L’Algérie a renoncé à son principe de non-intervention qu’elle défendait ardemment depuis son indépendance. Elle s’apprête vraisemblablement à jouer un rôle accru au Mali au moment où la France amorce un retrait.
Saïd Changriha, était-il en mission secrète à Paris ces derniers jours ? Selon le mensuel Jeune Afrique, le chef d’État-major de l’armée algérienne est venu discuter de la situation sécuritaire au Sahel et du rôle que pourrait y jouer l’Algérie, après l’annonce par Emmanuel Macron, le 10 juin dernier, de la fin de l’opération française Barkhane, en tant qu’opération extérieure française.
Le ministère algérien de la défense a « catégoriquement » démenti « cette tentative de désinformation avérée », rapporte l’agence officielle de presse APS le 15 juin dans la soirée. « A la limite que le chef de l’armée ait été physiquement présent à Paris, ou son numéro deux ou trois, importe peu, il est certain en tout cas que la France et l’Algérie discutent du Sahel et de la manière dont l’Algérie prendra la relève après le retrait français », fait valoir Francis Ghiles du laboratoire d’idées Barcelona Centre for International Affairs.
Alger mûrit de longue date le fait d’intervenir par-delà ses frontières
En avril, c’était au tour du chef d’état-major des armées, le général François Lecointre, d’être reçu par son homologue algérien à Alger pour « discuter de l’état de la coopération militaire entre les deux pays », avait alors fait valoir le ministère algérien de la défense. « Retirer Barkhane, c’est reconnaître en creux qu’il revient aux États de la région de s’investir » , relève Antoine Glaser, spécialiste de l’Afrique et coauteur du « Piège africain de Macron » (1.)
Alger mûrit de longue date le fait d’intervenir par-delà ses frontières. La nouvelle Constitution, adoptée par référendum le 1er novembre dernier – malgré le boycott ou le rejet de 86 % des Algériens – avait, aux yeux des observateurs, une seule véritable justification : celle de renoncer à la non-intervention, l’un des piliers de l’Algérie depuis son indépendance en 1962. Le nouveau texte dispose ainsi que le président de la République « décide de l’envoi des unités de l’Armée Nationale Populaire à l’étranger après approbation à la majorité des deux tiers de chaque chambre du Parlement ».
Alger y a d’ailleurs visiblement déjà songé. Fraîchement élu, le président Abdelmadjid Tebboune avait fait savoir, en janvier 2020, que l’armée algérienne pourrait intervenir en Libye alors que la capitale était menacée par l’offensive des forces de l’est du pays. « Tripoli est une ligne rouge », a-t-il de nouveau justifié dans un entretien à la chaîne Al-Jazeera le 15 juin dernier.
« Jamais l’Algérie interviendra à visage découvert »
« Le régime se repositionne. Son incompétence sur la scène économique et sociale intérieure est totale. Il a été pris de court par les succès géopolitique et économique du Maroc sur le continent. Les dirigeants n’ont que la carte de leur rôle géostratégique à jouer et à vendre d’autant plus aisément aux grandes puissances que ces dernières ne formulent plus guère d’exigences en matière de démocratie », estime le politologue Mohamed Hachemaoui.
Mais, selon lui, si l’Algérie intervient au Mali, ce sera de manière subtile. « Il n’y aura pas de troupes au sol,jamais l’Algérie n’interviendra à visage découvert », abonde Antoine Glaser. De fait, elle a déjà une présence discrète dans le nord Mali, par des incursions aériennes, via le renseignement et le commerce informel. « Un téléviseur est moins cher à Kidal qu’à Bamako », constate ainsi Antoine Glaser.
Reste qu’il y a de réels points de friction dans le possible passage de témoin entre Paris et Alger. « La volonté de Paris de décapiter l’État islamique au Grand Sahara ou le GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, liés à Al-Qaida), ne peut que heurter les intérêts algériens », poursuit Antoine Glaser. Ainsi Iyad ag Ghaly, chef du GSIM, qualifié de « priorité numéro une » par la France fait, pour Alger, partie de la solution pour réconcilier Bamako et le Nord. Il franchit sans peine la frontière entre le Mali et l’Algérie.
Source: La-croix.com