Madagascar: pharmacies contre dépôts de médicaments, un bras de fer sur fond électoral
Meguetan Infos
Les pharmaciens de Madagascar sont en colère. A l’heure actuelle, le Code de la santé, datant de 2011, stipule que l’ouverture d’une officine de pharmacie interdit toute nouvelle autorisation d’ouverture de dépôts de médicaments dans un rayon de moins de 10km et rend également caduque les autorisations antérieures. Or, un projet de loi qui sera présenté le 24 novembre prochain devant la commission Santé de l’Assemblée nationale prévoit de modifier plusieurs dispositions du Code de la santé, dont celle-ci. De quoi inquiéter les professionnels du médicament qui voient en ces modifications un danger en termes de santé publique.
Muriel Andriamisa a ouvert sa pharmacie il y a 8 mois, dans une commune rurale, située à une dizaine de kilomètres de la capitale. « Dans ma zone d’installation, dit-elle, il y avait 3 dépôts de médicaments. Ils auraient dû fermer 3 mois après mon ouverture. Aucun n’a fermé. Et aujourd’hui, je me retrouve avec une patientèle qui n’a aucune idée du danger du médicament ni de ce qu’on appelle le respect du traitement. »
L’effectif officiel du nombre de dépôts légaux de médicaments dans le pays n’est pas connu. Leur nombre est estimé entre 1 500 et 3 000 mais un recensement est en cours pour effectuer une cartographie de ces centres de ventes de médicaments de première nécessité.
Les dépositaires n’ont pas la formation des pharmaciens
Parallèlement, le pays compte moins de 300 pharmacies sur tout son territoire dont le tiers se trouve à Antananarivo. Aussi, l’Association des pharmaciens, présidée par Hortense Randrianaivo, ne remet pas en cause la nécessité des dépôts de médicaments : « Le pays a besoin de ces dépôts de médicaments, car ils s’installent dans les petites villes, en milieu rural afin d’assurer cette dispensation de médicaments. Cependant, nous avons depuis une dizaine d’années une faculté de pharmacie sur l’île, avec des jeunes qui en sortent diplômés chaque année. Comme le quota de pharmacies est atteint dans les grandes villes, bon nombre de jeunes pharmaciens qui souhaitent s’installer le font de plus en plus en périphérie des grandes villes et dans les coins plus éloignés. Donc la fermeture des dépôts doit être effective pour assurer une meilleure cohabitation et une meilleure distribution de la pharmacie. »
La pharmacienne souligne aussi une différence cruciale : « Les pharmaciens sont des professionnels du médicament. Les pharmaciens ont une formation de plus de 6 ans. Et ils assurent une formation continue. Ce qui n’est pas le cas des dépositaires qui ont reçu une formation de 3 mois à leur inscription. »
Ni contrôle ni surveillance
Pour Emile Feno, pharmacien à Tamatave et responsable de l’Ordre régional des pharmaciens dans la province Atsinanana, ce projet de loi est une aberration. « Le ministre de la Santé qui donne l’autorisation de l’ouverture d’un dépôt ne peut plus le fermer. Ce qui signifie que les dépôts de médicaments ne seront plus soumis à aucune autorité, donc ils échappent complètement à tout contrôle et surveillance alors que nous parlons ici de santé publique et de médicaments. »
La profession craint, à terme, une dérégulation du marché du médicament et l’explosion du marché illicite, très lucratif. Une logique plus mercantile que de santé publique, expliquent les pharmaciens qui dénoncent dans le même temps une démarche qualifiée d’« électoraliste et affairiste » du député à l’origine du projet de loi.
Contacté, Jean-Eugène Voninahitsy, élu du district de Morafenobe, rit de ces accusations. « Mon intérêt avec ce projet de loi, confie-t-il, c’est de bien servir, pas seulement ma circonscription, mais tous les Malgaches qui vivent en zone rurale. Moi je milite pour la cohabitation entre les pharmaciens et les dépositaires afin de préserver l’emploi. Les premiers possèdent la connaissance ; ils ne devraient pas avoir peur de la concurrence des seconds … »
Le député rappelle que l’arrivée de certains pharmaciens en zone rurale chasse des dépositaires de médicaments installés dans la localité parfois depuis des décennies. Une situation qu’il juge parfaitement injuste. L’élu de la province de Majunga espère le vote de sa loi durant cette session parlementaire.
RFI