Entre Paris et Bamako, la tension monte sur fond d’échanges verbaux. Conséquence : L’on assiste à une détérioration constante des relations entre la France et le Mali. Dans cette escalade, deux membres du Gouvernement français, Florence Parly, Ministre des Armées ; Jean Yve le Drian, Ministre des Affaires Etrangères, se sont illustrés enfin de semaine dernière, avec des discours discourtois à l’adresse des Autorités maliennes qui n’ont pas tardé à répliquer. Le retrait des forces françaises, l’affaire Wagner, la relecture de l’Accord de Défense, … Ce sont là, aujourd’hui, autant de sujets qui provoquent l’agitation des Autorités françaises.
En effet, on assiste, depuis quelques mois, à une détérioration des relations entre la France et le Mal. Le dernier épisode de ce climat délétère entre les deux pays est la déclaration du Ministre français des Affaires Etrangères, Jean-Yves Le Drian. Il a dénoncé, le jeudi 27 janvier dernier, la décision des Autorités de la Transition malienne d’expulser le contingent danois de Takuba : « une junte », « illégitime », qui prend des « mesures irresponsables ». « Elle porte l’entière responsabilité du retrait des forces danoises et s’isole davantage encore de ses partenaires internationaux ».
Ces propos trop forts et très peu diplomatiques de Jean-Yves Le Drian ont été fermement condamnés par son homologue malien, Abdoulaye Diop : « Ce sont des propos emprunts de mépris. Ce sont des propos que je condamne qui sont inacceptables. Et je crois que les insultes ne sont pas une preuve de grandeur. Nous sommes disposés à discuter avec la France ou d’autres sur des questions de substances. Il ne s’agit pas de questions irresponsables. Ce que nous essayons de faire, c’est de défendre les intérêts de notre pays. Toute présence étrangère au niveau du Mali doit répondre aux règles maliennes, doit aussi aller dans le sens des intérêts supérieurs du Mali, surtout pour la présence des forces étrangères».
Autre réplique du gouvernement malienne, c’est celle intervenue, le mercredi 26 janvier 2022, par la voix du Colonel Abdoulaye Maïga, Ministre de l’Administration Territoriale et porte-parole du Gouvernement, à l’encontre de la Ministre des Armées, Mme Florence Parly, et de la France qui accusaient les Autorités de la Transition, mardi 25 janvier 2022, de multiplier « les provocations ». Le Ministre porte-parole du Gouvernement a pointé du doigt la France qui cherche à diviser les Maliens, « d’instrumentaliser » les organisations sous-régionales et de conserver ses « réflexes coloniaux ». « Nous invitons également Mme Parly à plus de retenue et également à respecter le principe élémentaire de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État », a déclaré le Colonel Maïga. « Nous l’invitons également, c’est un conseil, à faire sienne cette phrase d’Alfred de Vigny sur la grandeur du silence », a-t-il ajouté.
« Lorsqu’on tente désespérément d’isoler le Mali en instrumentalisant les organisations sous-régionales, on se demande enfin qui est dans la provocation », a-t-il déclaré, en évoquant les sanctions de la CEDEAO.
Affaire Wagner : agitation à Paris
Il faut remonter au mois septembre 2021 pour mieux cerner cette tension entre notre pays et la France. En ce moment, c’est l’agence de presse Reuters qui a annoncé, le 13 septembre 2021, l’arrivée dans notre pays du groupe Wagner pour combler le vide laissé par le retrait des militaires français de l’opération Barkhane.
Quelques jours après, le Premier ministre, Choguel Kokalla Maïga, prononce un discours fort remarqué à la tribune des Nations-Unies, le 25 septembre 2021. En effet, il a assimilé le retrait de l’opération Barkhane à «un abandon du Mali en plein vol ».
Aussi, le Chef du Gouvernement a déclaré qu’en dépit du soutien international dont il bénéficie, « de mars 2012 à ce 25 septembre 2021 où je m’adresse à vous du haut de cette auguste tribune, la situation de mon pays ne s’est guère améliorée ». L’extension de la menace djihadiste bien au-delà du Nord du Mali et les violences intercommunautaires qui s’y sont greffées ne peuvent que confirmer ce constat d’échec.
Le PM avait déploré la transformation de l’opération Barkhane annoncée par le Président français, Emmanuel Macron, décidée sans consultation ni concertation avec nos Autorités, la nouvelle situation née de la fin de l’opération Barkhane plaçant le Mali devant le fait accompli, « nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de nos populations de manière autonome avec d’autres partenaires », a-t-il déclaré. Ces propos de Choguel K. Maïga ont provoqué l’ire de Paris.
Ainsi, la colère du gouvernement français s’est exprimée par la voix de la Ministre des Armées, Mme florence Parly. « Il n’y a pas de désengagement français, je tiens à commencer par rétablir des contre-vérités (…). Quand on a 5000 soldats et qu’on se désengage de trois emprises et qu’on a l’intention d’en laisser encore plusieurs milliers, lorsqu’on déploie au sahel des blindes du dernier cri (…), ce n’est pas l’attitude normale d’un pays qui a l’intention de s’en aller», a affirmé Mme Parly. Après elle, c’est le président Emmanuel Macron qui a réagi au discours de Choguel K Maïga. Sans aucune retenue le président français a qualifié de « honte » les propos du PM malien. Dans sa lancée Macron dira qu’il a été choqué par les propos du chef du gouvernement de la transition. En outre, le chef de l’Etat français a estimé que les propos (tenus par Choguel) sont « inacceptables ». « C’est une honte et ça déshonore de ce qui n’est même pas un gouvernement issu de deux coups d’Etat », a déclaré le président français. Selon lui, la France s’est engagée à lutter contre le terrorisme et pour la sécurité au Mali. Et si elle est au Mali c’est « parce que l’Etat malien l’a demandé. Et sans la France, le Mali serait entre les mains des djihadistes », a-t-il martelé.
Au fil des jours, le Président Macron multiplie des déclarations acerbes à l’endroit du Mali et des autorités de la transition qualifiées de putschistes par certains responsables français. Ainsi, il déclare, entre autres, sur les antennes de Rfi, que « l’Armée française n’a pas à se substituer au ‘non travail’, si je puis dire, de l’Etat malien ». Soulignant « qu’on ne peut pas demander à nos soldats de remplacer ce qui est le travail de votre Etat ». Une sortie que les Autorités de la transition n’ont pas digérée. C’est pour toutes ces raisons que le ministre, Abdoulaye Diop a convoqué l’Ambassadeur de France au Mali, le mardi 5 octobre 2021, au Département des Affaires étrangères à Koulouba. Le Chef de la Diplomatie malienne, après avoir exprimé le mécontentement des Autorités maliennes suite aux “propos inamicaux et désobligeants” tenus par Emmanuel Macron, a invité “les Autorités françaises à la retenue, en évitant des jugements de valeur ».
En outre, le Ministre Diop a exprimé une “vive protestation contre ces propos regrettables”.
Enfin, le Ministre des Affaires Etrangères appelle la France à “se concentrer sur l’essentiel, notamment la lutte contre le terrorisme au Sahel”, indique un communiqué du département AE.
L’Accord de défense dans la mire
En plus de l’affaire Wagner, toute cette agitation des autorités françaises intervient au moment où les autorités maliennes ont manifesté leur intention de procéder à une relecture de l’accord de défense entre les deux pays. A ce sujet, le Colonel Assimi Goïta, dans son discours à l’occasion de la fête de l’armée, le 20 janvier dernier, a été on peut claire : « Par une analyse objective du contexte actuel et en tenant compte des intérêts vitaux de notre pays, nous avons demandé la relecture de certains accords de coopération militaire. Dans le même temps, de nouveaux accords ont été signés, toujours avec comme objectif essentiel, la sécurisation des Maliens et de leurs Biens ».
C’est ainsi qu’en fin décembre 2021, le Mali a officiellement demandé à la France la révision des Accords de défense qui lient les deux pays. Pour le moment, cette demande n’a pas suscité de réactions officielles côté français.
Ces Accords ont été signés à la suite du déclenchement de l’opération militaire française Serval, le 11 janvier 2013.
L’Accord de 2013 prévoit de “concourir à une paix et une sécurité durables (…), notamment par la sécurisation des espaces frontaliers et la lutte contre le terrorisme”. Il permet également l’accès au territoire malien, “y compris ses eaux territoriales et son espace aérien”, avec le consentement préalable de l’État.
Prévu pour une durée de cinq ans, ce traité est reconduit de manière tacite. Il est néanmoins précisé que “les Parties peuvent, à tout moment et d’un commun accord, amender par écrit le présent traité”, comme le demande aujourd’hui le Gouvernement.
Dans un entretien diffusé dimanche 16 janvier à l’ORTM, le Premier Ministre Choguel Kokalla Maïga a ouvertement critiqué ce Traité : “Nous voulons relire les accords déséquilibrés qui font de nous un État qui ne peut même pas survoler son territoire sans l’accord de la France”.
Mémé Sanogo
L’Aube