Lutte contre l’enrichissement illicite : Le Syntade s’insurge contre la junte et l’Oclei
Dans une correspondance adressée au ministre en charge de la Fonction publique, le Syndicat national des travailleurs des administrations d’Etat (Syntade) demande, sur un ton menaçant, notamment l’arrêt immédiat des procédures judiciaires initiées par l’Office national de lutte contre l’enrichissement illicite contre des fonctionnaires.
A peine installé dans son fauteuil que le nouveau ministre du Travail, de la Fonction publique, Porte-parole du gouvernement, Me Harouna Toureh, tient une patate chaude. En effet, dans une correspondance à lui adressée ce 09 octobre 2020, le Syndicat national des travailleurs des administrations d’Etat revient à la charge dans le dossier de la lutte contre l’enrichissement illicite au Mali. « Harcèlement des militants » ; tel est l’objet de ladite lettre signée du secrétaire général adjoint du Syntade et dont les autorités de transition (président, vice-président, Premier ministre et ministre de la Justice) sont ampliatrices. Le Syntade y regrette la poursuite des activités de terrain de l’Office national de lutte contre l’enrichissement illicite (Oclei). «Pire, avant même d’attendre la nouvelle loi, beaucoup de nos militants font de nos jours l’objet de poursuites judiciaires initiées par l’Oclei. Cette situation déplorable nous parait comme une licence à la violation des accords signés et devrait être décriée avec la plus grande vigueur», dénonce le syndicat dirigé par Yacouba Katilé, non moins secrétaire général de l’Union nationale des travailleurs du Mali (Untm). Face à cette situation, le Syntade demande au ministre en charge de la Fonction publique non seulement d’instruire l’arrêt « immédiat » des procédures judiciaires contre des fonctionnaires, mais aussi de faire prendre les dispositions « diligentes » en vue de l’adoption du projet d’ordonnance portant modification de la loi n°2014-015 du 27 mai 2014. Les administrations d’Etat menacent par ailleurs de prendre leurs responsabilités « en tirant toutes les conséquences de droit», au cas où ‘’cette ‘’fâcheuse’’ situation perdurerait.
Mise au point
Contactées par nos soins relativement à cette dernière correspondance du Syntade, des sources proches de l’Oclei relèvent qu’une simple lecture attentive du procès-verbal auquel le syndicat fait allusion ne permet pas de relever la suspension « des activités de terrain » de l’Oclei. « La suspension des activités publiques » qu’invoque le procès-verbal de novembre 2017 pourrait s’entendre plutôt de la non-médiatisation des activités de l’Oclei. Ce que cette structure s’est évertuée à faire jusqu’à présent, soulignent nos sources.
Elles notent en outre qu’aucune disposition du même procès-verbal ne mentionne que la loi n°2014-015 du 27 mai 2014 portant prévention et répression de l’enrichissement illicite est suspendue ou abrogée. Par conséquent, ladite loi demeure applicable jusqu’à l’adoption d’une éventuelle loi devant la remplacer ou la modifier.
Il importe de souligner que le Syntade n’est pas à sa première levée de bouclier contre l’Oclei.
Déjà en 2017, le même syndicat avait observé une grève de 72 h pour protester contre la loi n°2014-015 du 27 mai 2014 portant prévention et répression de l’enrichissement illicite qu’il jugeait ‘’sélective et injuste’’. Toute chose qui avait abouti à la signature, en novembre 2017, d’un procès-verbal de conciliation entre le gouvernement et le Syntade. Le régime d’alors s’y était engagé à suspendre toutes les activités de terrain de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite. Il avait aussi promis de mettre en place une commission d’identification et de correction des difficultés et insuffisances des la loi portant prévention et répression de l’enrichissement illicite. Les travaux de ladite commission avaient servi de base pour l’élaboration du projet d’ordonnance portant modification de la loi n°2014-015 du 27 mai 2014. L’Office national de lutte contre l’enrichissement illicite avait tout de même poursuivi ses travaux sur le terrain, et avait remis son premier rapport aux autorités maliennes en décembre 2019. Dans ledit rapport, l’Office épingle trois fonctionnaires (deux Inspecteurs des finances et un Inspecteur des services de la sécurité sociale), dont les dossiers sont remis à la justice. Furieux, le Syntade adresse une correspondance au ministre du Dialogue social, du Travail et de la Fonction publique le 13 décembre 2019. Il y dénonce la poursuite des activités de l’Oclei et invite le ministre «d’instruire, en sa qualité de garant des accords, l’arrêt immédiat des manœuvres de l’Oclei qui donne l’impression de non protection aux fonctionnaires».
Fuite en avant ?
Selon des observateurs avisés, ce énième agissement du Syntade pourrait s’expliquer par la volonté affichée des autorités de transition de mener une lutte implacable contre la corruption. Des fonctionnaires chercheraient ainsi les voies et moyens d’entraver les actions de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite. Pour arriver à leurs fins, c’est-à-dire bloquer les dossiers qui sont en cours d’investigations au niveau de l’Oclei, ils mettent la pression sur les nouvelles autorités pour l’adoption d’une ordonnance devant modifier la loi n°2014-015 du 27 mai 2014 portant prévention et répression de l’enrichissement illicite. Aussi, accusent-ils l’Oclei de ne pas respecter le procès-verbal de conciliation entre le Gouvernement et le Syntade, signé en novembre 2017. En attendant, les Maliens se demandent où est-ce que la justice en est avec les trois dossiers déjà transmis au procureur du Pôle économique et financier du Tribunal de grande instance de la commune III de Bamako en janvier 2019.
Bakary SOGODOGO