Liberté de la presse au Mali: Entre inquiétudes et vigilance
Le rapport de Reporters sans frontières (RSF) publié le 25 avril 2018 classe le Mali à la 115ème place sur 180 pays. Ce chiffre illustre une réalité du terrain, il n’est pas facile d’être journaliste au Mali. Arrestations, intimidations, difficultés pour travailler librement sur le terrain, en particulier au nord, ou encore à vivre décemment de sa profession… Les conditions ne sont pas toutes réunies pour faire de la presse un véritable contre-pouvoir. Et, si l’on en croit ses acteurs, la corporation a bien raison de s’inquiéter. Sans toutefois céder à l’autocensure ou à la peur, les journalistes maliens appellent à être plus attentifs et à combattre les dérives qui remettent en cause la liberté d’informer le public.
Le 24 février 2018, la Maison de la presse du Mali publiait un communiqué dans lequel elle attirait l’attention de l’opinion sur « l’interpellation manu militari de 3 journalistes de MaliActu.net à leur rédaction, le mercredi 21 février 2018 en fin de matinée ». D’après les récits concordants, les journalistes, le rédacteur en chef et deux de ses collaborateurs, ainsi que leur matériel de travail, ont été emmenés par des individus en armes. L’acte que la Maison de la presse a qualifié d’ « enlèvement » a mis toute la profession en émoi. Soupçonnés d’après les déclarations des autorités d’une tentative d’escroquerie sur la personne d’un élu communal, les journalistes ont fini par être relâchés après avoir passé plusieurs jours entre les mains de la Brigade d’investigation judiciaire et de la Brigade des mœurs et être passés devant le procureur du tribunal de première instance de la Commune III. Si Aliou Hasseye et Issa Coulibaly sont aujourd’hui libres de leurs mouvements, Salif Diarra est toujours soumis à un contrôle judiciaire…
Inquiétudes. La procédure contre les journalistes n’a pas fait l’objet de contestation par les acteurs des médias, n’étant toujours pas officiellement classée comme un délit de presse. Ce qui a le plus frappé les esprits, ce sont les conditions de leur interpellation, qui, toujours selon la Maison de la presse, « violent la procédure légale en la matière : aucune convocation ou citation n’ayant été servie ». Cette affaire vient s’ajouter à une liste de plus en plus longue d’attaques contre les professionnels de l’information. Des cas récents de menaces de mort ou d’intimidation après parution d’articles ont été recensés et il n’est plus rare d’entendre des journalistes assurer qu’ils ont été mis en demeure ou « conseillés » de faire attention sur tel ou tel sujet. « Cela s’appelle de la censure », déplore une journaliste, sous couvert d’anonymat. « D’ailleurs, nous finissons par nous-mêmes faire attention à ce que nous disons, à la façon de le dire, non plus seulement du point de vue de l’éthique ou de la déontologie, mais pour couvrir nos arrières ». « On sait qu’on est sur écoute et que nos conversations sur les réseaux sociaux sont suivies. Mais cela ne va pas nous faire taire », assure son confrère, qui reconnait cependant que « c’est pesant. Quand on voit des journalistes molestés en marge de manifestations, par exemple, ce n’est pas facile»…
Le classement RSF où le Mali gagne un point est-il donc erroné ? « Non », répond-on au sein de l’ONG. Les questionnaires remplis dans les différents pays ont été collectés entre fin 2017 et le tout début 2018. Ce qui fait que les récents incidents impliquant des journalistes n’ont pas été pris en compte ». Ils vont du durcissement des conditions de travail des journalistes sur le terrain à des cas de menaces de mort, d’intimidation voire d’emprisonnement. « Les médias maliens sont soumis à des pressions officielles sur les questions traitant de la sécurité », peut-on lire dans le rapport. Si les cas largement cités encore sont ceux celui de l’assassinat des deux journalistes de Radio France Internationale, dossier dans lequel l’enquête peine toujours à aboutir, ou de Birama Touré du Sphynx, dont la disparition depuis près de quatre ans et demi reste non élucidée, il y est également question du traitement réservé aux deux journalistes auteurs d’une enquête sur les comptes richement garnis de l’Episcopat catholique malien dans des paradis fiscaux. Même si les acteurs ne veulent pas céder à la psychose, force est de constater que les « incidents » se sont multipliés et qu’ils touchent un large spectre de professionnels, qu’ils soient de la presse écrite, de radio, de la télévision ou encore de la presse en ligne.
Traitement de « défaveur ». « Vous les journalistes-là ! »… Cette phrase, maintes fois répétée, dit toute la défiance que beaucoup ont vis-à-vis de la profession. « Il suffit de présenter ton passeport à l’aéroport et que le policier voit ta profession. Tu sens un regain d’intérêt subit pour ta personne », témoigne un journaliste. « On ne peut pas dire qu’on subit des pressions directes, mais le fait est qu’il ne fait pas très bon être journaliste par les temps qui courent dans notre pays. Les choses sont tellement tendues que, quel que soit ce que tu écris, il y aura quelque part quelqu’un qui le prendra pour lui ou contre lui », poursuit-il. « Il y aussi le chantage économique que l’on fait aux organes de presse », confie un patron de presse, qui affirme « il y a de nombreux cas d’organes qui ont perdu leurs abonnements avec la Présidence de la République parce qu’indexés comme étant de l’opposition ». A la Maison de la presse, instance-mère de tous les professionnels de médias du Mali, on reconnait avoir été « approché par des journaux comme le Sphynx ou l’Aube, dont les contrats ont été arrêtés parce qu’ils sont critiques vis-à-vis du pouvoir ». « Ce ne sont pas les seuls », poursuit le patron de presse. Il y a d’ailleurs, selon lui, diverses manières subtiles d’empêcher un journal de faire son travail et de priver les journalistes de leur liberté de parole. C’est là le plus grand danger.
Nombreux sont les témoignages de portes qui se ferment devant la carte de presse dûment présentée ou les sollicitations pour obtenir des informations pourtant normalement ouvertes au public. « C’est comme si on ne voulait pas que le public soit réellement informé ». « Il est normal que les gens aient peur des journalistes », assure M. K. chef de service. Pour notre interlocuteur, « ils (les journalistes, ndlr) sont souvent animés de mauvaises intentions et détournent les propos pour aller dans le sens des thèses qu’ils veulent défendre. Sans compter les nombreux journalistes de Facebook aujourd’hui. Ils prennent une photo, la sortent de son contexte et peuvent lui faire dire n’importe quoi. Quand on voit le nombre de personnes qui les suivent, il y a de quoi être prudent ». Les atteintes aux règles fondamentales de la profession, dont la principale est l’impartialité dans le traitement de l’information, se multiplient. L’arrivée dans la profession de nouveaux acteurs, sans formation journalistique et opérant pour la plupart sur les réseaux sociaux, contribue à ce phénomène, qui n’est cependant pas nouveau. « Nous sommes victimes de nos propres insuffisances. Certains journalistes parfois sont à l’origine des maux dont ils souffrent, eux qui sont prêts à vendre un article à 20 000 francs CFA, et à s’asseoir sur l’éthique et la déontologie », reconnait Dramane Aliou Koné, Président de la Maison de la presse. Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, plaide-t-il, car la presse est le baromètre de la démocratie et de la liberté des peuples. Au Mali, elle a été comme ailleurs au cœur des grands moments de l’histoire, qu’ils datent des indépendances ou soient plus contemporains. Les « signaux d’alerte » qui se multiplient ne sont donc pas un indicateur positif. L’arrivée dans les prochains jours d’une mission de Reporters sans frontières au Mali est symptomatique de ce mal-être de la profession. Qui ne veut cependant pas céder à « la peur et demeure vigilante ».
Journal du mali