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L’impérialisme : diplomatie normative de tous les États capitalistes (1ère partie)

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L’actuel conflit militaire entre la Russie et l’Ukraine offre l’occasion inespérée aux gauchistes et tiers-mondistes de toutes obédiences politiques de fustiger « l’impérialisme américain », désigné comme le principal responsable de l’escalade guerrière. Fauteur de guerres. Voire l’unique coupable de toutes les guerres.

Contrairement à l’opinion gauchiste dominante communément répandue, notamment dans les pays du Tiers-Monde, les États-Unis ne détiennent pas le monopole de l’impérialisme. Depuis plus d’un siècle, l’impérialisme constitue le fonctionnement normatif de tout État intégré dans la mondialisation dominée par des tensions commerciales et géopolitiques permanentes, vectrices de conflits armés récurrents. La politique d’affrontement chronique, devenue la modalité de gouvernance de la majorité des États inscrits dans des enjeux géopolitiques impérialistes marqués par des rivalités commerciales mondiales, et jeux diplomatiques opportunistes et retournements d’alliance surprise, débouche inexorablement et fréquemment vers la guerre ouverte et l’adoption du militarisme comme exclusif régulateur économique et social. Comme le disait Bismarck, chancelier allemand : « La diplomatie sans les armes, c’est la musique sans les instruments ». À notre époque impérialiste, la politique diplomatique s’accomplit en treillis, portée par les blindés, escortés par les bombardiers et les sous-marins militaires. De nos jours, qu’on pourrait qualifier d’âge des extrêmes, comme l’avait déclaré Will Rogers, scénariste américain : « Les diplomates sont là pour commencer les guerres comme les soldats pour les finir ». Autrement dit, la diplomatie sert d’abord à faire la guerre et les soldats à entériner les faits d’armes diplomatiques. C’est la diplomatie de la canonnade.

Globalement, l’impérialisme peut être défini comme la politique d’un pays œuvrant à la conservation ou à l’extension de sa puissance économique et militaire sur d’autres pays ou territoires convoités pour leurs richesses ou leurs emplacements hautement stratégiques.

De ce point de vue général, l’impérialisme fut l’apanage de nombreux anciens empires (romain, ottoman), fondés sur une politique de conquête et de domination constante.

Néanmoins, dans le mode de production capitaliste, l’impérialisme revêt un caractère singulier. Comme l’a écrit Rosa Luxembourg : « la tendance du capitalisme aux expansions constitue l’élément le plus important, le trait remarquable de l’évolution moderne; en fait l’expansion accompagne toute la carrière historique du capital, elle a pris dans sa phase finale actuelle, l’impérialisme, une énergie si impétueuse qu’elle met en question toute l’existence civilisée de l’humanité ». Cette définition permet de comprendre la spécificité de l’impérialisme contemporain ancré dans un capitalisme mondialisé miné par la crise économique systémique et déchiré par la lutte de classe permanente, engendrant des tensions commerciales incessantes et des conflits militaires récurrents, transformant continuellement la planète en fronts de guerre et champs de ruines. « Un bon diplomate est quelqu’un qui peut égorger son voisin sans que celui-ci le remarque », a écrit Trygve Lie, le premier secrétaire général de l’ONU. De nos jours, la diplomatie normative d’un État est l’art d’étrangler militairement le pays voisin le plus ordinairement possible, sans que sa population s’en avise, ni l’opinion internationale ne s’en offusque.

Depuis l’unification du marché mondial départagé en zones d’influence entre les États capitalistes avancés et émergents rivaux, au début du 20ème siècle, l’exacerbation de la concurrence entre ces États, suscitée par la crise permanente et la surproduction structurelle, conduit implacablement à l’aggravation des tensions militaires, au développement du militarisme matérialisé par l’augmentation exponentielle des armements, et à la subordination de l’ensemble de la vie sociale aux impératifs de l’économie de guerre. Et, en dernier ressort, à la guerre généralisée.

Jusqu’à présent, l’idéologie gauchiste qualifie d’impérialiste uniquement un État ou un bloc spécifique, du fait de sa puissance économique et militaire. Curieusement, il s’agit toujours d’un État occidental ou du bloc atlantiste, désigné systématiquement d’unique responsable de la barbarie guerrière perpétrée dans le monde. Or, sous le capitalisme impérialiste, certes, les États ne disposent pas de la même puissance économique et militaire. Mais tous les États, quel que soit leur poids économique et leur place sur l’échiquier géopolitique, sont éperonnés par la même politique impérialiste, la même appétence d’hégémonie et de domination. Aiguillonnés par le même esprit de prédation. De conquête.

Une fois admise cette réalité politique inhérente à l’époque de l’impérialisme contemporain, dominée par les tensions commerciales et les rivalités géopolitiques, la distinction établie entre États oppresseurs et États opprimés devient irrecevable, inacceptable. Car, dans l’arène mondiale travaillée par des rapports de force de domination, tous les États sont en concurrence commerciale et rivalités géopolitiques. Par ailleurs, chaque État s’inscrit dans les enjeux d’alliance diplomatiques et militaires, s’agrège à un bloc impérialiste. À l’ère de l’impérialisme, la neutralité est une duplicité.

Aussi, comme on le constate à la faveur de la guerre russo-ukrainienne, faut-il dénoncer la distinction établie par les gauchistes ou chauvinistes bourgeois entre pays agresseur (Russie, selon les Occidentaux) et pays agressé (Ukraine, selon les tiers-mondistes), car elle sert à justifier la guerre « défensive ». Ce paravent de guerre « défensive », en fonction des orientations politiques des va-t-en-guerre, est aujourd’hui brandi et par les partisans de Zelensky, cette potiche du Pentagone, et par les sectateurs de Poutine, ce nouveau tsar de l’empire déchu. Ce dernier, Poutine, est, dans cette période de vide révolutionnaire, présenté comme le prophète du nouvel ordre multipolaire qu’il imposerait au monde, non par la force de sa puissance économique anémique, mais par la robustesse de son armée haillonneuse. À l’ère du désarroi, tout le monde croit au miracle. Une partie de la planète des pays du Sud, curieusement imprégnée de religiosité, pense construire un nouvel ordre mondial florissant au moyen de la brique (BRICS : si je devais laisser libre cours à mon habituel humour algérois, je dirais BRICKS algériennes, succulent mets réputé pour ses vertus caloriques et facultés régénératives), et ce, en pleine phase d’effondrement du capitalisme, de découplage économique, de flambée du paupérisme, d’explosion des nationalismes chauvinistes et bellicistes, d’escalade guerrière internationale.

« Les BRICS vont nous sauver », tel est le nouveau credo des pays du Sud, qui prétendent bientôt détrôner la première puissance mondiale, les États-Unis. Selon les thuriféraires du nouvel ordre chimérique, la Chine s’apprêterait à devenir la locomotive de l’économie mondiale (et ce, au moment où Pékin impulse son découplage économique, opère un tournant productif et commercial autarcique, autrement dit où elle tourne le dos au reste du monde désormais plongé dans la récession). Les tiers-mondistes jubilent : l’hégémonie américaine sera bientôt pulvérisée. Grâce à la puissance du BRICS, symbole du miracle économique, les peuples du Sud vont enfin vivre dans un monde (capitaliste) plus équilibré et équitable. Ce naïf engouement exhibé par les tiers-mondistes, au-delà d’être risible, révèle leur attachement au monde capitaliste. Car, en l’espèce, ce projet BRICS est une énième vaine tentative de refondation du monde au sein du capitalisme.

Or, le capitalisme ne peut plus être refondé, réformé. Car le capitalisme, à l’instar de l’esclavagisme et du servage anéantis, est un système d’exploitation condamné également à disparaître. Telle est l’unique mission historique dévolue à l’humble humanité exploitée et opprimée : enterrer le capitalisme, devenu irrationnel, incontrôlable, génocidaire. Tout le reste n’est que littérature.

Au vrai, pour revenir à notre sujet central, l’incrimination du seul impérialisme supposément agressif, alléguée par la propagande adverse, légitime l’enrégimentement de la population dans la guerre.

Quoi qu’il en soit, depuis un siècle, le militarisme et l’impérialisme constituent le mode de fonctionnement systématique du capitalisme ordinaire. À l’ère de l’impérialisme triomphant, tous les États sont fondés, outre la guerre économique, sur une économie de guerre. Plus que jamais, l’économie est au service de la guerre. Et la scandaleuse flambée des dépenses militaires en pleine crise économique et pandémique vient rappeler l’irrationalité du capitalisme. Au moment où tous les budgets sociaux sont déclarés en mort cérébrale, le budget de la mort connaît une résurrection extraordinaire. Le budget militaire affiche une santé financière indécente. Depuis le début de notre siècle, c’est-à-dire en vingt ans, les dépenses militaires de tous les pays ont doublé, illustration de la militarisation des États.

Actuellement, une grande partie du globe est en proie à des conflits armés. C’est le cas du Yémen, en guerre, dans l’indifférence générale, depuis au moins 11 ans, victime de l’agression impérialiste menée par la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite. Le Yémen déplore plus de 233.000 morts et 2,3 millions d’enfants souffrant de malnutrition aiguë dont 400.000 risquent de mourir sans traitement, selon l’ONU. La population manque d’eau potable et de soins médicaux. L’Organisation des Nations unies (ONU) classe le Yémen comme la pire situation humanitaire au monde, avec 5 millions de Yéménites au bord de la famine. On peut citer également les guerres en Syrie, Haïti, l’Afghanistan, Mali, etc.

Dans cette phase historique marquée par l’expansion phénoménale du capitalisme d’État et l’exacerbation des tensions commerciales, la guerre est devenue le seul instrument de régulation du système économique en crise permanente. L’unique moyen employé par chaque impérialisme pour tenter de résoudre, au détriment des autres États rivaux, ses contradictions.

Désormais, chaque capital national est contraint par les lois imparables du mode de production capitaliste à s’insérer dans la compétition impérialiste à son seul profit ou à la solde d’un camp puissant hégémonique. Pour se faire, l’État mobilise tous les moyens coercitifs et instruments propagandistes pour enrégimenter l’ensemble de la société au service de l’économie de guerre en vue d’affronter militairement ses rivaux économiques ou stratégiques.

La guerre est devenue le pivot de la production industrielle, la variable d’ajustement du fonctionnement économique de la société. C’est la raison pour laquelle tout progrès technologique est conditionné par le militaire. Toute l’économie nationale repose sur le développement exponentiel de l’armement destiné à neutraliser les pays rivaux, concurrents. À l’ère de l’unification mondiale du commerce sur fond d’une surproduction effrénée, la guerre est devenue l’unique moyen employé par les États pour s’accaparer les marchés ou préserver leur hégémonie.

Cependant, avec l’entrée du capitalisme dans sa phase de déclin historique, la guerre impérialiste a perdu sa rationalité économique. La dimension géopolitique ou purement idéologique (défense de la liberté abstraite ou de la « nation ancestrale » offensée) tend à phagocyter l’intérêt proprement économique.

Comme on le relève avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il s’agit d’une simple conquête géostratégique, arrachée au prix de destructions massives barbares.

En effet, comme l’illustre l’actuel conflit militaire en Ukraine, la guerre constitue un véritable désastre socioéconomique et une hécatombe humaine. Autrement dit, dans cette guerre en Ukraine, comme la majorité des guerres impérialistes entreprises ces dernières décennies partout dans le monde, les coûts dépassent largement les bénéfices tirés par les belligérants.

Déjà, moralement, toute guerre est, par principe, condamnable et inacceptable. À plus forte raison à notre époque impérialiste décadente, la guerre, de plus en plus « irrationnelle » du point de vue économique, devient inadmissible et révoltante. Surtout incompréhensible.

Assurément, la guerre en Ukraine témoigne de l’accélération brutale du militarisme. Rappelons que le militarisme se manifeste, ces dernières décennies, par la prolifération de conflits militaires sanglants, fréquemment opérés sous la forme de guerres civiles, la manifestation d’ambitions impérialistes et la désintégration de structures étatiques : Somalie, Yougoslavie, Afghanistan, Irak, Syrie, Yémen, Mali, etc.

Sans conteste, la guerre en Ukraine illustre l’irrationalité de toute guerre impérialiste. En effet, l’actuelle guerre menée par la Russie est dénuée de toute fonction économique et intérêt stratégique. Pour preuve. Pour justifier et légitimer le déclenchement de la guerre contre l’Ukraine, baptisée par euphémisme « opération militaire spéciale », la Russie a argué défendre les russophones ukrainiens. Or, elle massacre des dizaines de milliers de civils dans les régions habitées essentiellement par des russophones. Elle détruit des infrastructures et des immeubles situés principalement dans les zones russophones. Où sont l’amour et le respect de la Russophonie ? Des régions russophones ? Quand toutes les régions russophones sont transformées en champs de ruines.

Une chose est sûre, quand bien même la Russie viendrait à s’emparer du Donbass et des régions limitrophes du Sud, elle conquerrait des décombres, des débris, mais, surtout, soumettrait une population meurtrie animée d’une haine inexpiable, totalement rebelle et ingouvernable. Sans oublier qu’elle subirait une débâcle stratégique dans ses ambitions d’hégémonie et une érosion de sa moyenne puissance économique régionale.

Sans nul doute, avec sa politique belliciste, sa stratégie de la « terre brûlée », dépourvue de bénéfices économiques et intérêts stratégiques manifestes, la Russie illustre de manière éclatante l’irrationalité de toute guerre menée à l’ère du capitalisme impérialiste décadent.

Par ailleurs, de nos jours, l’amplification de l’irrationalité des conflits militaires se conjugue avec l’irresponsabilité et la dangerosité des nouveaux gouvernants hissés aux commandes de l’État, illustration de l’intensification du militarisme et du délitement de la gouvernance, corollaires de l’étiolement du pouvoir d’encadrement de la bourgeoisie sur ses structures politiques et ses institutions étatiques, livrées à la gabegie générale, l’incurie gouvernementale, l’amateurisme en matière d’administration, conduisant à des politiques aventuristes menaçant la stabilité et le fonctionnement de la société, voire la survie de l’Humanité, notamment par le brandissement du recours à l’arme nucléaire, comme s’il s’agissait d’une arme inoffensive, ainsi que l’agite actuellement Poutine contre les dirigeants occidentaux, tout autant psychopathes que va-t-en-guerre, ces soudards de la politique, soulards de guerres, enivrés d’une hystérique bellicosité éthylique.

par Khider Mesloub

Source: http://www.lequotidien-oran.com/

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