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Le Guyanais Félix Eboué, premier homme noir entré au Panthéon

Il y a 70 ans, le 20 mai 1949, les cendres de l’ancien gouverneur de l’Afrique équatoriale française ont été transférées au Panthéon en même temps que les cendres de Victor Schœlcher, l’auteur du décret du 27 avril 1848, proclamant l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.

Adolphe Sylvestre Félix Éboué est né à Cayenne en Guyane française le 26 décembre 1884, d’un père orpailleur Urbain Yves Éboué, et d’une mère épicière Marie Joséphine Aurélie Léveillé. Brillant élève, le jeune Félix obtient une bourse d’études. En 1898, à l’âge de 14 ans, il se retrouve en France au collège de Talence puis au lycée Montaigne de Bordeaux. Son baccalauréat de lettres en poche, l’étudiant s’installe à Paris pour étudier le droit (1905). L’homme a une carrure imposante. Il pratique le football, l’athlétisme et le rugby. La crise politique liée à l’affaire Alfred Dreyfus en 1899 le sensibilise à la politique, alors qu’il n’a que 15 ans. Le jeune étudiant sympathise avec des socialistes de la Section française de l’internationale Ouvrière (SFIO). Le petit fils d’esclave est un passionné de philosophie et s’intéresse aux civilisations africaines, il intègre l’École coloniale française en 1906 à 22 ans. Cette structure forme les cadres de l’administration coloniale.

Ses missions en Afrique

Diplômé, Félix Éboué est affecté à Madagascar, puis est nommé en Afrique équatoriale française en Oubangui-Chari (actuelle République Centrafricaine), comme d’administrateur en chef (1909). En poste à Bouca, le jeune promu est rapidement confronté aux compagnies concessionnaires exploitant le caoutchouc et l’ivoire dans la colonie. Les autochtones sont exploités, épuisés par le travail et souvent victimes d’exactions et de maltraitances. Le Guyanais s’active pour le développement des zones dont il a la charge. Il engage la construction de routes et d’écoles. À Ouaka dans l’une des plus grandes circonscriptions de la colonie, il contribue au développement de la prospection minière, encourage les productions locales, l’arachide, le riz, le coton…

Durant son long séjour en Afrique, Félix Éboué profite pour étudier les structures sociales et politiques des différentes communautés. Il apprend les langues locales, puis publie une grammaire sango, banda, baya et mandjia. Cependant, en dépit des bons résultats obtenus comme administrateur, la carrière de Félix Éboué n’avance pas par rapport aux autres collègues du ministère des Colonies. Son milieu social, la couleur de sa peau et son amitié pour René Maran, (prix Goncourt de 1921, avec son roman Batouala dont la préface est une critique de la colonisation et ses excès) n’ont pas arrangé les choses. Il fut sévèrement critiqué par les milieux d’affaires des colonies. C’est lors d’un congé dans sa Guyane natale qu’il épouse la Guyanaise Eugénie Tell et s’initie à la franc-maçonnerie.

Félix Éboué aux Antilles

En 1932, Félix Éboué est nommé secrétaire général rattaché au gouvernement de Martinique en remplacement du gouverneur de la Martinique absent, de juillet 1933 à janvier 1934. Le gouverneur est attaché au respect de valeurs humanistes. Sa petite nièce Isabelle Gratien, dit dans son blog, «il [Félix Éboué] eut à organiser le bal du gouverneur. À l’époque, il y avait un bal pour les blancs, un bal pour les métisses et un bal pour les noirs. Éboué en tant que Guyanais noir 100 % ne pouvait aller uniquement dans le bal des noirs, car c’était lui le gouverneur noir qui organisait ce bal. Il fallait donc trancher. Il décida donc qu’il y aurait un seul bal rassemblant les blancs, les métisses et les noirs sinon ‘pas de bal du tout’ ! On put donc assister pour la première fois en Martinique à un bal réunissant les blancs, les métisses et les noirs ». En avril 1934, Félix Éboué est renvoyé en Afrique, au Soudan. Deux ans après, le Guyanais est enfin élevé au rang de gouverneur et devient ainsi le premier noir à avoir à un poste aussi important. Il est nommé à la Guadeloupe. Le climat social est extrêmement tendu dans l’île. Félix Éboué utilise le dialogue, organise des réunions publiques. Le gouverneur réussit en quelques mois à désamorcer les crises sociales et  politiques. Il encourage l’instruction, développe les activités et les infrastructures sportives en faveur des jeunes. La méthode Félix Éboué fonctionne, il devient populaire auprès de la population. Sous la pression des politiques. Il est rappelé en France pour «consultation». Le 26 juillet 1938, il quitte la Guadeloupe définitivement. À son départ de nombreux Guadeloupéens sont venus l’acclamer et lui dire au revoir aux cris de « Vive papa Éboué »

L’homme du ralliement de l’Afrique

En 1938, le ministre des Colonies, Georges Mandel l’envoie au Tchad comme gouverneur. Le 18 juin 1940, le général de Gaulle lance depuis Londres son appel à la France afin de poursuivre le combat aux côtés de l’Angleterre. Le Guyanais se déclare partisan du général de Gaulle et proclame à Fort-Lamy, le ralliement officiel du Tchad au général de Gaulle. Nommé gouverneur général de l’AEF (l’Afrique-équatoriale française). Félix Éboué réussit à rallier le Tchad, le Cameroun et le Congo Brazzaville (40 000 Africains) à la France Libre. Le 22 janvier 1944 à la Conférence de Brazzaville, les gouverneurs et les cadres de l’administration des colonies françaises d’Afrique noire et de Madagascar se réunissent pour concevoir des réformes.

Selon le gouverneur Louis Sanmarco (1912 – 2009), dans un livre Entretiens sur les non-dits de la décolonisation, Paris, Éditions de l’Officine, 2007 deux thèses s’affrontent à cette conférence de Brazzaville. Celle du Martiniquais Raphaël Saller, assimilationniste, (futur ministre de l’Économie du premier gouvernement de la Côte d’Ivoire) ce dernier milite pour le maintien des colonies dans la République tandis que Félix d’Éboué, fédéraliste, est plutôt  favorable à une évolution des territoires africains à leur propre rythme. À l’issue de la conférence, la thèse de Raphaël Saller l’emporte. Quelque temps après la Conférence de Brazzaville, le 16 février 1944, Félix Éboué voyage en Égypte avec sa famille. Il décède au Caire le 17 mai 1944, d’une congestion pulmonaire.

Deux ans après la mort de Félix Éboué, sa fille Ginette Éboué épouse Léopold Sédar Senghor, futur président du Sénégal.

 

Bibliographie

  • Construire l’histoire antillaise. Mélanges offerts à Jacques Adélaide-Merlande, Édité par Lucien-René Abénon, Danielle Bégot, Jean-Pierre Sainton. Collection CTHS-Histoire
  • Entretiens sur les non-dits de la décolonisation. Louis Sanmarco, avec Samuel Mbajum, Paris, Éditions de l’Officine, 2007
  • Félix Eboué compagnon de la libération 1884-1944.Bettino Lara
  • Félix Éboue: grand commis et loyal serviteur, 1885-1944, René Maran, éditions parisiennes, 1957
  • Blog d’Isabelle Gratien en hommage à son grand-oncle Félix Eboué
CHRONOLOGIE ET CHIFFRES CLÉS
  • France

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