Lamine Seydou Traoré : «Nous espérons réaliser le premier forage avant la fin de la Transition»
Meguetan Infos
Dans cette interview, le ministre des Mines, de l’Énergie et de l’Eau réaffirme la volonté de son département d’éradiquer la fracture énergétique et hydraulique dans notre pays. Les actions menées dans ce sens consisteront à faire de l’exploitation minière, de la fourniture de l’eau et de l’électricité des outils privilégiés de croissance économique et de développement social du Mali
L’Essor : Vous avez récemment séjourné en Algérie dans le but de relancer la recherche pétrolière dans notre pays. La mission a-t-elle été à la hauteur des attentes ?
Lamine Seydou Traoré : À la suite de cette visite, nous avons pu convenir avec les autorités algériennes, notamment le ministre du Pétrole et de l’Énergie de tout mettre en œuvre pour que la recherche pétrolière puisse reprendre au niveau du bassin de Taoudeni qui a été attribué à la Société nationale pour la recherche, la production, le transport, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures (Sonatrach), depuis des années. Ce n’est qu’en 2013 qu’elle a arrêté la recherche pour cas de force majeure. L’objet de la visite était de lever cet obstacle motivé par l’insécurité. Les efforts sont en cours au niveau du gouvernement pour améliorer le contexte sécuritaire. Parallèlement, nous avons demandé à l’Algérie de pouvoir reprendre la recherche pétrolière et de s’engager à pouvoir faire ce premier forage-là.
Des échanges avec les autorités algériennes, nous sommes revenus confiants en la reprise des activités de recherche. Il faut rappeler que l’Algérie continue de payer à l’Office national de recherche pétrolière les redevances annuelles liées à cette attribution. C’est bien la preuve qu’elle tient à cela.
à côté de ce bassin, nous avons fait une réforme du Cadastre pétrolier. Nous sommes passés d’une vingtaine de blocs à une quarantaine pour pouvoir donner plus de chance à plusieurs entreprises de venir faire la recherche. Nous avons proposé d’autres bassins notamment la partie Nara qui intéresse l’Algérie et même des sociétés nationales. Nous y travaillons pour faire de la recherche pétrolière au Mali, à travers les forages, une vraie réalité, avant la fin de la Transition et même au-delà.
L’Essor : Pour des Maliens, le pétrole a toujours été évoqué par les autorités pour faire espérer à des lendemains meilleurs. Mais jusqu’à présent, il n’y a rien de concret. Qu’est-ce qui explique cela ?
Lamine Seydou Traoré : Des indices concordants montrent qu’il y a du pétrole au Mali. Des études géochimiques ont été réalisées sur les bassins. Celui qu’on observe à Taoudéni, c’est le même qui est au Niger qui a eu son pétrole. Il continue en Algérie. Mais, pour dire avec exactitude qu’il y a du pétrole, il faut faire des forages. Le Mali n’en n’a pas fait encore. Tous nos efforts sont mis en œuvre pour faire en sorte que ce forage puisse voir le jour, très rapidement. La réalisation de forage nécessite énormément de moyens. Il faut une vraie volonté politique pour ce faire.
Outre ces obstacles, il y avait un problème d’organisation. Pour pouvoir donner plus de visibilité aux investisseurs, nous avons transformé l’Autorité de recherche pétrolière en Office pour pouvoir donner plus de marge de manœuvre à cette structure de promouvoir véritablement la recherche pétrolière. Son directeur général a été nommé.
Au-delà de l’Algérie, nous travaillons avec les émiraties et d’autres sociétés qui ont des partenariats avec des Européens, des gens du Moyen-Orient, pour pouvoir attribuer le maximum de permis comme c’est le cas pour l’or. À la faveur de l’évolution réglementaire, les ingrédients sont réunis pour pouvoir relancer le secteur. Avec l’amélioration du contexte sécuritaire, notre promesse de faire ce premier forage au Mali pourrait être concrétisée avant la fin de la Transition.
L’Essor : Un nouveau Code minier est en vigueur depuis un an pour faire de l’or un vecteur de développement local, booster la production, réorganiser l’orpaillage et diversifier la production. Qu’en est-il exactement ?
Lamine Seydou Traoré : Ce nouveau Code, adopté en 2019, a été opérationnel en novembre 2020 à la faveur de son décret d’application. L’arrêté portant convention type a été également validé. Il abroge toutes les dispositions antérieures contraires à part la clause de stabilité. Parmi ses innovations majeures figurent la valorisation du continu local, le développement local, la valorisation des ressources humaines maliennes, etc.
Les sociétés minières voient d’un bon œil sa mise en œuvre. Nous travaillons à avoir l’adhésion de toutes les parties prenantes du secteur minier en organisant des foras. Nous allons travailler avec les sociétés minières pour que les dispositions qui tendent à faire en sorte que l’or puisse briller davantage pour le Mali, puissent être mises en œuvres. Si des insuffisances notoires sont relevées, nous n’aurons aucun complexe à faire les aménagements possibles.
L’Essor : Ce même Code minier prévoit des sanctions contre les sociétés minières qui ne respecteraient pas leurs cahiers de charges. Des sociétés auraient fait les frais de cette mesure. En quoi ont-elle failli et quel a été l’impact des sanctions sur le secteur ?
Lamine Seydou Traoré : Pour le moment, aucune société n’a été sanctionnée. Des courriers leur ont été adressés pour savoir l’état de mise en œuvre. Lors de ma visite à Sadiola, j’ai fait savoir que nous ne sommes pas très satisfaits de l’état de mise en œuvre des dispositions du nouveau Code. Nous avons travaillé avec les entreprises. Aujourd’hui, ils sont en train d’améliorer leur approche en terme de valorisation du personnel et du contenu local.
Avant de sanctionner, il faut établir les faits. Nous travaillons avec le ministère de l’Économie et des Finances pour établir un audit opérationnel de l’ensemble des mines. Cela permettra de faire un état des lieux, diagnostiquer les forces et faiblesses. à l’issue de cela, nous sommes sensés donner un délai aux entreprises pour se conformer. Celles qui ne s’y conformeraient pas, à l’issu de ce délai, seraient sanctionnées. L’objectif visé est d’améliorer les revenus issus des industries extractives et pour les populations et pour l’État. Pour y arriver, le Code minier a fondé son espoir sur les redevances qu’elles doivent payer pour contribuer davantage au développement des sites sur lesquels elles sont implantées.
L’Essor : Notre sous-sol regorge de potentiels immenses du lithium, d’hydrogène et d’autres substances. Pourquoi ces gisements peinent à entrer en production ?
Lamine Seydou Traoré : Les études montrent que nous avons du lithium et de l’hydrogène naturel en quantité. Ce dernier n’est pas rentable, il faut l’associer à autre chose. Une entreprise malienne est très avancée sur son exploitation. Nous sommes prêts à la soutenir pour faire avancer les choses.
Concernant le lithium, la société Firefinch Limited est arrivée à la phase d’exploitation. Le prix du lithium a chuté à cause de la Covid-19. Cette société a dû nouer des partenariats avec une société pour être sûre que sa production au Mali aura un preneur sur le marché. Cette société chinoise va investir pour permettre de produire et garantira l’achat des produits. Nous travaillons avec les deux sociétés pour finaliser les documents légaux pour que la production de lithium puisse voir le jour. Nous leur avons suggéré de tenir compte de la nécessité de la création d’une industrie de première transformation qui crée de la valeur, pour éviter d’exporter le brut.
Nous avons reçu des études démontrant qu’en l’état actuel des choses et avec le prix actuel, l’implantation d’une usine prendra du temps et pourrait nous empêcher de profiter de ce joyau-là. Le lithium qui entre dans la fabrication de batterie, pourrait nous aider à améliorer le taux de l’électricité à travers l’énergie solaire.
L’Essor : Quelles sont les autres substances précieuses dont les potentiels sont avérés et pour lesquelles la recherche est très avancée ?
Lamine Seydou Traoré : Nous avons le fer, le manganèse, le calcaire, déjà exploités et exportés pour certains. Concernant le calcaire qui entre dans la fabrication du ciment, nous sommes à l’œuvre pour faire en sorte que le maximum de personnes ait accès au permis de recherche. Les premières sociétés à l’avoir obtenu, ont accaparé toutes les terres sur lesquelles il est possible d’avoir du calcaire. Nous travaillons sur le plan légal afin que l’on donne que ce dont elles ont besoin pour pouvoir extraire. Le but est de créer la concurrence en permettant à d’autres de pouvoir s’implanter afin de tirer les prix vers le bas au bénéfice des populations.
L’Essor : La production minière et industrielle nécessite la disponibilité d’une énergie moins chère et suffisante. Quelles sont les mesures prises pour non seulement mettre fin aux délestages mais aussi mettre de l’électricité à la disposition de ces acteurs clés de notre économie ?
Lamine Seydou Traoré : Ce qui nous intéresse aujourd’hui est de faire en sorte que ceux qui bénéficient de l’électricité puissent avoir un service de qualité (qu’il y ait moins de délestage), ceux qui n’y ont pas encore accès puissent l’avoir. C’est ce que j’appelle l’éradication de la fracture énergétique.
Cette année en pleine pointe, nos capacités propres, les groupes loués y compris, sont de l’ordre de 400 MW. Nous importons 100 MW de la Côte d’Ivoire. Soit une capacité totale de 500 MW.
Chaque année la demande augmente de 10 à 15 %. 10% de 500 fait 50 MW. Il nous faut une capacité de 550 à 600 MW l’année prochaine. Nous allons prévoir 600 MW, car en période de chaleur même si on a un groupe de 50 MW, il ne produit pas 50 MW. Pour ce faire, nous avons eu un accord avec la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) pour financer la ligne Kayes – Bamako. Ainsi, toute la capacité de Albatros pourra être exploitée et on gagnera 50 MW de plus. Si les 100 MW supplémentaires de la centrale de Sirakoro sont mis en œuvre, cela ferra 550 MW de capacité propre.
Avec le concours du chef de l’État et du Premier ministre, nous avons pu faire le voyage de Dubaï où nous avons contractualisé avec un promoteur l’installation d’une centrale de 200 MW dont 50 à Sikasso et les 150 restant à Bamako. Cette puissance obtenue avec les émiraties et qui va être installée augmentera nos capacités propres à 750 MW, dont 200 MW dormant qui serviront de valeurs d’ajustement.
À côté, nous avons entrepris de transformer notre modèle d’affaire sur les locations de groupe. À chaque fois qu’on a besoin de leur service, on les sollicite, ils vont nous fournir. Ce qui permet de baisser le prix de l’électricité.
La demande est forte la nuit mais on a moins de source en ce moment. La nuit ces gens-là seront sollicités et nous ne payerons que ce que nous consommerons. Quand les 200 MW des émiraties seront installés, nous allons nous débarrasser de ces groupes électrogènes.
Ce qui va nous permettre, en terme de centrale électrique, de diviser presque par deux le coût de l’électricité auquel EDM produisait. On va passer de 200 à un peu plus de 100. Nous n’avons pas le compte parce que l’électricité est vendue à 190 Fcfa. Il faut travailler pour rabaisser ce tarif-là, à long terme. C’est ce qui nous vaut d’aller vers les centrales solaires, éoliennes et hydroélectriques.
L’Essor : Tous ces efforts seront vains sans l’accès de nos compatriotes à l’eau potable. Qu’est-ce qui est en train d’être fait pour mettre fin au stress des Maliens dans ce domaine?
Lamine Seydou Traoré : Le Mali est le seul pays où le tarif de l’eau n’a pas connu de hausse depuis 15 ans. Nous avons les tarifs les plus bas. Au déficit de production, s’ajoute un réseau de distribution mal émaillée.
Source: Essor