La tension entre les deux pays maghrébins est montée d’un cran lundi 1er novembre, jour d’anniversaire du déclenchement de la guerre de libération en Algérie, à l’annonce de la mort de trois ressortissants algériens dans les territoires libérés du Sahara occidental par des tirs marocains, selon la version algérienne. Bavure ou coup prémédité? Certaines sources ont vite parlé de frappes aériennes lancées à partir d’un drone marocain de fabrication turque, un Bayraktar TB 2, mais rien encore d’officiel. Les enquêtes n’en sont qu’au stade préliminaire.
L’information avait d’abord été largement diffusée, le 2 novembre, sur les réseaux sociaux qui évoquaient la première fois un bombardement de deux camions de transport algériens en territoire mauritanien. Un démenti des autorités mauritaniennes avait à un moment laissé croire à une fake news destinée à attiser le feu entre les deux pays en rupture diplomatique depuis le 24 août dernier.
Il a fallu donc attendre le mercredi 3 novembre pour que l’information soit confirmée par la présidence de la République algérienne. Dans un communiqué au vitriol, celle-ci accuse nommément le royaume alaouite et menace de ne pas laisser ce crime «impuni». Comment l’Algérie va-t-elle réagir? Riposter militairement ou durcir les sanctions –politiques et économiques– contre Rabat? C’est la question que se posaient dès lors tous les observateurs.
Tweets à balles réelles
Pour l’instant, la seule réaction connue est diplomatique, avec les messages adressés jeudi 4 novembre par le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, aux principales organisations internationales (ONU, Union africaine, Ligue arabe et Organisation de la coopération islamique), pour rappeler «l’extrême gravité» et le caractère «injustifiable» de l’acte commis contre les ressortissants algériens.
Des sources médiatiques pro-gouvernementales ont annoncé cette même journée une réunion extraordinaire du Haut conseil de sécurité (HCS), organe consultatif mais qui s’apparente de plus en plus au véritable centre du pouvoir, qui serait pour une fois élargie aux chefs de régions militaires –signe que l’heure n’était plus à la cogitation, mais bien à l’action. Rien n’a filtré, encore qu’aucune source officielle n’a confirmé ni infirmé la tenue d’une telle réunion, laissant la voie libre à toutes les supputations.
Pendant ce temps, dans les forums de débats, les appels à la vengeance fusaient. «La riposte à ce crime odieux doit être à la hauteur de ce qu’est la nature du régime marocain!», lance une internaute sur Twitter. «Nous voulons bien aujourd’hui tester l’efficacité des missiles Iskander!», réplique un autre. Le sénateur Abdelouahab Benzaïm enflamme le débat avec une série de tweets: «Le régime du Makhzen [appellation réductrice par laquelle est désigné le régime marocain, ndlr] choisit l’escalade en s’attaquant à des Algériens sans défense, écrit-il. Œil pour œil, une riposte à tous les niveaux est un droit!» Dans cette avalanche de commentaires déchaînés, certains se font néanmoins plus nuancés, comme celui-ci: «La riposte de l’Algérie à ce crime sera très très dure, et je sais de quoi je parle. J’espère seulement que ce n’est pas le Maroc qui l’a commis!» L’ancien ministre et diplomate Abdelaziz Rahabi, qui n’a pas la réputation d’un grand chauvin ou d’un laudateur de l’actuel pouvoir, estime quant à lui que «la gravité de la situation donne à la réaction de l’Algérie [qui, du reste, n’est pas encore connue, ndlr] toute sa légitimité».
Sur Twitter, le hashtag #Maroc_terroriste attire des centaines de commentaires plus impétueux les uns que les autres. Des Marocains se sentant touchés s’y infiltrent parfois pour donner la réplique, accusant «le pouvoir des généraux» de vouloir semer le chaos dans la région.
Silence intrigant
Le silence radio observé durant au moins trois jours par le gouvernement marocain qui a, sur le coup, choisi de s’exprimer sous couvert d’anonymat, a rendu le climat encore plus pesant. «Le Maroc ne se laissera pas entraîner dans une guerre avec l’Algérie», a affirmé mercredi «une source marocaine informée» à l’AFP, reprise par des médias internationaux.
«Si l’Algérie souhaite entraîner la région dans la guerre, à coups de provocations et de menaces, le Maroc ne suivra pas», a insisté la même source. Et d’assurer: «Le Maroc n’a jamais ciblé et ne ciblera jamais des citoyens algériens, quelles que soient les circonstances et les provocations.»
La presse et la classe politique marocaines ont adopté la même attitude en rejetant en bloc les accusations du pouvoir algérien qu’elles qualifient d’«allégations gratuites», voire d’escalade justifiée par une nouvelle résolution onusienne adoubant l’option d’autonomie que défend le Maroc au Sahara occidental. Mais il apparaît clair que le gouvernement marocain ne veut pas trop médiatiser cette affaire, preuve qu’il a été pris de court. Le roi Mohammed VI, dans un discours diffusé samedi 6 novembre, a éludé la question tout en apportant son soutien à son armée et rappelant la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental.
A contrario, au sein des médias et des partis algériens inféodés au pouvoir, et aussi de toutes les institutions officielles, c’est l’alerte générale. Ils étaient unanimes à sonner le tocsin contre le «Makhzen» et à soutenir «toute décision» qui serait prise par les hautes autorités, y compris une riposte militaire que l’on s’impatientait de voir définie par le HCS –alors qu’il fallait d’abord attendre les résultats de l’enquête diligentée par les autorités sur cette affaire.
Notons aussi, à ce propos, qu’une équipe de la Minurso (mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental) s’est déplacée mercredi sur les lieux du drame pour recueillir les premiers éléments d’information. Mais cela risque de traîner.
Les partis algériens en ordre de bataille
Le FLN, sorti brusquement de sa longue léthargie, donne le ton en estimant, dans un communiqué, que l’agression dont ont été victimes les trois routiers algériens était «une déclaration de guerre contre toute Algérienne et tout Algérien». D’autres partis, comme le Front El Moustakbal, Jil Jadid et un conglomérat d’associations ont pondu des communiqués empruntant le même lexique belliqueux, tout en se disant «mobilisés» pour défendre la souveraineté de leur pays et celle de leur peuple.
Le spectre d’un conflit armé plane ainsi à nouveau entre les deux pays voisins, près d’un demi-siècle après les affrontements meurtriers de 1975, date de l’annexion du Sahara occidental par le Maroc. Le mot «guerre» n’est plus un tabou depuis ce 1er novembre endeuillé. Un colonel de l’armée algérienne à la retraite, Ahmed Bendjana, interrogé par un journal en ligne, considère lui aussi le meurtre des trois citoyens algériens comme «une déclaration de guerre» contre l’Algérie, ajoutant que «le Maroc, avec un tel agissement, plongera toute la région dans une guerre globale».
Le colonel estime que le Maroc a commis «un grave dérapage» et que «s’il a tué des Algériens en réponse au meurtre de Marocains dans le désert mauritanien, et dont on ne connaît pas les auteurs, alors il se rend coupable d’un dérapage très dangereux et aux conséquences incalculables». L’officier à la retraite se dit persuadé que la riposte de l’Algérie sera «très forte».
Cela dit, au-delà de l’émotion et des réactions intempestives que peuvent susciter un tel drame, une guerre est-elle concrètement envisageable et supportable entre l’Algérie et le Maroc dans la conjoncture actuelle faite notamment de turbulences sociales dans les deux pays? Les prochains jours, voire les prochaines heures nous le diront.
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