Il y a quelques jours, nous avons reçu (de diverses sources) un texte qui n’est pas sans interpeller tout Africain soucieux du devenir de son pays et de son continent. Il s’agit d’un Zambien de la diaspora pris à partie aux Etats-Unis au réveillon 2012 sur un vol par un ancien cadre du Fonds monétaire international (FMI) devenu coursier pour une société qui a racheté la dette de la Zambie à la Banque mondiale.
Authentique ou fiction, ce qui est sûr, c’est que ce texte tire sa source d’une réalité palpable à toutes les échelles : l’Afrique malade de ses élites ! Une élite complexée, des dirigeants malléables et serviables prêts à sacrifier les intérêts de leurs pauvres pays pour conquérir ou rester au pouvoir. Les confidences de l’ex-expert du FMI peut donner envie de l’assommer par un uppercut tant il assène à son interlocuteur des vérités toute crue
Comme quand il demande par exemple : «Donnez-moi un président africain, un seul, qui n’a pas craqué sous l’effet combiné de la carotte et du bâton» ? Ou quand il reconnaît : «Je faisais partie du groupe du FMI qui est venu vous (les Zambiens) arnaquer…». Comble de l’ironie, rappelle-t-il, «votre gouvernement m’a mis dans un manoir d’un million de dollars surplombant un bidonville appelé Kalingalinga. De ma terrasse, j’ai tout vu : les riches et les pauvres, les malades, les morts et les bien portants». Combien de présidents africain étaient incorruptibles à l’époque ? Le Zambien avance le nom de Masire, président du Botswana (Ketumile Joni Masire dit Quett Masire décédé le 22 juin 2017). «Oh lui, eh bien, nous ne l’avons jamais touché parce qu’il a refusé le FMI et la Banque mondiale. C’était la chose la plus intelligente à faire pour lui», admet son interlocuteur.
Et ce qu’il nous reproche, nous les Africains, c’est d’être trop paresseux pour nourrir de grands rêves. «Quand vous posez votre tête sur l’oreiller, vous ne rêvez pas Grand. Vous et les autres soi-disant intellectuels africains êtes de sacrés paresseux. C’est vous, et non ces pauvres gens affamés, qui êtes la raison pour laquelle l’Afrique est dans un état si déplorable», défend-t-il. Sinon, avoue l’expert, «les Africains pauvres et sans instruction sont les personnes les plus travailleuses sur terre. Je les ai vus sur les marchés de Lusaka et dans la rue en train de vendre des marchandises. Je les ai vus dans les villages travailler dur. J’ai vu des femmes sur Kafue Road écraser des pierres pour les vendre et j’ai pleuré. Je me suis dit où sont les intellectuels zambiens ?»…
Au même moment, nos intellectuels noient leur insouciance dans l’alcool, dans de grosses cylindrées ou dans les bras de l’une de leurs nombreuses maîtresses. «Pourquoi pensez-vous que les Asiatiques sont une force avec laquelle il faut compter ? Ils ont volé nos idées et les ont transformées en leurs. Regardez le Japon, la Chine, l’Inde, regardez-les…Tant que tu dépendras de mon avion, je me sentirai supérieur et toi mon ami restera inférieur. Les Chinois, les Japonais, les Indiens, même les Latinos sont un cran au dessus. Vous, les Africains, êtes au bas de l’échelle», défend-t-il. De quoi rapidement dégonfler un afro-optimiste.
Malheureusement Walter (l’expert) a raison. Il est vrai que depuis l’indépendance nous n’avons pas su faire preuve de déni de projet civilisationnel. Nous voulons tous devenir fonctionnaires pour vivre sur le dos du contribuable, pour mieux piller le Trésor public… En tant qu’intellectuels, nous manquons d’initiative et nous pensons que le développement peut être généré en nous asseyant de 8h à 16h derrière un bureau avec une belle cravate et nos diplômes accrochés au mur. A nos yeux, l’échec le plus important est dû à des circonstances politiques sur lesquelles nombreux d’entre nous ont eu peu de contrôle. Nos gouvernements ont rarement réussi à créer un environnement qui récompense les idées novatrices et encourage la résilience.
On peut écrire une série de livres sur les tares, les péchés mignons de nos intellectuels, de nos élites ; sur leur incapacité à s’ériger en modèle décomplexé pour montrer la voie à suivre à la masse laborieuse pour atteindre le développement socioéconomique. Mais, ce qui a le plus retenu notre attention, ce sont des passages comme quand l’expert reconnaît : «Je faisais partie du groupe du FMI qui est venu vous arnaquer…» ! Tout comme quand il avoue qu’ils n’ont pas réussi à faire de feu Quett Masire une marionnette politique parce qu’il a «refusé le FMI et la Banque mondiale». Et c’était «la chose la plus intelligente à faire pour lui».
En fait, ces passages confortent nos convictions que les institutions de Bretton Woods sont des outils d’asservissement et de chantage sur nos États. La dette ne jure pas avec souveraineté parce qu’on est toujours à la merci de celui à qui on est redevable. Sans compter que leurs fonds, généralement assortis de conditionnalité poussant à renoncer à beaucoup de nos valeurs et à sacrifier les vraies préoccupations des populations, sont aussi des hypothèques au développement de nos Etats. Montrez-moi dans le monde un seul pays qui s’est tiré d’affaires grâce à l’aide au développement ?
Malheureusement, le poids de la dette publique en Afrique ne cesse de s’alourdir en passant par exemple en moyenne de 37 % du PIB en 2012 à 62 % du PIB en 2019. Comment aspirer à l’émergence économique alors que l’endettement public constitue dans la majorité de nos pays le principal levier de financement du développement ? Même ceux qui font tout pour nous asservir par la dette reconnaissent qu’un niveau d’endettement public non soutenable nuit à la croissance avec des conséquences préjudiciables sur les personnes les plus vulnérables.
Comment sortir de ce cercle infernal, vicieux ? «La vraie question aujourd’hui n’est pas de savoir comment sortir de la dette, mais plutôt comment s’endetter intelligemment sans que ce soit au détriment des investissements dans la santé ou l’énergie», a récemment réagi Amine Idriss Adoum, Directeur des infrastructures au sein de l’agence de l’Union africaine (UA) pour le développement.
Nous pensons qu’il est plutôt temps qu’on tourne le dos au FMI et à la Banque mondiale comme feu le président Quett Masire du Botswana. Il a rejeté les institutions de Bretton Woods sans échouer dans la réalisation de sa vision pour son pays. Démocratie parlementaire stable, le Botswana est cité en exemple pour sa bonne gouvernance parce qu’il surfe sur les retombées de la vision politique du défunt président. Ambitionnant de devenir un pays à haut-revenu d’ici 2036, le Botswana est le 7e pays le plus riche d’Afrique sub-saharienne (PIB par tête de 7 250 USD, PIB de près de 19 milliards en 2022).
C’est en tout cas le meilleur exemple qui prouve qu’on peut se passer de la Banque mondiale et du FMI et combler les attentes de sa population. L’Afrique peut et doit se passer de l’aide au développement et assurer son émergence. Pour cela, il faut par exemple que nos Etats assument leur pleine souveraineté sur l’exploitation et la commercialisation de leurs richesses. Notre continent est aujourd’hui au cœur de toutes les convoitises. Ce qui doit être un atout pour imposer nos conditions au lieu de subir celles de ceux qui en ont besoin. Nos pays ne doivent plus par exemple exporter un produit à l’état brut.
Vous voulez du coton du Mali, du Burkina ou du Bénin ? Pas de soucis, aidez-nous d’abord à implanter des industries de transformation en sous-produits créant de la valeur ajoutée. Vous voulez l’or… ? La même chose. Et c’est à ce niveau que nos élites doivent se reprendre et se rendre réellement utiles à nos Etats. Qu’elles mettent leur compétence, leur expertise et leur expérience en marche pour nous aider à ne plus brader nos richesses, mais à tirer le maximum de profits de leur exploitation et de leur commercialisation.
Moussa Bolly
Le Matin