n’est évidemment pas touchée par la douleur de la perte de la cotisante. Elle enchaine sur une tonne dur pour déclarer : «Tu ne peux pas prendre la tontine et puis tu meurs.»
At-elle décidé de mourir ? lui répond-elle. «Ce n’est pas une question de décision, ce qui est en train de se passer est très grave», gesticule-t-elle. « Parce que tu ne peux prendre une tontine de plus 10.000 euros, soit environ 6,5 millions de Fcfa, et puis tu meurs ! Tu meurs commenter ? Pourquoi tu meurs ? Pourquoi, précisément maintenant, sans avoir payé le crédit de la tontine ? Je vais dans sa famille, quelqu’un doit payer !», peste-t-elle sans aucune considération ou déférence pour la compassion des proches de la défunte qui avait pris la tontine un mois, juste avant d’être arrachée à l’affection. des siens. La vidéo dans laquelle s’exprimait le gestionnaire est devenue virale sur la toile.
BRIMADES- D’un point de vue de la morale et de l’éthique, le comportement du gestionnaire est condamnable et répugnante, mais, de l’autre côté, ne dit-on pas que l’argent n’a pas d’ odeur et ne s’embarrasse guère de sentiments quand il s’agit de mener des affaires. L’intérêt commun autour de l’argent ne doit sa pérennité qu’à la régularité de la cotisation. Et tout ce qui touche ou menace cette pérennité est source de frictions entre les cotisants et le ou le gestionnaire qui est aux premières loges des récriminations et qui doit vite trouver la solution. En 2016 à Niamey au Niger, Maïmouna Soumana a perdu la vie en donnant la vie. Le jour de son enterrement a coïncidé avec celui de la tontine des femmes du quartier. Juste après son inhumation, sa petite sœur a payé sa part de cotisation auprès de l’administratrice. Celle-ci l’a acceptée sans cligner des yeux et aucune participante n’a daigné renoncer à sa part malgré le fait qu’elles soient des amies d’enfance.
Au Mali en 2021, Mariam Camara s’en est allée sur la pointe des pieds. Elle fut l’initiatrice et gestionnaire d’une tontine où chaque membre versait 50.000 Fcfa le mois. La cagnotte collectée faisait un million de Fcfa qui devait revenir à chaque cotisant, à l’échéance. Les membres de la tontine ont certes présenté leurs condoléances à sa famille éplorée, mais la tontine a suivi son cours normal et seule une personne a renoncé à son argent. Néanmoins, force est de reconnaître que ses enfants se sont assumé en remboursant chacun des participants, car leur mère avait déjà empoché sa part.
Par ailleurs, Fatim Sidibé, qui est gestionnaire de tontine, se veut plus prévoyante. Elle exige que chaque membre présente quelqu’un qui se porte garant, au cas où l’intéressée se trouverait dans l’incapacité d’honorer ses engagements. «J’applique ce principe parce que la somme en jeu est conséquente. Chaque cotisante paie 100.000 Fcfa pour 30 adhérentes, soit 3 millions Fcfa », explique-t-elle.
La tontine est une organisation qui ne connait ni la maladie, ni la galère. Pour le cotisant, peu importe la précarité, quand le jour de payer la tontine arrive, il faut s’acquitter. Plus qu’une obligation, c’est une question de moral, de respect de la parole donnée pour l’honneur et la dignité. C’est à ce seul prix que la machine peut tenir. C’est pourquoi aussi certains gestionnaires ne badinent pas avec les principes arrêtés même lorsque la mort surprend un membre, la tontine ne serait pas contrariée.
Mamouba est une femme imposante redoutée de ses adhérentes qui la considère comme une bagarreuse invétérée qui n’a pas froid aux yeux. Elle mène à la baguette les membres de sa tontine. Les femmes de son association le savent bien, à l’échéance, la cotisante qui n’envoie pas sa quote-part reçoit une mise en garde sévère et la prochaine fois le couperet tombe pour son exclusion de la tontine.
« Tout le monde le sait, je n’aime pas le désordre. Si tu n’es pas prête à assumer, ne t’engage pas. C’est contraignant, quand il y a une mauvaise payeuse, je suis obligée de payer à sa place, pour que la personne qui encaisse ait la somme convenue», dit-elle. Si une cotisante se fait exclure du circuit, elle est obligée d’attendre la fin, pour avoir son argent. Pis l’imprudente ne s’en sort pas à bon compte puisque le gestionnaire lui vole proprement dans les plumes en l’abreuvant de reproches, de brimades et d’humiliations. Et ce n’est pas pour rien qu’elle est crainte et redoutée par ses adhérentes.
VECTEUR DE COHÉSION – Quand la poigne manque dans la gestion d’une tontine, les membres courent le risque de voir nuire à tous leurs projets d’investissements. Pour éviter de casser la baraque, les gestionnaires doivent jouir d’une intégrité morale reconnue de tous les adhérents. Qualité bien appréciée en islam. C’est ainsi que la tontine rentre dans le cadre de l’investissement financier consensuel et n’est pas interdit par la religion musulmane. Toutefois, l’islam nous apprend que l’âme du croyant reste suspendue entre la damnation et le salut jusqu’à ce que ses dettes soient acquittées, détaille le religieux Moustapha Coulibaly. Selon lui, l’islam incite les héritiers du défunt à régler sa dette, s’ils le peuvent, pour lui épargner des tourments de la tombe.
Malgré tous les dérapages et les difficultés de fonctionnement qui peuvent relancer la tontine, elle reste néanmoins un vecteur de cohésion sociale entre les adhérents. Elle permet de promouvoir des liens sociaux basés sur l’entraide et la réciprocité. Elle est pratiquée par plusieurs couches socio-professionnelles de divers revenus. C’est aussi un moyen de lutte contre la pauvreté. Selon les cas, on retrouve des tontines basées sur la collection de l’argent dans la majeure partie et celles fondées sur les biens matériels (ou, trousseaux de mariage, de baptême, de tissus bassin ou cire de qualité, etc.).
Cette forme informelle de collecte de l’épargne n’est pas prête d’être rejetée puisque les adhérents y trouvent leurs comptes. Elle leur permet de faire face à des dépenses onéreuses. Le ciel n’est pas prêt de s’assombrir sur ce registre et la tontine à de beaux jours devant elle.
Maïmouna SOW
L’Essor