La Méditerranée intime et historique des Présidents français
Emmanuel Macron sera ce lundi 24 juin à Marseille pour conclure le Sommet des deux rives qui a pour objectif de relancer le processus de coopération en Méditerranée. L’occasion de revenir sur les relations des Présidents de la Ve République avec cette région.
Emmanuel Macron s’y était engagé en février 2018 lors d’un déplacement en Tunisie. Le chef de l’Etat avait lancé l’idée d’un Sommet des deux rives de la Méditerranée avec une forte contribution de la société civile. Ce Forum, construit sur la base de relations entre cinq pays du Sud de l’Europe (France, Espagne, Portugal, Italie, Malte) et cinq du Nord de l’Afrique (Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Mauritanie), est organisé depuis hier soir à Marseille. Il sera conclu par le chef de l’Etat ce lundi 24 juin. Tous les Présidents français de la Ve République ont investi intimement et politiquement l’espace méditerranéen. Charles de Gaulle : une relation intime avec le Liban Si la présidence de De Gaulle (1959-1969) reste historiquement liée à celle de la guerre d’Algérie dont la mémoire est toujours interrogée en 2019, le Général de Gaulle avait une affection toute particulière pour le Liban, où il vécut de novembre 1929 à janvier 1932. Le militaire est affecté à l’État-Major des Troupes du Levant à une époque où le pays est encore sous mandat français. L’ancien Président vit à Beyrouth, ville qui en garde encore quelques traces raconte le journaliste Julien Abi Ramia dans l’Orient Le Jour : “En novembre 1929, la nomenclature des rues est différente. La maison est située 268 rue Tadmor. Le commandant, alors âgé de 38 ans, […] cherche un pied-à-terre près de son nouveau lieu de travail, au Grand Sérail, pour y loger sa famille.” Il gardera jusqu’à la fin de sa vie le souvenir de cette ville et de cette période au cours de laquelle ses enfants ont grandi. “L’une de ses deux filles atteinte d’une maladie grave a même la possibilité d’être scolarisée et d’être bien traitée chez les soeurs de Nazareth” confie Karim Emile Bitar. Sur un plan plus politique, selon le directeur de recherche de l’IRIS, professeur à l’université Saint Joseph de Beyrouth, “jusque dans les années 60, le Général de Gaulle sera très proche du président libanais Fouad Chehab qui était comme lui un ancien militaire connu pour son intégrité. ll était également proche du Président Charles Hélou qui était un érudit apprécié par Romain Gary. Encore aujourd’hui, il y a une nostalgie au Liban, dans toutes les communautés, de la France gaulliste.” François Mitterrand et le rééquilibrage de la politique française avec Israël La diplomatie du Général de Gaulle a toutefois jeté un froid dans les relations franco-israéliennes, notamment à l’occasion de la guerre des Six Jours. L’ère Pompidou-Giscard d’Estaing reste fidèle à la politique arabe initiée par De Gaulle. Au contraire, François Mitterrand opère un tournant avec son discours à la Knesset en 1982. “Il marque sa sympathie pour Israël” raconte Karim Emile Bitar “mais la rupture n’est pas aussi profonde que ne l’auraient espéré les faucons israéliens. François Mitterrand prend aussi position pour la création d’un Etat palestinien. Il y a une tradition gaullo-mitterrandienne” insiste le chercheur. Le septennat de François Mitterrand ouvre aussi les portes de la Communauté Economique Européenne (CEE) aux pays du Sud de la Méditerranée : la Grèce en 1981 puis l’Espagne et le Portugal en 1986. “Cet espace méditerranéen a commencé à s’ouvrir avec ces élargissements” analyse Jean Marcou, directeur du master Méditerranée et Moyen-Orient à Sciences Po Grenoble, “au début de la Ve République, ces deux Etats étaient encore des dictatures et nous étions encore impliqués dans la guerre en Algérie.” Jacques Chirac et le processus de Barcelone Jacques Chirac connaît le monde méditerranéen et avec ses deux mandats il a beaucoup marqué la région. Sur le plan personnel, il a fait son service militaire en Algérie et “ses biographes racontent qu’il aurait perdu sa virginité dans une maison close du pays” livre Karim Emile Bitar. L’ancien Président développera aussi une relation personnelle avec le Liban, notamment avec l’ancien Premier ministre Rafic Hariri qui sera assassiné en 2005 par le régime syrien. Mais les images ont retenu son voyage en Israël en 1996. Il s’était violemment heurté aux services de sécurité israéliens censés le protéger et dont il a jugé l’attitude brutale et provocatrice, ce qui lui vaudra une grande notoriété dans le monde arabe. Pour son soutien à la création d’un Etat palestinien, le Président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat, décédé en France en 2004, l’appelait “docteur Chirac” et une rue porte son nom en Palestine. Dans cette période marquée par les accords d’Oslo et une certaine foi dans la résolution du conflit israélo-palestinien, la présidence Chirac marque également le début de la coopération euro-méditerranéenne. Le processus de Barcelone, initié en 1995 par l’Union européenne et douze pays tiers (Algérie, Chypre, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Malte, Maroc, Syrie, Tunisie, Turquie et Autorité palestinienne), créé un cadre de dialogue pour faire de la Méditerranée un espace commun de paix, de stabilité et de prospérité. Selon Jean Marcou, le directeur du master Méditerranée et Moyen-Orient à Sciences Po Grenoble, “le processus de Barcelone inaugure un peu le concept de politique de voisinage de l’Union européenne. L’ambition économique et de développement était extrêmement forte. Mais le dispositif a été grippé par les antagonismes de fonds qui ont perduré et qui ce sont amplifiés.” Le rédacteur en chef de la revue Géoéconomie Jean-François Daguzan estime toutefois que “tout n’est pas à jeter d’un bloc. Un véritable maillage à tous les niveaux (villes, associations, ONG, etc.) s’est créé. Le programme financier fut, et demeure, un ballon d’oxygène pour des économies en crise structurelle.” Nicolas Sarkozy et l’Union pour la Méditerranée Des déceptions du Processus de Barcelone va naître l’Union pour la Méditerranée (UpM).Ce projet a été amorcé à l’occasion de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2007. Depuis Toulon, il avait déclaré : “Le dialogue euro-Méditerranée imaginé il y a 12 ans à Barcelone n’a pas atteint ses objectifs. L’échec était prévisible dès lors que la priorité de l’Europe était à l’Est, (…) que le commerce avait pris seul le pas sur tout le reste alors que c’était la coopération qui aurait dû être la priorité absolue (…), dès lors qu’il s’agissait une fois de plus de faire dialoguer le Nord et le Sud, en perpétuant cette frontière invisible qui depuis si longtemps coupe en deux la Méditerranée…” L’organisation réunit 43 pays d’Europe et d’Afrique autour d’une volonté commune de développer des projets de coopération. Mais si l’institution a fêté ses 10 ans l’année derrière, “elle s’est un peu endormie” estime Jean Marcou. “Le projet était dominé par des arrières pensées liées à l’hostilité du Président Sarkozy à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne et l’UpM est apparu pour beaucoup comme une façon de différer ou de définitivement enterrer la candidature d’Ankara”. Les Printemps arabes, bien que considérés comme des événements positifs pour les sociétés concernées, ont aussi été les révélateurs de sa faiblesse et de son manque de réactivité. Même si Nicolas Sarkozy a fait preuve d’une grande énergie en Méditerranée et même d’un certains activisme dans le cas des infirmières bulgares retenus en otage par le régime de Kadhafi, “La guerre en Libye restera une tâche noire sur son mandat. Jusqu’à aujourd’hui il reste énormément de zones d’ombres” rappelle Karim Emile Bitar. “La France a tardé sous Sarkozy a soutenir les révolutions tunisiennes et égyptiennes et c’est peut-être pour cela qu’elle a donné le sentiment d’en faire trop en Libye” analyse le spécialiste du bassin méditerranéen. Emmanuel Macron : une nouvelle génération pragmatique mais qui ne va pas à la racine des difficultés François Hollande avait également un lien fort avec la Méditerranée et surtout l’Algérie pour y avoir fait son stage de l’ENA. Il avait provoqué une polémique en choisissant de commémorer le 19 mars, date du cessez-le-feu de la guerre en Algérie. Une polémique sur laquelle il s’était expliqué sur France Culture. Mais son quinquennat a été marqué par le terrorisme et il s’est surtout illustré par son intervention en Afrique au Mali. Emmanuel Macron, lui, n’a pas vécu dans cette région et “il vient d’une génération qui a connu l’après 1967 et qui n’est pas prisonnière des vieux réflexes du passé” analyse Karim Emile Bitar. Dans les pas de ses prédécesseurs, “il avait livré dès sa campagne présidentielle un discours remarqué de politique étrangère depuis Beyrouth. Emmanuel Macron avait alors annoncé qu’il comptait revenir à une ligne gaullo-mitterandienne après certaines dérives qu’il a qualifié de néo-conservatrice”. Il s’est également montré très dynamique lors de l’arrestation du Premier ministre libanais Saad Hariri. Mais sa proximité avec l’Egypte du Maréchal Sissi par exemple déçoit Karim Emile Bitar : “Il faut que la France sorte de cette vieille idée orientaliste selon laquelle le monde arabe a besoin d’hommes forts. Les sociétés civiles auraient aimé que la France prenne la tête de ceux qui en occident aurait misé sur une troisième voie qui rejette aussi bien les dictatures supposés laïques que les dérives islamistes actuelles.” Un constat partagé par le directeur de l’institut de recherche sur la Méditerranée (Iremmo), Jean-Paul Chagnollaud n’est pas non plus très convaincu par l’initiative du Sommet des deux rives. Le chercheur a participé à la préparation de cette réunion dans le cadre des forumsorganisés sur le thème de la culture à Montpellier en mai dernier. Il relève une absence de lignes directrices. “Le point faible de cette logique projets” explique-t-il “est la disparition d’une pensée sur la Méditerranée avec en toile de fonds sur le plan diplomatique le risque d’un effacement de la France et de l’Union européenne dans les grands conflits du temps”.
Source: franceculture