«Les travailleurs migrants nécessitent plus d’attention dans les pays arabes du Golfe»
Meguetan Infos
Dans « Undocumented », le journaliste Rejimon Kuttappan a pour ambition de retracer soixante années de migration de la main-d’œuvre indienne dans les monarchies arabes du Golfe. Entretien.
Avant d’être expulsé vers son pays d’origine, l’Inde, le journaliste Rejimon Kuttappan a vécu plus de dix ans dans la région du Golfe. Dans son nouveau livre, il raconte l’histoire de huit de ses compatriotes – quatre hommes et quatre femmes – en situation irrégulière.
RFI : Quel est le message que vous avez voulu transmettre ?
Rejimon Kuttappan : Dans la région du Golfe, les histoires que nous entendons sont celles des gens qui ont « réussi ». Or, les statistiques du gouvernement indien montrent une autre réalité. Il y a 9 millions de ressortissants indiens dans les six pays du Conseil de coopération du Golfe, en Jordanie et au Liban. Parmi eux, 8,5 millions gagnent moins de 50 000 INR (roupies indiennes) par mois (soit moins de 600 euros, ndlr). La majorité des salaires est même en deçà des 25 000 INR par mois (soit moins de 300 euros, ndlr). Ce sont ces gens qui sont confrontés aux problèmes liés à la migration.
Mais pour en donner une image positive, les pays d’accueil et d’origine ne parlent pas de leurs difficultés. Car cela risquerait de mettre en évidence les lignes de fracture de la migration de main-d’œuvre. Ces histoires ne sont ni racontées, ni entendues. Dans ce livre, j’ai donc voulu montrer que les travailleurs migrants nécessitent plus d’attention, en particulier dans les pays arabes du Golfe où des formes d’exploitation de la main-d’œuvre existent.
La situation de ces travailleurs clandestins a-t-elle évolué en 60 ans de migration dans le Golfe ?
À l’époque, ces travailleurs n’étaient pas du tout un problème dans la région. Ils étaient même accueillis à bras ouverts par le pays hôte. Mais maintenant, lorsqu’ils se retrouvent en situation irrégulière, ils sont dans l’illégalité. C’est certainement le plus gros défi auxquels ils peuvent être confrontés dans les pays arabes du Golfe. Leurs droits humains les plus fondamentaux, comme l’accès à la santé, l’accès à une représentation diplomatique et même le droit de bénéficier de conditions de travail dignes sont bafoués.
Ils sont vus comme de la main d’œuvre bon marché qui peut être aisément prise pour cible. Ils n’ont pas un travail régulier, ils peuvent être arrêtés, emprisonnés puis déportés. Régulièrement – en général tous les deux ou trois ans – les États arabes accordent toutefois une amnistie. C’est une opportunité pour les migrants en situation irrégulière de quitter le pays d’accueil sans payer les amendes requises. Lorsque cette amnistie est accordée, entre 100 000 et 200 000 migrants dans chaque pays du Golfe profitent de l’occasion pour rentrer.
Malgré ces défis, la migration de main-d’œuvre en provenance d’Inde vers les pays du Golfe est toujours aussi importante. Comment expliquer cela ?
Les liens historiques, culturels et religieux entre l’Inde et la région du Golfe jouent un rôle essentiel. Ces liens remontent aux temps de la Compagnie britannique des Indes orientales. Aujourd’hui, c’est la quatrième génération d’Indiens qui migrent vers le Golfe. Certains de leurs ancêtres ont réussi là-bas ou sont du moins familiers de la région. Tous ces facteurs favorisent donc la migration indienne vers le Golfe.
Bien sûr, le poids des monnaies locales comme le rial (en Arabie saoudite, à Oman et au Qatar, ndlr), les dinars (à Bahreïn et au Koweït) et les dirhams (aux Émirats arabes unis) fait aussi une grande différence. Un rial omanais équivaut par exemple à environ 200 roupies indiennes de nos jours. Ainsi, les gens migrent même s’ils sont exploités. Par ailleurs, les opportunités sont toujours grandes dans le Golfe, car l’économie de ces pays est aussi dynamique. Les emplois, tant pour les « cols bleus » que pour les « cols blancs », sont donc disponibles.
Selon un rapport de S&P, la population des États arabes du Golfe a chuté de 4% en 2020 pendant la crise sanitaire. Ce rapport parlait « d’exode » des travailleurs expatriés. Comment cette crise a-t-elle été vécue en particulier par la communauté indienne dans ces pays ?
Rien que dans l’État du Kerala en Inde, plus d’un million de personnes sont rentrées sans emploi. La majorité d’entre elles sont arrivées en provenance du Golfe. Beaucoup ont dû renoncer à leur salaire impayé et à leur indemnité de fin de service. Toutes sont revenues les mains vides.
Par ailleurs, sur les 3 700 Indiens décédés à cause du Covid-19 dans les pays étrangers, environ 3 500 sont morts dans ces pays. Cela révèle le manque de protection sociale et d’accès à la santé pour les travailleurs migrants indiens. Ceux qui sont revenus en Inde ont également du mal à trouver un nouvel emploi et les familles ne pouvaient plus compter sur les transferts d’argent en provenance de l’étranger.
Undocumented, Stories of Indian Migrants in the Arab Gulf, éditions Penguin, 296 pages
RFI