L’ASSOCIATION DES ÉLEVES ET ÉTUDIANTS DU MALI (AEEM) : Un syndicat dépigmenté à la couleur des politiques
Les questions relatives à l’existence de l’Association des Élèves et Étudiants du Mali deviennent un véritable casse-tête dans la société malienne. Cette problématique relève du fait que ce comité syndical s’est défiguré en se politisant et par ricochet en instaurant un régime de violence dans les espaces scolaire et universitaire. Nous trouvons que la cause fondamentale de ce problème se situe au niveau des autorités. Tout compte fait, il serait mieux de surseoir à ce syndicat estudiantin.
La dégénérescence de l’humanité est une réalité de nos jours difficilement falsifiable. Il suffit juste de regarder autour de soi pour constater l’effectivité de ce phénomène qui bascule tout sur son passage. Face à cette situation changeante du mieux au pire, dirait-on, nous ne pouvons que faire la révérence devant des grands intellectuels de l’humanité comme Konrad Lorenz, un savant biologiste allemand pour nous avoir appris que le changement ne conduit toujours pas à un mieux-être. Il aboutit le plus souvent au pire, à une dégradation ou faut-il dire une dénaturation.
L’AEEM (Association des Élèves et Étudiants du Mali), ce mouvement estudiantin qui a vu le jour depuis le 27 octobre 1990 sous l’impulsion des étudiants à l’école de médecine, imposants à l’époque, comme Oumar Mariko et Kassoum Barry, a complètement changé de direction. Les initiateurs de ce mouvement, ceux ayant rédigé son statut ainsi que son règlement intérieur avant d’être les premiers à prendre sa tête, ne se sont jamais réclamés de tel ou tel parti politique, l’unique existant à l’époque les haïssait d’ailleurs.
Pour rappel, quand ces deux groupes d’étudiants avaient voulu procéder à la création de ce comité syndical au sein du lycée de Badalabougou (actuelle colline du savoir), ils ont été rejetés. Ce qui les a conduits dans l’enceinte du CRES (Centre Régionale d’énergie Solaire) où ce comité verra le jour. Ce qui laisse comprendre que les politiques trouvaient qu’ils ne pouvaient pas faire route commune avec ce syndicat estudiantin qui sera toujours à pied d’œuvre pour leur forcer la main, en termes de revendication pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des étudiants.
Ce qui traduisait toute la force de ce comité prêt à hausser le ton n’importe où pour se faire entendre. Tout ce qui intéressait ses membres, c’était l’amélioration des conditions d’étude des élèves et étudiants du Mali. Cette position faisait que toute la communauté ou plutôt tous les citoyens leur accordaient crédit jusqu’à voir en l’AEEM une organisation de la société civile.
Parlant de société civile, est-il besoin de rappeler le rôle qu’a joué l’AEEM à l’avènement de la démocratie et du multipartisme. Nous savons qu’elle a largement contribué dans ce sens en 1991. Ce comité syndical n’est pas resté à l’écart des mouvements ayant conduit à la chute de Moussa Traoré. À l’époque, on voyait en lui plus qu’un simple comité syndical estudiantin, il était sur le point de s’institutionnaliser. Le temps est meilleur juge. Plus nous avançons, plus on se rapproche de la décadence.
Aujourd’hui, nous faisons face à une AEEM moribonde dont les membres, pourrait-on se demander, n’ont aucune connaissance du règlement intérieur de ce comité ou encore de son statut, a fortiori de son histoire. Ce syndicat estudiantin s’est complètement défiguré. Quant à s’agir des causes de cette défiguration, nous ne pourrons que féliciter Boubacar Sangaré, journaliste, chercheur et blogueur malien qui, après avoir écrit un livre évoquant les dérives de ce comité syndical, a produit un article sur le site Perspective Intellectuelle intitulée « L’AEEM moule miroir des abîmes du Mali » dans lequel il met l’accent sur la non-applicabilité des textes issus des « concertations régionales » de 1994 sur la dépolitisation de l’AEEM, ainsi que sa dissolution au niveau de l’enseignement fondamental, etc.
- Sangaré arrive au constat que seul ce dernier point aurait été appliqué. A bien analyser ces propos, nous arrivons à la conclusion que l’État est responsable de la décadence de ce syndicat estudiantin. Cela paraît évident si nous savons que l’une des caractéristiques fondamentales des hommes politiques dans la plupart de nos régimes démocratiques, c’est le diviser pour régner. Les politiques ont réussi à avoir la mainmise sur ce comité en se mêlant des procédures électorales des secrétaires généraux, faisant que seuls ceux qui sont plus proches du régime puissent accéder à la tête de c mouvement estudiantin. Du coup, au lieu de voir les meilleurs étudiants gouverner la cité des étudiants, c’est les plus médiocres, parce que plus malléables, qui s’y trouvent avec toutes les conséquences désastreuses. La violence devient le maître-mot des espaces universitaires maliens.
Le 19 octobre dernier, à la Faculté de Droit Privé (FDPRI), le secrétaire général et son adjoint se sont adonnés à des tirs à balles réelles faisant 9 blessés dont deux graves, parmi lesquels un étudiant, Ibrahim Maïga, a succombé à ses blessures. On se rappelle également pareille scène à la Faculté des Sciences et des Techniques en 2017, où il y avait eu un mort. Ce drame avait permis de découvrir un véritable arsenal militaire au campus universitaire. C’est pour dire jusqu’à quel point l’AEEM est devenue le terroriste des universités maliennes. Elle fait aujourd’hui la honte des étudiants ainsi que de tout le Mali. Au lieu d’être un comité pour les élèves et étudiants, elle est plutôt celui des politiques et par ricochet celui de l’argent.
L’AEEM est devenue ainsi le véritable cauchemar des étudiants maliens. Les membres de ce comité sont comparables à des loups libres dans une bergerie. À ce point, on ne peut s’empêcher de nous en prendre à l’ex-ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Assétou Founè Samaké, pour avoir adopté en 2017 à l’Hémicycle un projet de loi visant à l’instauration d’une police administrative dans les universités, ainsi que dans les grandes écoles du Mali. Mais chose restée lettres mortes jusqu’à nos jours. Le Comité se sentant ainsi de mèche avec les politiques joue leur politique et non celle des étudiants qu’il devrait défendre.
C’est regrettable de constater qu’à chaque fois que ce syndicat estudiantin commet des bavures comme celle de 2017, il saisit facilement une occasion pour se faire pardonner en organisant une sortie intempestive des étudiants et élèves en guise de réclamation de droits, mais ne tarde jamais à suspendre le mot d’ordre. Ces grèves s’organisent pour faire oublier aux gens les débats sur sa dissolution de cette organisation devenue un danger public. Cela a été le cas en 2017, ainsi qu’en cette année. Après la mort d’Ibrahim Maïga, le bureau de la coordination nationale a initié un mouvement de grève, disaient-ils, pour soutenir la cause des écoles n’ayant pas encore eu la chance de reprendre le chemin de l’école pour cause de non-apparition des orientations du DEF ou de grève des enseignants. Cette grève, comme un coup de bâton magique, a fait cesser les débats sur les réseaux sociaux ainsi qu’au sein des grins (groupe d’individus se regroupant pour discuter) réclamant sa dissolution.
Sentant la cause acquise et cela après avoir décrété un mot d’ordre de grève de 72 heures allant du 29 octobre au 31 du même mois, la Coordination, dans la soirée du même 29 octobre, fait apparaître un communiqué dans lequel elle lève le mot d’ordre de grève, sans évoquer d’autres raisons valables que d’être consciente de la volonté du gouvernement d’arriver à une résolution rapide des revendications. Cette suspension de grève signifie tout bonnement que l’AEEM a fait perdre aux élèves qui se trouvaient en classe une semaine de cours, de façon fortuite.
Face à ce comportement, on ne peut qu’arriver à l’idée que les membres de ce comité, comme à l’accoutumée, ont encore accepté des miettes de la main de l’État pour sacrifier l’avenir des millions d’élèves. Ce genre de comportements ne peut que nous décevoir de ce syndicat estudiantin en nous confirmant sa politisation et ainsi sa défiguration. L’AEEM est devenue la représentation fracassante des politiques dans les espaces scolaires. Il est dans l’intérêt de tous et pour le salut des Maliens de suspendre ce syndicat estudiantin en attendant d’aboutir à des réflexions plus poussées et applicables pour sa conscientisation et sa dépolitisation.
Fousseni TOGOLA