La Russie, au bord du défaut de paiement, a pourtant les “moyens de payer”: ce qu’il faut savoir
Meguetan Infos
Ce mercredi 16 mars, la Russie devra honorer une échéance de remboursement de sa dette publique, d’un montant de 117 millions de dollars. Une procédure habituellement simple mais qui s’annonce cette fois difficile en raison des sanctions occidentales. Explications.
La Russie a accusé ce lundi l’Occident de vouloir provoquer un défaut de paiement artificiel. Les multiples salves de sanctions gèlent en effet d’importants avoirs de Moscou à l’étranger: « Les déclarations selon lesquelles la Russie ne peut remplir ses obligations concernant sa dette publique ne correspondent pas à la réalité », a insisté le ministère russe des Finances. Il ajoute que le “gel des comptes en devises de la Banque de Russie et du gouvernement peut être vu comme le désir de pays étrangers de provoquer un défaut artificiel ».
Taux d’endettement pourtant très faible
Pour la Russie, il y va de son honneur et non seulement de son accès futur aux marchés financiers. Depuis deux décennies et surtout depuis la crise de 2014, Moscou s’est en effet efforcé de se constituer une santé financière irréprochable, avec un taux d’endettement très faible et des réserves de plus de 600 milliards de dollars constituées grâce à la rente pétrolière. Mais aujourd’hui, la partie des réserves détenues à l’étranger, environ 300 milliards de dollars, est devenue le talon d’Achille de la forteresse économique russe: elles sont gelées dans le cadre des sanctions occidentales et mettent la Russie au défi d’honorer plusieurs échéances imminentes de paiement de dettes en devises étrangères.
Première échéance ce mercredi 16 mars
Si les euro-obligations émises depuis 2018 peuvent être remboursées en roubles, ce n’est pas le cas pour la première échéance qui arrive dès mercredi, avec un remboursement de 117 millions de dollars. « C’est une situation unique dans laquelle la partie qui impose les sanctions décidera d’un défaut de la Russie en 2022″, a estimé lundi Elina Ribakova, cheffe économiste adjointe de l’Institut international de la Finance (IIF).
Qu’est-ce qu’un défaut de paiement?
“Un défaut de paiement peut concerner un État mais aussi une entreprise ou un particulier. Dans ces deux derniers cas, on parle plutôt de faillite mais c’est un peu la même chose”, explique sur France Culture Sylvie Matelly, économiste, directrice adjointe de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). “C’est-à-dire que je ne peux plus rembourser ma dette pour différentes raisons (…) Dans le cas de la Russie, je n’ai pas la monnaie, l’argent pour rembourser ma dette (…) Or, quand vous êtes endettés vis-à-vis de l’étranger, vous devez rembourser dans cette monnaie-là. Encore faut-il que vous puissiez y accéder », commente l’invitée de Guillaume Erner pour l’émission “La Question du jour”.
“La Russie a de l’argent”
“On est dans une situation où la Russie a de l’argent”, insiste Sylvie Matelly. “La Russie aurait les moyens de payer mais ce sont les sanctions occidentales – le gel des avoirs de la banque centrale, par exemple – qui font qu’elle ne pourra pas payer en monnaie étrangère”, ajoute-t-elle. “La Russie n’arrive plus à transformer ses roubles en monnaie étrangère, en dollars, en euros, pour rembourser sa dette. Elle ne peut même plus mobiliser les réserves qu’elle a en monnaie étrangère. C’est un peu comme si vous aviez de la monnaie plein les poches mais pas la bonne: personne ne l’accepte”, analyse-t-elle. “Vladimir Poutine a demandé que toutes les dettes à l’étranger soient payés en rouble sauf qu’il a perdu 30% de sa valeur et personne n’en veut. Tout le monde considérera qu’un remboursement en roubles équivaut à un refus de paiement”, complète-t-elle.
Un certain flou demeure
Un certain flou demeure toutefois autour de cette première échéance. La situation est inédite. Les analystes de JPMorgan estiment eux que ces paiements devraient être possibles. Le Trésor américain précise que le paiement des intérêts est possible jusqu’au 25 mai 2022, pour les personnes américaines, sur les obligations émises avant le 1er mars 2022 par la Banque centrale de Russie, un fonds souverain russe, ou le ministère des Finances. Après cette date, il leur faudra une autorisation pour continuer à recevoir ces paiements.
Système bancaire russe paralysé
Les sanctions occidentales ont paralysé une partie du système bancaire et financier russe et provoqué un effondrement du rouble. Un défaut de paiement coupe automatiquement un État des marchés financiers et compromet son retour pour des années.
Le défaut de paiement de 1998
« Il s’agirait du premier défaut souverain de la Russie depuis 1998 (quand elle avait fait défaut sur sa dette intérieure) et le premier défaut souverain sur la dette en devises étrangères depuis que Lénine a renié les obligations du gouvernement en 1918 », soulignent les analystes de Capital Economics dans une note, lundi. Après la chute de l’URSS, la Russie avait hérité seule des 70 milliards de dollars de dettes de l’empire disparu. Un poids dont elle a mis plus d’un quart de siècle à se défaire. Les douloureuses et chaotiques années 1990 culminent avec un humiliant défaut sur sa dette domestique en 1998, alors que l’économie russe est fragilisée entre autres par une crise financière en Asie et par le coût colossal de la première guerre de Tchétchénie.
Dette soviétique réglée en 2017
Il a fallu attendre douze ans pour que la Russie puisse revenir emprunter sur les marchés internationaux, avec une nouvelle émission obligataire en 2011. Au début des années 2000, le pays profite d’un afflux de pétrodollars grâce à l’envolée des prix du pétrole et du gaz qui lui permettra de constituer des réserves et de tourner définitivement la page de la dette soviétique avec les derniers remboursements en 2017. La Russie avait mis un point d’honneur à rebâtir une réputation d’emprunteur irréprochable, des efforts qui risquent de se trouver mis à mal.
7sur7.be