«Que chacun prie pour que son nom n’apparaisse pas dans un dossier de corruption… Personne ne sera épargnée parce qu’elle est proche de moi» ! L’avertissement est du président de la Transition, Colonel Assimi Goïta. C’est un engagement pris devant les familles fondatrices de Bamako, les leaders religieux et forces vives de la nation venus lui présenter leurs meilleurs vœux du nouvel an le 15 janvier 2024 à Koulouba. Cet engagement est en harmonie avec le souhait des Maliens de voir une lutte implacable engagée contre les pratiques mafieuses (corruption, délinquance financière…) qui continuent d’hypothéquer nos efforts individuels et collectifs de développement.
Et pour une fois, la justice malienne semble être déterminée à suivre la volonté politique affichée en équilibrant sa balance en faveur de l’intérêt national et non du plus nanti ou de celui qui à le bras suffisamment long pour l’infléchir en sa faveur. Elle le démontre dans ce que les médias qualifient aujourd’hui de «EDM Gate». Il s’agit des poursuites engagées suite au scandale de l’achat de groupes et de détournement de carburants aux dépens d’Energie du Mali SA (EDM SA). L’étau s’est resserré sur ceux qui n’ont pas pu convaincre les enquêteurs de leur innocence. Et ceux qui ont pu le prouver, sont désormais libres. Dans cette affaire, l’inculpation d’un jeune opérateur économique a suscité l’émoi sur les réseaux sociaux le 23 janvier 2024. On a ainsi assisté à une vague de prière et de soutien sous prétexte qu’il est généreux, qu’il est un philanthrope.
Comme si certains avaient soudainement décidé de faire le deuil de leur aspiration à une gouvernance vertueuse qui a été le moteur des manifestations ayant abouti aux événements du 18 août 2020. Est-ce que faire du bien avec l’argent mal acquis (nous n’accusons personne) doit-il mettre quelqu’un au-dessus de la loi ? Chacun trouvera sa réponse à cette question. Mais, elle nous pousse à nous intéresser un peu à la philanthropie. Selon plusieurs dictionnaires consultés, un philanthrope est une personne qui aime les êtres humains ; celui ou celle qui s’occupe d’améliorer le sort de ses semblables. Autrement, il est altruiste, bon, charitable, généreux, humain, humaniste… L’aide de voisinage, les dons spontanés ou les mouvements sociaux en font partie.
La philanthropie se rapporte aux valeurs. Ainsi, les actions philanthropiques doivent ainsi exprimer un comportement éthique envers d’autres êtres humains. La philanthropie existe dans le monde entier et sa tradition remonte aux débuts de la civilisation. Dans toutes les religions du monde, on trouve des réglementations et des recommandations philanthropiques. Même si le philanthrope est libre de tout lien politique, religieux ou dogmatique. Tout comme il n’est pas celui qui s’enrichit aux dépens du trésor public, des communautés ou de l’entreprise qui l’emploie et qui utilise par la suite une partie de cette fortune mal acquise dans le social (comme on le dit chez nous) ou dans le mécénat (cantatrices, artistes, humoristes…).
Dans le cas espèce de «EDM Gate», tous les Maliens ont intérêt à laisser la justice faire son travail. Et cela d’autant plus qu’on ne saurait réclamer le changement et une gouvernance vertueuse et souhaiter l’impunité pour des «bienfaiteurs» qui ont détournés ou ont aidé à détourner des milliards des fonds publics. Les faits reprochés aux principaux inculpés du feuilleton judiciaire d’EDM sont évalués à 6 milliards de F Cfa dont 4 milliards se seraient miraculeusement évaporés. Des montants faramineux comme 200 milliards F Cfa (somme de plusieurs détournements) sont aussi avancés. Avons-nous une idée du nombre de CSCOM, de forages, d’écoles… qu’on aurait pu réaliser avec cette somme ? Avons-nous conscience des conséquences dramatiques du manque de ces infrastructures sociales de bases pour les communautés qui n’en disposent pas ?
Sans parler des conséquences sociales et économiques des coupures intempestives de courant depuis au moins un an. Combien de PMI/PME (Petites et moyennes entreprises/Petites et moyennes industries) ont fait faillite depuis, entraînant des travailleurs en chômage technique et propulsant des familles dans la misère ? La corruption et la délinquance financière sont des crimes dont les conséquences sont inestimables et inimaginables. Et quand on est accusé d’un tel crime et qu’on est sûr d’être innocent, mieux vaut laisser la justice faire son travail pour vous blanchir.
Ceci dit, n’allons pas non plus vite en besogne. Un mandat de dépôt n’est pas une condamnation. Il n’est pas non plus synonyme de culpabilité. Certes, nul n’est sensé ignorer la loi et nul n’est au dessus de la loi. Mais, la présomption d’innocence est aussi un principe sacré de la justice. Tant qu’un verdict n’est pas rendu, toute personne qui se voit reprocher une infraction est censée être innocente tant que sa culpabilité n’a pas été légalement démontrée par le juge.
Comme le dit une sœur juriste, «chacun de nous peut aller en prison. Et certains seront de vrais coupables alors que d’autres ne sont que de pauvres innocents qu’on accusera injustement». Ne jetons donc pas la pierre à quelqu’un parce qu’un juge a délivré un mandat de dépôt contre lui. Tout comme nous devons nous garder de blanchir quelqu’un et le mettre au-dessus de la loi juste parce qu’il est généreux !
Moussa Bolly
Le Matin