La France négocie avec le Mali le retour des migrants irréguliers
L’un des trois volets de la visite du premier ministre Edouard Philippe fin février à Bamako concernait la question d’accords de réadmissions.
L’embarras est palpable. Accoudés aux pupitres disposés à la primature malienne pour la conférence de presse conjointe du 23 février, Edouard Philippe, le premier ministre français, et Soumeylou Boubèye Maïga, son homologue malien, sont contraints de répondre à une question hautement sensible. Quelle est la position des deux pays sur le retour des migrants maliens séjournant irrégulièrement en France ? Lors de cette visite française, a-t-il été question de signature d’accords de réadmissions, facilitant le retour au pays de ces irréguliers ?
Sourire embarrassé aux lèvres, le premier ministre malien répond par la négative avant d’ajouter « que le gouvernement du Mali prendra toute sa part dans la régulation des flux migratoires (…). Parce que si nous ne prenons pas toute notre part dans cette gestion, bientôt nous manquerons d’interlocuteurs en Europe. On voit bien que la question de la migration est devenue un enjeu de politique intérieur majeur dans la plupart des pays ». De quoi laisser comprendre que le sujet était bel et bien au cœur des débats.
« Rechercher une coopération renouvelée »
Du 22 au 24 février, Edouard Philippe et Florence Parly, la ministre française des armées, sont venus au Mali. Un déplacement sous le signe du développement économique et de la lutte contre le terrorisme, avec un troisième volet moins visible : l’immigration. Sujet porté là par Laurent Nuñez, secrétaire d’Etat au ministère de l’intérieur, qui avait fait lui aussi le déplacement.
D’ailleurs, dans le dossier que l’administration a remis à Christophe Castaner lors de sa nomination à la tête du ministère de l’intérieur, en octobre 2018, sont détaillées les mesures urgentes pour « rechercher une coopération renouvelée avec les pays d’origine et de transit ». Avec la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Maroc, le Sénégal et la Tunisie, le Mali figure dans la liste des six pays prioritaires et doit faire l’objet « d’un suivi attentif mensuel et d’une action bilatérale de haut niveau ».
Dans le cas du Mali, le document préconisait de demander « à notre nouvel ambassadeur à Bamako de faire une démarche auprès des autorités maliennes, après l’élection présidentielle [d’août 2018], pour leur indiquer que la France souhaite améliorer les procédures en matière d’identification et de délivrance de LPC [laissez-passer consulaires] ». En fait, la France estime que le Mali ne délivre pas assez de LPC et, sans ce formulaire, qui reconnaît qu’un sans-papiers est bien malien, impossible de le remettre dans l’avion.
Selon Yaya Sangaré, le ministre des Maliens de l’extérieur, le sujet a bien été abordé lors du déplacement d’Edouard Philippe : « La discussion était très amicale. Je n’ai pas senti de tensions. Mais les Français trouvent que nous ne délivrons pas assez de LPC. Nous étions à 11 % de délivrance il y a environ deux ans. Aujourd’hui, nous sommes à 62 %. Eux disent qu’on est à 49 %. Quoiqu’on dise, la tendance est positive (…). Il ne faut pas entrer dans une guerre des chiffres ! Les autorités françaises trouvent qu’il y a une vague de migrants irréguliers maliens qui arrive. Mais nous, nous n’avons pas de statistiques. »
Des régularisations en échange de réadmissions ?
Matignon estime en effet à 100 000 le nombre de Maliens régulièrement installés en France en 2018, mais aucune estimation n’est disponible concernant les irréguliers. Plusieurs spécialistes avancent qu’ils seraient au moins autant en situation irrégulière, quand M. Sangaré les évalue, lui, à « une infime minorité ». Puis le ministre consent à ajouter ce qui à ses yeux ne va pas côté français : « Il faut aller vers la régularisation de tous ceux qui ont le droit de l’être, [rappelant que] seuls 35 % des Maliens qui ont le droit d’être régularisés le sont. Ce qui veut dire que 65 % ne le sont pas… »
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