L’accord de paix entre Peuls et Dogons au Mali, une chance de neutraliser les groupes armés
Dans le centre du Mali, où les affrontements entre Peuls et Dogons se sont aggravés ces derniers mois, des accords de “cessation des hostilités” ont été signés par des groupes armés de chacune de ces communautés.
Des accords de “cessation des hostilités” ont été signés par des groupes armés peuls et dogons, dans le centre du Mali, alors que des attaques de groupes armés, dont les civils sont les premières victimes, ont endeuillé plusieurs villages ces derniers mois.
C’est d’ailleurs dans le cercle de Bankass – l’un des huit cercles de la région de Mopti, au centre du Mali –, où plus de 150 civils ont été massacrés en mars 2019, que l’accord de paix a été entériné, le 25 juillet dernier. Plusieurs ethnies, dont Peuls et Dogons, ont ainsi renoué le dialogue, exhortant les groupes armés à stopper la violence. L’entente a été définitivement actée à l’occasion de la visite du Premier ministre malien, Boubou Cissé, le 1er août.
Conclus par une dizaine de groupes armés peuls, et des chasseurs traditionnels dozos – composés de membres de la communauté dogon –, ces accords de paix doivent mettre un terme à des années de violences intercommunautaires qui, pour la seule année 2019, ont fait des centaines de morts.
Les groupes “s’engagent à cesser immédiatement et définitivement les hostilités, à tout mettre en œuvre pour favoriser la libre circulation des personnes, des biens et des agences humanitaires”, stipule le document, signé en présence du Premier ministre, qui a “encouragé les parties à faire la paix”, d’après ses services.
Échec des précédents “accords de paix”
“Il faut que nos actes traduisent notre volonté. Si nous voulons la paix, nos actes doivent le montrer”, a lancé le Premier ministre Boubou Cissé, en visite dans le centre du pays.
Un premier “accord de paix” avait déjà été signé il y a près d’un an, le 28 août 2018, par 34 chefs de village. Mais le texte n’impliquant pas les responsables des groupes armés qui déstabilisent la région depuis 2016 – année de naissance de la milice dogon Dan Na Ambassagou –, il avait reçu un accueil mitigé et n’a finalement fait que se fragiliser. Les violences ont alors atteint leur paroxysme le 25 mars dernier quand une centaine de miliciens dogons sont entrés dans le village peul d’Ogossagou, à 25 kilomètres du village dogon de Bankass près de la frontière burkinabè, et ont tué hommes, femmes, enfants et vieillards avant de brûler la quasi-totalité des cases du village.
À l’issue de son enquête, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), a déclaré que l’attaque avait fait au moins 157 morts, faisant du massacre d’Ogossagou le plus meurtrier qu’ait connu le Mali depuis 2012.
Deux siècles d’affrontements
Comprendre le conflit qui oppose les Peuls aux Dogons suppose néanmoins de remonter plus loin dans le temps, à la genèse de la Dîna du Macina (royaume peul) en 1818. À cette époque, les Peuls travaillent sur un renouvellement social basé sur des principes islamiques ; les Dogons, considérés comme païens (car non peuls) sont asservis.
Les relations entre les communautés s’amélioreront après la création d’un nouvel ordre permettant des alliances occasionnelles, mais il faudra attendre 1960 et l’indépendance du Mali pour que l’égalitarisme social entre Peuls et Dogons ne soit totalement rétabli, après une période de colonisation de six décennies au cours de laquelle les communautés sont écrasées et les statuts sociaux, rééquilibrés.
Dans les années 1970-1980, les Peuls pâtissent de la sécheresse. Peuple nomade de pasteurs transhumants, ils se trouvent en moins bonne posture encore que les agriculteurs dogons auxquels la préférence est donnée pour l’accès aux terres.
L’industrie touristique se développe dans “le pays dogon”, suscitant un récit selon lequel les Dogons seraient les véritables autochtones de la région. La domination peule s’érode. Les mouvements jihadistes voient alors dans la frustration de cette communauté un moyen de raviver d’anciennes hostilités.
Lutte conjointe contre les terroristes
Depuis l’émergence, en 2015, du Front de libération du Macina, mouvement jihadiste recrutant prioritairement parmi les Peuls du fait de l’histoire fondatrice du Macina dont il s’approprie l’héritage, les affrontements se multiplient entre la communauté peule et les ethnies bambara et dogon, qui créent, de leur côté, des “groupes d’autodéfense”.
Commandé, à sa création, par le Peul Amadou Koufa, le Front de libération du Macina (qui a depuis fusionné avec Ansar Dine pour devenir le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, NDLR), invite les musulmans à le rejoindre afin de lutter contre l’État malien, séduisant ainsi particulièrement les communautés peules appauvries.
Accusés d’être des informateurs et fidèles du jihad, les civils peuls, pourtant opposés dans leur grande majorité aux mouvements fondamentalistes armés, sont ainsi régulièrement pris pour cible, et des villages sont attaqués en représailles aux actions jihadistes. C’est dans ce contexte qu’est née la milice dogon Dan Na Ambassagou, accusée du massacre d’Ogossagou.
Par la signature de ces nouveaux accords de paix, groupe armés peuls et chasseurs traditionnels dozos s’engagent à “démasquer et dénoncer auprès des autorités les terroristes et au besoin, à les combattre”.
Le Front de libération du Macina, qui ne fait pas partie des signataires de cet accord de cessation des hostilités, pourrait ainsi se voir rapidement privé de nouvelles recrues peules.
La lutte conjointe contre le terrorisme pourra également permettre de mettre un terme aux amalgames (associant Peuls et terroristes, mais aussi chasseurs dozos et miliciens) dont ont trop souvent pâti les civils.
Qu’ils soient Peuls et ciblés par les milices dogons et chasseurs dozos, ou Dogons, victimes d’expéditions punitives peules, de nombreux civils ont été contraints de fuir vers les grandes villes. Dès 2016, les civils peuls fuient par milliers, principalement des régions de Ségou et Mopti, d’où proviennent l’essentiel des déplacés dans le pays. Déplacés dont le nombre est passé, selon le Bureau de coordination des affaires humanitairesdes Nations unies (OCHA), de 18 000 à 70 000 entre mai 2018 et mai 2019.
Ces dernières semaines, plusieurs centaines de personnes ont toutefois commencé à regagner leurs villages.
Avec AFP