…le président du CSDM, Mohamed Chérif Haïdara à propos du projet de réorganisation territoriale : «Notre combat est de faire en sorte que les Maliens de la diaspora soient considérés comme une région, à défaut, une circonscription»
Dans une interview qu’il a bien voulu nous accorder, le président du Conseil supérieur de la Diaspora malienne (Csdm), Mohamed Chérif Haïdara, s’est prononcé sur toutes les questions relatives aux Maliens établis à l’extérieur.
Aujourd’hui-Mali : Qui êtes-vous M. Mohamed Cherif Haïdara ? Pouvez-vous nous parler de votre parcours, votre engagement, vos motivations ?
Mohamed Chérif Haïdara : Je suis malien et je réside dans la région de Mopti depuis 1970. J’ai fait mes études primaires et secondaires à Sévaré. Mon père était un grand Cheick Hamalliste qui vivait à Tombouctou lors de la période douloureuse rencontrée par cette confrérie. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé à Mopti et moi je suis né à Fatoma. Déjà, très tôt, je suis allé à l’aventure parce que mon père tenait à ce que je rencontre ses amis en Côte d’Ivoire, au Gabon, en Guinée et en Mauritanie. Donc, très vite, j’ai compris l’importance du voyage et de l’apprentissage. Plus tard, dans les années 1990-1991, j’ai eu la chance d’aller en Europe et aux Etats Unis pour y poursuivre mes études dans le domaine du management et de l’ingénierie financière. C’était une période marquée par la révolution au Mali et avec Dibasy, nous avions été à l’origine de la formation de la première association des Maliens des Etats-Unis.
C’est à la suite de cela que j’ai appris la création d’une association regroupant tous les Maliens de l’extérieur, en l’occurrence le Haut Conseil des Maliens de l’Extérieur (Hcme). Personnellement, je n’ai pas participé à la Conférence nationale du Haut conseil, mais je l’ai suivie de très près. Feu Sandiakou Sidibé en a été le premier président, mais mon implication effective remonte à la présidence de son successeur, feu Abderrahmane Cherif Haïdara.
Sur le plan géoéconomique, cette période a coïncidé avec le réajustement structurel et le rachat des dettes. Les Occidentaux s’étaient rendu compte qu’il fallait éponger complètement les dettes que les Africains avaient contractées. J’ai été conseillé par un ami sur la possibilité de racheter les dettes de certains pays africains, surtout celles de l’Afrique de l’Est. De ce fait, nous avions créé une société (Inversora Murdon) et avons fait de la négociation de dettes, notre cœur d’activité. Nous étions implantés dans la sous-région, mais si je devais mentionner deux pays pour illustrer le travail accompli je dirais la Guinée et la Yougoslavie. Dans ce dernier cas, les dettes ont été achetées et nous les avons converties. Nous les avons épongées à 80% et pour les 20% restants nous avons demandé à être payés 10% en monnaie locale et le reste en devises. Avec la monnaie locale des 10%, nous avons créé une société qui a été la première en charge de la production d’eau minérale en Guinée. Voilà comment je me suis retrouvé dans les affaires. Depuis 1995, j’ai une résidence en Guinée. J’ai créé une société d’ingénierie et de financement avec certains cabinets de lobbying à Washington. J’ai aussi créé une société minière avec le gouvernement de la Guinée. C’est la première société minière (SMG Guiord) dans laquelle le gouvernement guinéen détient 40% au stade de la prospection. Alors que dans le code minier, c’est quand vous faites une découverte que vous devrez céder 15% à l’Etat. Donc, cela a été très innovateur et, de fil en aiguille, je me suis retrouvé dans d’autres structures, notamment dans le domaine des finances et des mines. Nous avons également réédité la même expérience au Niger.
Nous avons réuni les meilleurs financiers de l’Afrique de l’Ouest pour constituer un fonds qui permettra à l’Etat guinéen de financer le plus grand projet de fer en Afrique à savoir le Mont Simandou. A cet effet, nous avons créé un grand groupe minier African Iron Or Group (AIOG) dont j’étais le directeur général. Cela nous a amené à travailler avec la Chine. Mais le projet minier et d’autres infrastructures minières ont continué au Cameroun et dans d’autres pays.
Pourquoi un Conseil Supérieur de la Diaspora Malienne (Csdm) alors qu’il existait déjà le Haut Conseil des Maliens de l’Extérieur (Hcme) qui affiche la même vocation ?
En tant que Malien ayant successivement résidé au Niger, en Guinée et aux Etats Unis, je suivais de très près les difficultés rencontrées par le Hcme, notamment pendant les cinq dernières années qui précèdent la fin de la présidence d’Abderrahmane Cherif et l’arrivée de l’actuel président. Je précise que pendant ces années, j’ai continué à contribuer à la résolution des problèmes du Hcme de façon directe ou indirecte, à travers le soutien moral et financier que j’apportais à Abderrahmane Chérif. Au regard de notre proximité, j’étais régulièrement saisi de certaines plaintes qui sollicitaient mon intervention. Toutes celles-ci avaient trait aux difficultés ressenties lors des procédures de renouvellement des structures. La forte tendance de la direction du Haut conseil à imposer aux militants des structures de base, des responsables, en dehors de leur choix, devenait insupportable et constituait le lot commun de plusieurs d’entre eux.
De plus, lorsqu’il s’agissait de renouveler le bureau national, certains délégués des structures de base étaient interdits d’accéder à la salle des délibérations, situation qui a persisté pendant plus d’une dizaine d’années. Pour mettre fin à cette pratique illégale, plusieurs responsables de conseils de base m’ont sollicité afin que je m’engage à prendre les rênes d’un mouvement qu’ils avaient souhaité créer. Je n’ai pas voulu donner suite à cette demande, en raison de la complexité de la situation et surtout par manque de temps. Je me refusais à engager ma disponibilité au service d’un combat qui n’aurait bénéficié à l’époque, qu’aux tenants du pouvoir. Bien que je n’avais aucun problème personnel avec eux.
La persistance dans l’exclusion de nombreux responsables de conseils de base m’a amené à reconsidérer ma position. En effet, j’ai fini par accepter, avec l’insistance de certains délégués, qui estimaient qu’il fallait une action plus robuste, pour mettre fin à cette pratique éhontée dont sont toujours victimes les plus honnêtes de nos compatriotes engagés et désintéressés au sein du Haut conseil. Pour y parvenir, nous avons décidé de nous regrouper dans une organisation informelle afin d’agir collectivement. Cette formalité ayant été accomplie, nous avons projeté prendre part à la toute prochaine conférence statutaire de renouvellement des structures qui tardait à se tenir, bien que le délai statutaire fût arrivé à terme et même dépassé depuis plus d’un an. Il aura fallu l’intervention du président de la République, saisi par des Maliens de l’Allemagne, lors d’un passage dans ce pays, pour que cette conférence nationale (instance suprême) de renouvellement des statuts eût lieu.
Pour m’assurer de la véracité des incriminations, il m’importait d’en évaluer l’étendue. Pour ce faire, j’ai dû dépêcher une mission d’enquête dans plusieurs pays. Il s’est avéré que ce phénomène était bien plus important que je ne l’imaginais. En effet, l’impartialité démontrable de mon enquête, a révélé que dans dix-sept pays d’accueil, il y avait des bureaux de conseil de base parallèles, y compris en France, composés de militants réfractaires à la gestion clanique et antidémocratique de leur direction nationale. Ces dirigeants étaient tous véritablement représentatifs de leurs communautés avec une légitimité incontestable qui tiraient des épreuves électorales qu’ils ont gagnées à la régulière. Leur seul tort était de ne pas appartenir au parti majoritaire du moment.
Avec l’ensemble des militants de ces bureaux réfractaires, nous nous sommes engagés à prendre part à la conférence statutaire dès connaissance de sa date. Notre mot d’ordre consistait à exiger notre participation collective avec obligation d’accès à la salle des délibérations, pour l’élection des membres du bureau national y compris du Président. Il était alors question qu’en cas de refus renouvelé, nous nous retrouverions afin de créer une nouvelle structure, à la seule condition, que je n’en sois le président. Condition à laquelle je n’ai jamais dérogé à l’époque.
Sans surprise et comme on pouvait s’y attendre, le jour de la conférence au Cicb, malgré notre insistance, nous n’avons pu accéder à la salle. J’ai aussitôt appelé le ministre en charge des Maliens de l’extérieur pour lui faire part de la situation.
J’ai eu l’impression qu’il était déjà dans la confidence et beaucoup plus informé que je ne l’étais. Les échanges avec lui m’ont conforté dans mon idée, que lui, tout comme son protégé, le président du Haut Conseil, craignaient le risque de changement que la participation des membres rejetés pouvait provoquer.
Face à cette position, nous avons réitéré notre tentative le lendemain. Laquelle ayant reçu le même refus en plus de l’intimidation subie de la part des forces de l’ordre stationnées devant toutes les entrées. Ce second rejet m’a marqué à jamais et a fondé ma décision de devoir me battre pour restaurer notre dignité en rompant avec le Haut Conseil et fonder une nouvelle organisation avec la ferme volonté d’apporter un changement dans la conduite des affaires de la communauté malienne établie à l’extérieur.
Avant tout, il était primordial de clarifier le cadre légal sur lequel allait reposer cette nouvelle organisation. Après consultation d’un avocat, j’ai été conforté à la légitimité institutionnelle de la démarche, au regard de l’article 5 de la Constitution. Rien, selon lui, ne s’opposait à la création d’une nouvelle association représentative des Maliens établis à l’extérieur, malgré l’existence de celle qui vient de nous humilier collectivement, d’autant que cette dernière n’était pas une institution, mais une simple association. Fort de cet apport juridique, nous avons décidé de créer, le 4 septembre 2015, notre association sous l’intitulé de Conseil Supérieur de la Diaspora Malienne (Csdm). Il fallait un président. Face à mon refus obstiné, nous nous sommes tournés vers Lamine Touré, anciennement résident à Paris, qui a accepté et qui est donc le 1er président du Csdm.
Après les formalités de mise en place du bureau, nous avons fait le nécessaire, afin de satisfaire à la légalité administrative, en procédant à sa déclaration pour l’obtention du récépissé de reconnaissance. Je profite ici de cette belle occasion pour remercier Monsieur Kissima Gackou, éminent juriste de maison, actuellement Recteur de la Faculté de droit à Bamako. C’est bien grâce à ce grand Monsieur que la procédure administrative de reconnaissance est allée très vite à son terme. Cela étant réglé, nous nous sommes rendu compte, à travers les échos perçus de cette création, qu’un problème venait de surgir, en particulier auprès du ministre sortant des Maliens de l’extérieur, Monsieur Abdramana Sylla, qui nous convoqua dans ses locaux au Ministère. Sa première question avait pour objet la dénomination de notre organisation et portait sur le choix du “Conseil Supérieur de la Diaspora Malienne”. Il s’avère qu’il nourrissait le projet de créer une structure du même nom. J’ai dû lui répondre que cela étant déjà pris, il avait toute la liberté d’en choisir un autre. Il m’apprit que cette question n’était pas le motif de notre venue, mais qu’il souhaitait plutôt demander l’arrêt de la mise en œuvre de notre projet tant que cela était encore possible, faisant allusion à la procédure de création du Csdm. Ce qui justifiait une telle demande à ses yeux résidait dans l’impossibilité à gérer deux associations autour d’un même objet, à savoir les Maliens établis à l’extérieur. D’après lui, la coexistence de deux associations serait de nature à diviser les Maliens. Ignorait-il que les Maliens établis à l’extérieur l’étaient déjà du fait de la gestion calamiteuse de leur direction ? N’en était-il pas complice en tant que tutelle de cette organisation ? Nous laissons à vos lecteurs la réponse à ces deux questions.
Pour nous dissuader, il n’a pas trouvé mieux que de proposer à m’offrir un billet d’avion pour me rendre au Gabon, le pays d’accueil d’Habib Sylla, qui venait d’être frauduleusement élu président du Haut conseil, lors de la fameuse conférence d’exclusion. Il s’agissait pour le Ministre de négocier auprès de lui un poste de vice-président du Haut Conseil, alors que je venais de refuser le poste de président du Csdm nouvellement créé ! Encore, selon lui, son refus du Csdm se fondait aussi sur la crainte que n’en sorte un président insoumis et irrespectueux, alors qu’il ne s’agissait pour nous que de chercher à mieux aider les Maliens établis à l’extérieur.
Face à l’ensemble de ses arguments, je lui faisais remarquer qu’en étant ministre d’un département aussi sensible que celui des Maliens de l’extérieur, il se devait forcément de s’attendre à des problèmes dont la résolution lui incombait. Il persista dans sa demande de renoncement à notre projet, affirmant cette fois-ci que le gouvernement ne travaillera pas avec deux organisations se réclamant toutes de la diaspora. Je lui répondis que ce gouvernement est et doit être au service du peule, lui rappelant l’article 5 de notre Constitution qui stipule la liberté d’adhérer à l’association de son choix.
Enfin, je lui ai demandé de bien vouloir prendre en compte ma bonne foi et de m’accorder un délai d’un an. A l’issue de cette période, si j’échouais, nous mettrions un terme au projet. A l’inverse, le projet se poursuivrait et il en récolterait le bénéfice politique. Sur la base de cette proposition, et seulement sur cette base, j’ajoutais que j’étais prêt à rencontrer Habib Sylla pour échanger et fixer les conditions d’un partenariat fécond et mutuellement avantageux pour nos deux organisations au service de la diaspora. Malgré ma bonne foi, je n’ai pu rien obtenir tant sa détermination était grande à nous arrêter.
J’ai mis un terme à l’entretien lorsqu’il m’annonça qu’il s’est renseigné sur ma personne et qu’il a même appelé l’ancien président Abderrahmane Chérif (paix à son âme) pour lui demander qui j’étais en lui demandant également d’intercéder auprès de moi pour que j’abandonne. Ce dernier, semble-t-il, n’a pas souhaité y réserver une suite favorable en lui précisant que s’il y avait quelqu’un qui pouvait mettre en place une structure et la conduire à la réussite, c’était bien moi. Il me connaissait bien pour l’avoir accompagné durant toute sa mandature sans jamais vouloir m’afficher. Ce témoignage vrai ne faisait qu’illustrer que j’étais bien au fait de l’ensemble des problématiques de la diaspora.
Un autre point que je souhaite souligner et qui m’a semblé assez intéressant concerne son appartenance politique. Lorsque dans nos échanges il m’a révélé son parti politique, le Rpm, j’ai relevé la similitude de situation entre la création de celui-ci et du Csdm qui sont deux organisations nées de scissions découlant de mécontentements et de désapprobations en matière des règles de fonctionnement. Le Rpm issu de la scission d’avec l’Adema lors d’un congrès extraordinaire et le Csdm issu du Haut conseil lors d’une conférence ordinaire. Les deux pour les mêmes raisons, mais malgré cette analyse implacable, je n’ai réussi à le faire changer de position. S’en est suivi un échange sur un élément qu’il me tenait à cœur de clarifier concernant le nombre de nos compatriotes à l’étranger. Il me répondit que les estimations situaient leur nombre autour de 4 millions. Ma question était simple : comment pouvait-il expliquer l’absence d’un recensement pour simplement chiffrer les Maliens de l’extérieur ? J’ai jugé utile de rappeler qu’en tant que ministre chargé des Maliens de l’extérieur, il me paraissait étonnant qu’il n’en connaisse pas le nombre exact. Ajoutant que le département qu’il dirige devait rapidement prendre les dispositions pour corriger ce handicap. Comprenant que le ton montait, pour me calmer, il dit qu’il ne souhaitait pas s’inscrire dans une relation conflictuelle malgré notre désaccord et qu’il souhaitait plutôt qu’on se donne la main, pour travailler ensemble. Et d’ajouter que j’avais de très bonnes idées et que Habib Sylla, lui, de l’argent. Je lui rétorquai que je n’avais pas besoin de l’argent de Habib Sylla ni de celui du gouvernement malien pour entretenir et faire grandir le Csdm.
Voilà comment le Csdm a été créé. Depuis lors, nous avons rencontré toutes sortes de difficultés auprès du ministre Sylla qui ne nous a consenti aucune ouverture. A contrario, les obstacles placés sur notre chemin, nous avons pu, par la grâce divine, les contourner sans y perdre la face.
Aucune des actions que nous avons voulues conjointes n’a pu se réaliser avec lui, notamment l’organisation des états généraux de la migration malienne. Son refus d’une telle action continue de nous affecter, en ce sens qu’elle aurait permis de mieux diagnostiquer les problématiques de la diaspora, d’y réfléchir et de travailler dessus en vue d’y apporter des solutions.
En plus, dans sa stratégie partagée avec le président du Haut conseil d’arriver à nous marginaliser, il a réussi à détourner notre président, Lamine Touré, qui s’est progressivement éloigné de nos positions. Lorsqu’il nous est apparu qu’il n’était vraiment plus des nôtres, au bout d’une année de présidence (il est élu à la création du Csdm le 4 septembre 2015), nous avons convoqué une nouvelle assemblée générale en 2016, à l’issue de laquelle j’ai accepté d’être élu président. Mon sens du défi et ma volonté d’engagement pour donner à l’association toute chance de réussir ont eus raison du refus que j’opposais jusqu’alors.
Dès mon élection, j’ai engagé un cabinet de communicants qui m’a élaboré une feuille de route que j’ai fait approuver par mon bureau exécutif. J’avoue que cela nous a été très profitable dans son application car il nous a permis d’être toujours à l’avant-garde sur de nombreux sujets concernant les migrations internationales.
Fondamentalement, qu’est-ce que vous reprochez au Hcme ?
J’ai beaucoup de reproches à son encontre. D’abord, c’est une association à but non lucratif et apolitique à l’origine. Elle a comme prérogatives, entre autres, de veiller à l’intégrité physique des Maliens établis à l’extérieur et de leurs biens.
Mais il se trouve que depuis sa création en 1991, elle n’a fait que suivre chaque gouvernement qui arrive au pouvoir. C’est une organisation d’accueil des officiels et d’accompagnement du gouvernement. Elle s’est donc détournée de ses objectifs fondamentaux, à savoir préserver la cohésion sociale des Maliens établis à l’extérieur, les réunir autour d’un idéal pour le Mali, celui du développement économique et social, faciliter leur retour et leur insertion dans le tissu social, impulser et protéger leurs investissements au Mali, être solidaires avec les pays d’accueil quand c’est nécessaire. Tout cela dans le respect de la Constitution, notamment la liberté de choisir ou pas son appartenance politique et /ou associative. Sur l’ensemble de ces questions, le Hcme a échoué. Sa seule réussite a été d’arriver à faire en sorte que les présidents des conseils de base des Maliens de la diaspora soient tous issus du parti au pouvoir. Cela, en violation flagrante de l’article 5 de la Constitution qui donne à tout Malien vivant à l’étranger le droit de choisir l’association dans laquelle il veut militer.
Au Csdm, nous disons qu’il faut avoir la sagesse d’accepter les choses que tu ne peux changer et avoir le courage de changer ce qui peut l’être. Or le Haut conseil n’a aucune volonté de changement ni dans son mode de gestion ni dans sa pratique du pouvoir avec les officiels. Nous leur avons laissé leur structure et nous en avons créé une autre dans laquelle tous les Maliens peuvent se retrouver pour exercer leur droit constitutionnel.
Ce faisant, nous continuons à combattre une idée reçue qui est de considérer le Hcme comme une institution, alors qu’elle n’est qu’une simple association parmi tant d’autres et que la seule différence à son avantage est la reconnaissance d’utilité publique que l’Etat lui a accordée à un moment où il occupait seul le terrain. Notre constat, au regard de la nature des rapports avec sa tutelle, est qu’il existerait un deal qui ne dit pas son nom entre l’Etat et lui. C’est-à-dire que l’Etat, dans ses rapports avec les Maliens de l’extérieur, leur donne l’impression qu’il veille sur leurs intérêts matériels et moraux, à travers des dirigeants auxquels il accorde des privilèges. Ce qui fait que pour de nombreuses personnes, le Hcme est une institution. Ce sentiment est entretenu par la pratique qui consiste à tenir, dans les pays d’accueil, les réunions des structures de base dans les locaux de nos ambassades et consulats.
Dans certains pays, il est établi qu’en l’absence de récépissé administratif de reconnaissance, des conseils de base n’existent que par la protection juridique accordée par les missions diplomatiques et consulaires. Cela n’est pas perceptible seulement dans les pays qui s’y refusent (Arabie Saoudite, l’Iran, l’Algérie…) en raison de leurs législations sociales. Il en existe aussi dans beaucoup de pays dont les législations le permettent. De notre point de vue, la récurrence d’une telle pratique à grande échelle, surtout dans des pays aux législations favorables à la création d’associations étrangères sur leurs sols, nous conduit à penser que cela relèverait d’un choix politique délibéré dont l’objet serait de maintenir nos compatriotes de la diaspora dans une relation de dépendance quasi filiale avec les représentants de l’Etat malien dans les pays d’accueil, afin de les régenter avec la complicité de dirigeants pervertis.
A l’inverse, Le Csdm, dans son mode de fonctionnement, s’efforce d’entretenir des relations saines avec les représentants de l’Etat où qu’ils soient. A l’extérieur, nous convenons que ces représentants sont le reflet du pays, garants et protecteurs de notre souveraineté nationale. Pour cette raison, nous continuerons à les respecter, les soutenir et parfois même les aider, pour le rayonnement de notre pays. Tous les initiés qui suivent notre parcours retiennent que malgré notre souci constant de protéger notre Etat à l’extérieur, nous n’avons à aucun moment été dans la compromission au point de faillir à notre mission. Nous accordons une haute importance à notre objet associatif qui nous vaut parfois d’être incompris.
Toutefois, après des échanges massifs et francs avec les partenaires y compris les pouvoirs publics, nous avons aujourd’hui le sentiment d’avoir été compris et surtout acceptés et reconnus à notre juste valeur. Effectivement, dans tout ce qu’on a fait jusqu’ici, notre patriotisme n’a jamais été, ni pris à défaut ni mis en cause, ainsi que notre engagement à aider le pays dans ses efforts pour la paix et le développement.
Tout récemment, nous avons été reçus par le Premier ministre en présence du ministre chargé des Maliens de l’Extérieur ; ce qui conforte notre sentiment de fierté et apparait à nos yeux comme la meilleure reconnaissance de nos efforts au service du pays et de nos compatriotes établis à l’extérieur. Le même jour, un peu plus tôt, notre ministre de tutelle venait de recevoir le Hcme. Le journal télévisé de 20 heures, se faisant l’écho des deux audiences, conduirait à penser que notre opinion dans son ensemble est informée de l’existence de deux associations représentatives de la diaspora. Encore une preuve supplémentaire, si besoin en est, que les plus hautes autorités sont respectueuses de l’application de la Constitution, notamment son l’article 5. Ce dont nous nous félicitons.
Que comptez-vous apporter de différent aux attentes de la diaspora ?
Nous comptons apporter beaucoup de choses. Parmi celles-ci, la plus importante c’est d’abord la liberté de penser, d’agir et de faire son choix.
Le Malien établi à l’extérieur n’est pas obligé d’être au Hcme ou au Csdm, pour se considérer comme Malien. Mais le Hcme, en complicité avec les pouvoirs publics et les représentations diplomatiques à l’extérieur, payées par l’argent du contribuable malien, font en sorte qu’une fois qu’un concitoyen est établi à l’étranger, il soit forcément affilié à cette structure. Deuxièmement, nous voulons que les Maliens de l’extérieur jouissent des mêmes droits et prérogatives que ceux restés au pays. Parce que la Constitution ne parle pas de Maliens de l’extérieur membres du Hcme. Il est dit plutôt : “Maliens de l’intérieur et ceux de l’extérieur”. Nous allons donc montrer aux Maliens de l’extérieur qu’ils peuvent et doivent jouir des mêmes droits civiques que ceux restés au pays. Et, pour ce faire, ils se doivent de revendiquer leurs droits où qu’ils soient.
Nous allons aussi œuvrer afin que notre nombre soit connu. Le Malien aujourd’hui rencontre la plus grande difficulté de vivre à l’extérieur. L’expression même de notre souveraineté nationale est souvent mise en cause dans certains des pays d’accueil. Nous ressentons un énorme besoin d’être protégés dans ce monde agité et perpétuellement en crise. Nous ne cesserons de le réclamer et même de l’exiger dans certains cas, comme en Algérie et en Lybie. Les documents d’état-civil maliens dont nous disposons peuvent être considérés comme le reflet de cette souveraineté à l’étranger. Quand ils sont de piètre qualité et/ou non sécurisés, cela jaillit forcément sur notre image à l’extérieur. J’en veux pour preuve ma propre carte d’identité consulaire octroyée par le Consulat du Mali dans mon pays d’accueil, la Guinée. Elle ne comporte aucun élément sécurisé et n’importe quel imprimeur peut la reproduire à volonté. Ce qui me semble justifier, en grande partie, la fraude massive concernant nos identifiants, carte nationale d’identité, passeport et même les extraits d’acte de naissance…
Une des premières conséquences de cette légèreté se traduit par la détention de nos papiers par des membres de pays tiers, autres que des populations autochtones. Et bien souvent, ces personnes détenant nos cartes d’identité et passeports sont sujettes à des comportements et pratiques controversées de nature à ternir notre image à l’extérieur. Ce constat accablant, notoirement connu, est soumis à nos autorités, pour en changer, à chaque fois que nous avons l’heureuse occasion de les rencontrer. En effet, les dernières mesures prises pour sécuriser le passeport nous paraissent encourageantes et nous nous en félicitons.
Malgré tout, nous poursuivrons nos efforts afin que les mesures de protection concernant spécifiquement le passeport soient généralisées à tous les documents déterminant notre identité. Nous n’avons aucune intention de baisser la garde par rapport à cette impérieuse nécessité. Les délais d’établissement des actes dans les consulats sont très longs. Dans des pays comme la France, par exemple, le renouvellement de l’autorisation de séjour est lié à la détention du passeport en cours de validité. Il est arrivé que des compatriotes dans ce pays perdent le droit au séjour, en raison du délai trop long de renouvellement de passeports. Selon nos militants dans ce pays, il semblerait qu’il y ait a eu une légère amélioration depuis quelques temps, en ce sens que le délai de délivrance de trois mois, est ramené à un mois. Délai qui nous parait encore long quand on prend en compte la nécessité pour les populations de se déplacer dans un monde en perpétuel mouvement. J’insiste sur cette question de documents d’identité qui recouvre un aspect vital pour nous Maliens établis à l’extérieur et demandons, en effet, qu’elle requiert auprès des autorités toute l’attention qu’elle mérite.
Nous sommes aussi engagés à lutter contre le statu quo ou l’immobilisme de l’Etat concernant le recensement général des Maliens établis à l’extérieur. Comment peut-on admettre qu’il n’y ait actuellement sur le fichier électoral national que 452 900 Maliens établis à l’extérieur ? En Côte d’Ivoire où réside la moitié des Maliens établis à l’extérieur, il n’y a que 152 300 Maliens enrôlés. Pour nous, cela relève d’une volonté délibérée de nous marginaliser pour abaisser notre influence électorale. Depuis l’avènement de la démocratie, les gouvernements qui se sont succédé avaient un intérêt commun à maintenir les Maliens de la diaspora dans une situation de sous-représentation.
Ils ne veulent jamais permettre aux Maliens de l’Extérieur d’avoir plus d’un million de voix par crainte de voir un Malien de l’étranger devenir président de la République. Cette préoccupation de parvenir à l’enrôlement de tous nos compatriotes de la diaspora occupe également une place de choix dans notre programme d’actions.
Nous avons, à ce sujet, offert aux autorités notre disponibilité à prendre en charge cet effort de recensement, si d’aventure, elles n’y parvenaient pas. Il est de notoriété publique que l’enrôlement dans le cadre du Ravec n’y suffira pas, alors que cela s’avère indispensable pour assurer à nos compatriotes de la diaspora un minimum de considération en leur permettant d’exercer pleinement leur citoyenneté.
Au Sénégal, on a plus d’un million de Maliens, en Côte d’Ivoire plus de 3 millions, au Ghana un million. Depuis 2012, il y en a près de 700 000 au Niger. On voit bien que l’Afrique à elle seule concentre 95% des Maliens de la diaspora avec seulement 5% sur les autres continents, en Europe, notamment. Il devient ainsi indispensable et urgent d’entreprendre une campagne spécifique d’enrôlement les concernant.
D’ailleurs, il est important de dire, ici, que nous lions le refus permanent des pouvoirs publics à autoriser l’élection des députés de la diaspora, à leur attitude de nous maintenir en sous-effectif. Car si on avait des députés élus parmi les Maliens de l’extérieur, ceux-ci auraient été à l’origine d’une proposition de loi, avec l’appui de leurs camarades, qui rendrait obligatoire ce recensement général des Maliens de la diaspora. Les acteurs du mouvement démocratique en 1991 avaient placé la diaspora dans leurs préoccupations, il était même prévu de leur consacrer 10% de l’effectif des députés au Parlement. Plus aucune trace de cette proposition phare dans la version actuelle de la loi fondamentale. Quelle régression ! Depuis sa création, le Csdm a inscrit dans son combat au quotidien, l’exigence pour la diaspora d’avoir des députés qui seront de sa propre émanation, car estime-t-il être en bon droit de le revendiquer. Voilà quelques axes de préoccupations que nous voulons partager avec nos compatriotes.
Avec l’échec de la dernière tentative de révision de la Constitution, la bataille que vous menez n’est-elle pas perdue d’avance ?
La seule et unique façon de perdre une bataille, c’est d’abandonner. Nous n’avons rien perdu car le contexte est très approprié pour cette réclamation. Nous avons attendu cinq ans au cours desquels des épreuves, parfois douloureuses, ont eu lieu au pays. L’accord d’Alger a été signé, de nouvelles régions ont été créées.
Nous avons, à ce jour, douze régions opérationnelles. Donc forcément, il faut revoir cette Constitution. Sans cela, il est impossible d’appliquer ledit accord. Cette révision prendra en compte ces nouvelles régions. Avec le projet de redécoupage administratif, notre combat est de faire en sorte que les Maliens de la diaspora soient considérés comme une région, à défaut, une circonscription. Cela, quel que soit le nombre de députés qui en résulterait et qui ne pourrait descendre en dessous de 15. Ceci en l’honneur des acteurs du mouvement démocratique de 1991 qui en établissaient le nombre à 10% de l’effectif du parlement. Le Sénégal, un petit pays, en dispose 15, au sein de son parlement.
Seriez-vous prêts à vous joindre aux autorités pour que cette Constitution soit révisée ?
Nous sommes apolitiques, mais continuerons à revendiquer notre citoyenneté ainsi que nos droits. J’ai rencontré le chef de file de l’opposition qui avait dans son programme de société, pour la présidentielle récente, une disposition pour l’élection de députés de la diaspora. Au cours de cette rencontre, nous avons demandé à l’opposition réunie, d’accepter notre demande de report des législatives, bien que nous soyons très au clair des difficultés d’ordre constitutionnelles en la matière. Notre demande était dictée par la nécessité de concevoir un cadre juridique pour rendre possible cette représentation de députés des Maliens établis à l’extérieur, parce que dans la constitution actuelle il n’y est mentionné que la représentation au Conseil économique, social et culturel et au niveau du Haut Conseil des Collectivités territoriales. Il faut donc forcément une disposition constitutionnelle pour satisfaire notre demande. Ce dispositif avait été prévu lors de la révision constitutionnelle avortée. Il semblerait d’ailleurs que la question avait fait consensus au sein des débats parlementaires ; ce dont nous nous réjouissons, en raison notamment de l’intensité des efforts que nous n’avons cessés de déployer depuis notre existence, y compris en direction des parlementaires eux-mêmes. Dans notre offensive, nous sommes bien conscients qu’il manque des dispositifs légaux et réglementaires pour compléter et totalement stabiliser la situation des régions non opérationnelles. Le report que nous avons demandé et obtenu, offre ainsi l’opportunité, à la faveur de la résolution de ce problème des régions non opérationnelles, de résoudre aussi le nôtre. C’est là tout l’intérêt que nous accordons à la relecture consensuelle de la constitution qui constitue le socle fondamental de nos lois.
La diaspora mérite bien cet effort ; en ce que beaucoup d’organisations panafricaines ont réclamé et continuent à réclamer que la diaspora africaine soit accréditée comme un pays auprès des nations unies, avec un siège de membre permanent. Son apport économique non négligeable, avec plus de 250 milliards de dollars annuels pour le continent n’est pas rien.
Sur le plan social, dans notre pays notamment, beaucoup de terroirs tiennent grâce à l’apport économique des migrants, sans compter les infrastructures sociosanitaires pour le maintien d’un minimum raisonnable. Au regard de tout ceci, il n’est donc pas concevable que nous ne soyons pas représentés au sein de nos parlements respectifs. Dans le contexte malien, on est obligé d’aller vers une révision constitutionnelle. L’opposition parlementaire en est favorable, la majorité parlementaire également.
Lorsque nous avions été invités par la commission de loi du parlement, nous avons dit la même chose. Idem lors de la Conférence d’Entente nationale organisée par le Médiateur de la République où nous avons posé le même problème.
Le Sénégal que j’ai souvent cité dans cette interview, avec le Bénin, se sont inspirés du model malien de la gestion de sa diaspora. Aujourd’hui, le premier est beaucoup plus en avance que nous, en raison d’une volonté politique affirmée est assumée avec force. Cela est rendu possible grâce à la révision de leur politique en matière de migration qui a permis également le recensement des Sénégalais établis à l’étranger.
Vous avez rencontré des personnalités de premier rang. Sur quoi les échanges ont-ils porté et quels résultats en attendez-vous ?
Nous avons rencontré le chef de file de l’opposition et même le Premier ministre et d’autres, tous nous ont dit qu’ils étaient d’accord pour que la diaspora soit représentée à l’Assemblée nationale.
Le Premier ministre a même déjà instruit son ministre en charge des Maliens de l’extérieur d’œuvrer à cela. Il a dit également qu’il est inadmissible que le Sénégal y parvienne et pas nous. La seule difficulté qui subsiste se situe au niveau du cadre juridique adéquat à trouver : loi organique ou disposition constitutionnelle ? Il appartient désormais aux juristes de s’en saisir pour indiquer la meilleure voie à suivre. Quant à nous, nous continuons d’offrir notre disponibilité à concourir à la recherche de solutions qui pourraient se traduire par la mise à disposition de documents appropriés ou de conseils bien adaptés.
Politiquement où vous situez-vous ?
Je ne suis membre d’aucun parti politique, en revanche, je suis et demeure un citoyen éclairé et de surcroît connu et entretenant des relations de qualité avec l’ensemble des organisations politiques importantes du pays. Aussi longtemps que je serai à la tête du Csdm, je resterai en dehors du champ politique, la politique et la société civile étant deux choses antinomiques.
Réalisée par Boubacar PAÏTAO