Les sites d’orpaillage traditionnel drainent de plus en plus de monde dont de nombreux enfants. Souvent influencés par leurs aînés ou poussés par les conditions précaires de leurs parents, des enfants âgés de moins de 17 ans sont exposés aujourd’hui sur ces sites à des pires formes du travail au moment où ils devraient suivre un cursus scolaire. A Kéniéba dans la région de Kayes, de nombreux mineurs sont dans le piège du métal jaune. Enquête !
Le Mali est connu pour ses activités aurifères. A côté des mines industrielles exploitées par des multinationales, il y a une floraison des sites d’orpaillage traditionnel à travers le pays. Le cercle de Kéniéba dans la région de Kayes abrite plusieurs de ses sites qui drainent de plus en plus de monde dont des enfants. Les ‘’Djoura’’, c’est le nom des sites d’orpaillage traditionnel en Malinké. De nombreux mineurs rencontrés à Sangaré Djoura, Golf I, II, III et IV viennent des régions de Ségou, Bougouni, Niono, Kita et surtout du Burkina Faso etc. Ils ont abandonné les études pour aller à la recherche du métal jaune en mettant en avant souvent la situation précaire de leur famille. Ils exercent dans des conditions insalubres les activités telles que le creusage, le lavage, le vannage, le concassage, le tamisage, le transport de minerais, le petits commerces. Ils sont aussi employés dans les bars et les restaurants… D’autres notamment les mineures sont victimes d’abus sexuels de la part d’adultes sur la base de certaines croyances.
Cette activité d’orpaillage, jugée bénéfique par les exploitants, cache mal une triste réalité en occurrence le travail des enfants. Lesquels n’hésitent pas à mettre en parenthèse leur cursus scolaire pour se lancer dans la quête effrénée du métal jaune. A Kéniéba, l’or prime sur le droit à l’éducation des enfants. A peine âgé de 17 ans, Moussa Diarra a quitté le l’école dans la région de Ségou avec le consentement de ses parents pour rejoindre le site d’orpaillage de Djidjan, situé dans la commune Sitakily, long de 50 km de la ville de Kéniéba. « J’ai été contraint d’abandonner les classes pour travailler dans l’orpaillage à cause des conditions de vie précaires de mes parents », justifie l’adolescent très amaigri. Sur place, le natif de la 4ème région administrative du Mali cumule des emplois journaliers moyennant une rémunération de 2000 FCFA. Un pécule qui lui échappe souvent. « L’un de mes employeurs a fui avec mes 15 000FCFA », explique Moussa Diarra. Niangali Diarra et Moulaye Traoré, tous deux âgés de moins de 15 ans, sont employés par Salif Diarra en raison 2000 FCFA par jour. Selon eux, ils ont rejoint le site de à Djidian Clacher sur conseil de l’un de leurs grand-frères. «Nous gagnons un peu d’argent, mais si nous trouvons mieux, nous allons quitter », nous confie Moulaye Traoré.
Des filles mineures exposées à des abus sexuels des adultes
A côté de garçons, de nombreuses jeunes filles qui ont déserté les salles de classe pour migrer vers les sites aurifères. A Djidian Cracher, plusieurs jeunes filles en âge de fréquenter l’école sont employées dans la chaîne de l’exploitation de l’or. Certaines sont souvent hébergées par les adultes. Les moins chanceuses tombent enceintes ou attrapent souvent des maladies sexuellement transmissibles. Selon Boubacar Maïga, membre de la Coalition malienne pour le droit des enfants (COMADE), certaines croyances répandues dans la zone favorisent la violence sexuelle contre les enfants. A l’en croire, la préférence pour les jeunes filles vierges ou le fait d’avoir des rapports sexuels avec une fille qui a son cycle menstruel conduiraient à augmenter la chance des orpailleurs à avoir plus d’or. «Ces pratiques sont synonymes à des viols et à des formes d’abus sexuels », s’insurge Aboubacar Maïga. Dans cet environnement, l’on y rencontre des migrantes en « couple ». Dans la plupart de ces unions naissent des enfants. « C’est pourquoi il n’est pas rare de rencontrer des filles âgées à peine moins de 17 ans portées des bébés », ajoute notre interlocuteur. Là-dessus, les jeunes filles restent muettes. Les plus courageuses essayent de se justifier par le manque de moyens dans leurs familles. « Elles sont toutes fiancées, mais elles viennent travailler ici afin de gagner de l’argent pour soutenir leurs mamans dans les charges de leurs mariages », explique Mariam Mariko, travailleuse dans le site de Djidian Cracher.
Le maire délégué de Djidian, Koly Sissoko relativise l’abandon des classes pour les enfants âgés de moins de 15 ans. « Le phénomène de l’abandon des classes date avant cette course effrénée vers l’or à laquelle la commune, voire le cercle de Kéniéba est confronté aujourd’hui », explique-t-il. Malgré tout, reconnait Koly Sissoko, le cercle de Kéniéba enregistre le plus grand nombre des enfants qui abandonnent les classes au profit de l’orpaillage. « Ce taux serait le plus élevé par rapport aux autres cercles de la régionale de Kayes». Ce phénomène s’expliquerait par l’intensité de l’activité minière qui représente, selon Koly Sissoko, 95% des activités. A l’en croire, des dispositions sont en train d’être prises pour endiguer le phénomène. « Nous avons multiplié la création des écoles dans des villages et procédé à la dotation des enfants en actes de naissance pour réussir un recrutement massif des enfants en âge de partir à l’école», indique le maire délégué qui ajoutant que ce sont 24 millions FCFA qui sont investis chaque année dans l’achat des fournitures scolaires des enfants grâce aux subventions que la Société minière de Loulo-Kounkoto et Tamboura mining Corporation. « Les subventions pour la commune des deux mines s’élèvent à plus d’un milliards FCFA par an », souligne le maire délégué.
Selon lui, des progrès ont été réalisés pour réduire le travail des enfants dans les sites d’orpaillages avec l’avènement des mines industrielles. « Ces mines modernes exigent des qualification ou des compétences intellectuelles pour obtenir un emploi, ajoute le maire délégué. Poursuivant avec son argumentaire que les autorités communales et les parents commencent à prendre de la conscience de l’abandon de la classe au profit de l’orpaillage en participant aux sensibilisations pour que les enfants de la contrée restent et puissent se former dans les filières industrielles et minières ».
Taux d’abandon des classes ne dépasse pas 2% à Kéniéba
Pour le Directeur du centre d’animation pédagogique (CAP) de Kéniéba, Airness Diarra, l’abandon scolaire ne s’explique pas uniquement par les activités liées à l’orpaillage. Il est lié, précise-t-il, à d’autres facteurs tels le mariage précoce des jeunes filles, les distances à parcourir pour aller à l’école et l’absence de cantine scolaire. Le Directeur du CAP admet que le phénomène d’abandon des classes au profit des mines a fortement diminué dans ces trois dernières années. Selon lui, la majorité des enfants qui travaillent aujourd’hui dans les sites d’orpaillages viennent à l’intérieur du pays ou du Burkina Faso. « Vous ne verrez pas les enfants de Kéniéba dans les jours de travail dans les mines. Ils sont dans les sites d’orpaillages lorsqu’ils sont en congé ou les jours fériés », a renchéri le conseiller à l’orientation du CAP de Kéniéba, Mamadou Fily. Lequel estime que le taux d’abandon des classes dans l’ensemble du cercle ne dépasse pas 2% par an.
D’autres statistiques avancées par le CAP de Kéniéba indiquent que le taux d’abandon des classés liés aux facteurs susmentionnés s’élevait en 2015 à 5,36% pour les garçons et 6,54% pour les jeunes filles au niveau fondamental. Et en 2019 au niveau second cycle, il atteignait 8, 84% pour les garçons et 6,70% les filles.
Selon le directeur du premier cycle de Djidian, Seydou Filifin Keïta, le taux d’abandon au niveau de cet établissement public a atteint 10,41% en cette rentrée scolaire 2021-2022. « Nombreux sont les enfants qui abandonnent des classe au profit de l’orpaillage. Ces écoliers âgés de 12, 13 et 14 ans sont influencés par leurs aînés qui travaillent déjà dans les mines », explique-t-il. En 2021, le directeur de cette école a relevé 74 cas d’abandon sur un effectif de 689 élèves. En plus de la ruée vers le précieux métal, ce responsable de l’administration scolaire cite le mariage précoce et l’absence de suivi des parents. Lesquels sont le plus souvent préoccupés par la quête de l’or que l’éducation de leurs enfants. Ce manque de suivi de l’éducation des enfants n’est pas sans conséquence pour le village Djidian. Aujourd’hui, précise-t-il, le taux de criminalité, la consommation de l’alcool et la drogue, la pratique de la prostitution chez les enfants a connu une augmentation. Selon Seydou Filifin Keïta, « c’est l’ensemble du cercle de Kéniéba, qui est victime de l’argent de l’or ». « Mais, aujourd’hui comme hier, nos moyens demeurent limités face au pouvoir de l’argent de l’or », regrette-t-il.
Absence de politique de protection des enfants
Les responsables de l’association communautaire qui gèrent les sites d’orpaillage semblent dépasser par le phénomène et ne prennent plus aucune disposition pour l’interdire. Idem pour autorités communales. Elles admettent leur incapacité à cause de l’affluence des mineurs qui souvent n’hésitent plus à en découdre les propriétaires des sites ‘’les Tomboloma’’ pour créer les nouveaux sites.
Cheick Oumar Tidjiane, employé d’une ONG qui milite pour un traitement sans mercure dans l’orpaillage, estime que le travail des enfants dans sites d’orpaillage est une évidence à Kéniéba. «J’ai sillonné environ six à Djoura, où l’on rencontre beaucoup d’enfants qui font le travail des adultes », témoigne cet employé de l’ONG. Ajoutant que des enfants à peine 13 à 14 ans travaillent dans les sites d’orpaillages sans qu’aucune disposition de protection. Il affirme que certains enfants déjà victimes de toute exploitation seraient dans la future victime des problèmes de nerfs, mentaux à cause de la consommation de l’alcool et de la drogue dont certains enfants loin de leurs parents s’adonnent.
Ces propos sont corroborés par les résultats du rapport de l’ONG ECPAT Luxembourg publié en 2020 sur l’exploitation sexuelle et de la traite des enfants dans les sites d’orpaillage dans le cercle Kangaba. Selon cette organisation non gouvernementale, « la traite et les pires formes de travail des enfants sont des pratiques généralement subies par les enfants en âge de partir à l’école ». Cette ONG relève que 46, 3% des enfants enquêtés affirment avoir subie des rapports sexuels sur les sites d’orpaillage. Le même rapport relève l’absence de promotion des droits et de protection des enfants et les violations des droits des enfants qui, selon le document, se perpétuent en absence d’un système formel de protection de l’enfant et l’insuffisance des acteurs des protections de l’enfants dans les sites d’orpaillages.
L’Etat appelé à plus de fermeté…..
Aucun système formel de prévention du travail des enfants n’est quasiment respecté sur les sites d’orpaillages. Or, le code du travail du Mali interdit le travail pour les enfants de moins de 14 ans. Le pays dispose d’un arsenal juridique national et plusieurs instruments juridiques internationaux ou régionaux ratifiés, notamment la convention 138 relative à l’âge d’accès au Travail et la 182 relative aux pires formes du travail des enfants de l’Organisation internationale du travail (OIT), contre le travail des enfants. L’OIT admet le travail des enfants lorsqu’il s’exerce dans le cadre de la socialisation et ne présente aucun aspect contraignant pour l’enfant. Les normes de l’OIT interdisent toute forme de travail qui empêche le déroulement normal de la scolarité de l’enfant et porte atteinte à sa santé et à son épanouissement social.
Malgré l’existence de ces dispositions, la Direction nationale du travail indique qu’un enfant sur trois est souvent obligé de travailler au Mali et souvent dans les conditions précaires. « La majorité de ces enfants travaillent comme les aide-ménagères, dans l’agriculture et dans les mines d’or », explique Almoctar Haïdara, fonctionnaire à la direction national du Travail. Pour ce haut cadre, ils sont ’exposés aux dangers, aux maladies liés au travail. « De nombreux enfants n’arrivent pas à mener leur scolarité en parallèle de leur travail et par conséquent abandonnent l’école », admet-il.
Si certains responsables des associations de défense des droits des enfants préconisent la prise de certaines mesures comme la mise en place de dispositifs de protection des enfants travaillant sur les sites d’orpaillages, l’application effectives des traités et conventions internationaux, l’instauration des dispositifs de réhabilitation des enfants victimes de mauvais traitement, d’exploitation économique et sexuelle ; Aboubacar Maïga de la COMADE estime qu’il revient à l’Etat de fermer les sites d’orpaillages et de rendre obligatoire l’école dans toutes les zones aurifères, de développer les cantines scolaires et de mettre en place une véritable politique sociale en faveur des familles vulnérables.
Siaka DIAMOUTENE/Maliweb.net
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