L’ONU, temple du désordre mondial
Macron et Trump ont proposé deux visions du monde contradictoires. Principaux bénéficiaires : les pays “illibéraux”…
Par deux phrases, prononcées lors de son discours devant l’Assemblée générale de l’ONU, le 25 septembre, Emmanuel Macron a posé dans toute son ampleur la dimension dramatique du grand désordre mondial. “Nous vivons aujourd’hui une crise profonde de l’ordre international libéral westphalien”. Et d’ajouter : “Née d’une espérance, l’ONU peut devenir, comme la société des Nations qui l’a précédée, le symbole d’une impuissance”. Il s’agit là de deux références historiques absolument majeures, sur lesquelles étaient fondées jusqu’ici le fragile équilibre de la planète.
Le système westphalien à l’agonie
Par les trois Traités de Westphalie, signés en 1648, l’Europe mettait fin à l’atroce guerre de Trente ans qui ravagea l’Allemagne et mêla les conflits de religion, les rivalités féodales et la primauté finissante de la papauté sur tout le continent. Pour la première fois dans l’histoire de l’Europe et du monde, tous les souverains s’asseyaient ensemble autour d’une même table de négociation, afin d’envisager leurs différends et les trancher d’État à État. Une fois pour toutes étaient soudain reconnus le principe de la souveraineté pleine et entière des États sur leur propre territoire, l’existence de trois confessions religieuses (catholique, luthérienne et calviniste), la non-ingérence puisque chaque souverain était libre d’imposer la religion qu’il voulait à ses sujets.
Les États devenaient ainsi souverains sur un espace donné et connu des voisins, leurs frontières étaient acceptées par les autres, les empires multinationaux cédaient le pas devant les États-nation. La guerre comme la paix étaient déclarée ou signée entre nations, et non plus entre princes ou rois : cela constitua jusqu’à la Révolution de 1789 une étape majeure dans la modernisation de l’Europe et dans l’apparition de principes de fonctionnement d’un ordre mondial. Westphalie fut ainsi l’acte de naissance de la période moderne et jeta les bases du droit international, ce qui n’empêcha aucunement les guerres, mais mit fin au seul droit du plus fort : après 1648, ce ne fut plus un empereur (comme Charles-Quint) ni l’Église qui définirent par-dessus les peuples l’appartenance des territoires et les lois qui s’y imposaient, ce fut chaque souverain qui légiféra pour son peuple.
La fin de l’hégémonie occidentale
Pour ce qui est de l’ONU, sa création découle directement de l’existence d’États-nation, qui s’étaient entendus pour tenter d’instaurer un droit évolutif et en grande partie optimiste, dit “international”. C’est justement ce qui marque aujourd’hui les limites de l’organisation. D’une part, la carte des grandes nations, celles qui furent appelées à devenir membres permanents du Conseil de sécurité (Etats-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni, France) par la Charte des Nations Unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945, a profondément changé. En 2018, est-il concevable que l’Inde, ou l’Allemagne, ne soient toujours pas membres permanents du Conseil de sécurité ? D’autre part, et c’est bien le point le plus inquiétant, le poids économique des nations l’emporte sur toute autre considération humaniste ou relative au respect des droits de l’homme ; nous assistons tout bonnement à la fin de l’ordre occidental.
Tandis qu’Emmanuel Macron, défenseur du multilatéralisme, s’est escrimé à réaffirmer à la tribune de l’ONU qu’il ne croit pas “à la loi du plus fort quand bien même elle s’habillerait d’une forme de légitimité”, Donald Trump a défendu la souveraineté face au “globalisme”, terme volontairement dépréciatif, avec pour seule ligne de conduite les intérêts économiques américains et pour orientation stratégique la mise à genoux de l’Iran. Inutile de se concerter donc, spécialement entre alliés ; bye bye Westphalie…
Trump fait rire le monde entier
Entre la France et les États-Unis, deux vieilles nations issues de la tradition démocratique libérale, on a assisté à deux discours contradictoires au sein du camp occidental. Or cela est de nature à satisfaire les pays “illibéraux”, dont les dirigeants avaient du reste estimé, de manière hautement significative, inutile de se déplacer : Vladimir Poutine, Xi Kinping et l’Indien Narendra Modi étaient absents à New York… Ces trois derniers pays marchent ensemble contre l’ordre occidental. Par-dessus tout, en affirmant que son administration avait, en moins de deux ans, fait plus de choses que toutes les autres dans l’histoire de son pays, Donald Trump a provoqué des éclats de rire fort peu diplomatiques au sein de l’Assemblée générale de l’ONU. Les États-Unis peuvent-ils tolérer de devenir la risée du cénacle diplomatique international ? Si l’ancien ordre est révolu, le nouveau est encore loin d’être advenu.
Par Christian Makarian
l’express.fr