Interview Présidence de la CENI, Me Issiaka Sanogo donne sa part de vérité : “Il n’y a pas de bicéphalisme à la Ceni, je suis le seul président…” “Mes camarades et moi sommes prêts à remettre les justifs des fonds reçus à qui de droit mais pas à Amadou Ba”
Aujourd’hui-Mali : Depuis la semaine dernière, vous vous présentez comme le désormais président de la Ceni. Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment vous avez été élu à la tête de cette structure d’autant plus qu’il y avait déjà un président connu ?
Me Issiaka Sanogo : Non, il n’y a pas un autre président qui existe à la tête de la Ceni. On ne nait pas président, il n’y a pas de diplôme de président. A la Ceni, se sont tes paires qui te désignent à tel poste. Au début, ce sont les commissaires qui avaient placé Amadou Bah à ce poste. Il a gagné la présidence avec 8 commissaires pour lui contre 7 pour son adversaire. Ce rapport de force se retrouve aujourd’hui inversé, il a été mis bas, destitué par ceux qui avaient placé leur confiance en lui. Au terme du vote, 7 commissaires se sont montrés favorables à lui et 8 pour le nouveau président que je suis désormais. Donc, c’est la CENI à travers son instance décisionnelle, qui est la plénière, qui a décidé que je sois président.
Malgré tout, Amadou Bah occupe le bureau du président, en plus de cela il a le véhicule 4×4 destiné au président. Est-ce qu’il n’y a pas là un paradoxe annonçant un bicéphalisme ?
Non, il n’y a pas de bicéphalisme. Vous savez, même au niveau du gouvernement, en cas de changement de ministre, il faut que la passation de service se fasse d’abord pour que vous puissiez être installé à votre fauteuil. Ici, comme la situation est conflictuelle, il faut passer étape par étape. Aujourd’hui, je viens d’adresser une correspondance au ministre de la Sécurité, au directeur de la Police nationale et au commandant du GMS. Pas plus tard qu’hier, j’ai adressé une autre correspondance au ministre de l’Administration territoriale et au Premier ministre et en principe je vais être reçu par toutes ces autorités. Donc, c’est à partir de là que les choses vont se décamper. À partir du moment où toutes les formalités seront accomplies, il va céder le bureau, ainsi que le véhicule de service. Vous savez, il n’est pas né avec ce véhicule de service, ni avec le bureau. C’est des gens, par consensus, qui l’ont mis là-bas et ce sont les mêmes gens qui lui ont dit de dégager. Donc, moi je ne vois pas comment il pourra résister. Dans les correspondances, j’ai oublié de mentionner la Banque car nous l’avons informée et nous lui avons envoyé notre spécimen de signature. Au bout de toutes ces démarches, nous aurons accès à la bourse.
Pensez-vous que la Ceni pourra accomplir sa mission dans un tel climat conflictuel et de méfiance entre ses membres ?
Pourquoi pas, nous avons un règlement intérieur. Ce n’est pas la volonté des gens qu’on applique à la Ceni. Notre règlement intérieur dit que l’assemblée générale est la seule instance décisionnelle et ce sont les décisions de cette assemblée plénière que le président de la Ceni exécute à travers un bureau. Il faut rappeler que ces deux camps ont toujours existé au niveau de la Ceni. Au départ du processus de vote pour la présidence, il y avait deux candidats, lui-même représentant du Sam, soutenu par les cinq éléments de l’opposition, plus le représentant des religieux, donc il été élu président de la Ceni. Après son élection, la Ceni a fonctionné avec le soutien de l’autre camp. La frange dont le candidat a été battue a normalement travaillé avec le bureau jusqu’à maintenant. Moi personnellement, qui ai été battu, je me suis soumis à ses ordres parce que je suis un démocrate. J’obéissais à ses injonctions et à ses instructions en lui rendant l’honneur que son rang lui confère. Il m’a envoyé en mission à l’intérieur comme à l’extérieur. Donc, je ne vois pas de problème. Il faut qu’on sache que les hommes passent, mais les institutions restent. Les présidents de la République finissent leurs mandats et le Mali reste. Il y a des nouveaux qui viennent, il y a l’opposition et la majorité, pourtant le Mali fonctionne et c’est exactement comme cela. Moi, je n’ai aucun souci si on applique les textes.
Quelque part, Amadou Bah vous reproche et à certains commissaires proches de vous, de ne pas pouvoir justifier les fonds reçus lors de la dernière élection présidentielle. Qu’est-ce qui n’a pas marché ?
Vous avez dit justifier, heureusement qu’ils n’ont pas dit détourner. Ils disent qu’on n’a pas pu justifier, mais on n’a pas entendu un seul collaborateur de l’intérieur qui s’est plaint de n’avoir pas reçu l’argent qui lui était destiné lors des élections. Mais ce sont ces mêmes démembrements de l’intérieur qui se plaignent aujourd’hui de n’avoir pas été payés depuis quatre mois. Moi, je suis le coordinateur de la région de Sikasso, je n’ai entendu personne dire dans la région de Sikasso n’avoir pas reçu son droit. Qu’à cela ne tienne, quand les commissaires sont revenus, Amadou Bah était en exil médical qui a duré 40 jours. Entretemps, moi aussi j’étais à Paris en France. A mon retour, j’ai trouvé la mission d’inspection en cours. Aucun inspecteur de finance n’est venu me voir pour dire qu’il y a quoi que ce soit. Mais par contre, ce sont ces gens-là que j’ai combattus dont je combattrai la corruption, le détournement, l’indiscipline budgétaire qui me demandent de leur remettre mes armes, à savoir les documents justificatifs. Vous pensez que je dois être candide à ce point tout comme mes camarades pour aller leur remettre ces documents ?
Pourquoi vous avez refusé de les remettre aux inspecteurs du Ministère des Finances ?
Je viens de vous dire qu’aucun inspecteur n’est venu me voir pour des justificatifs des fonds reçus lors des élections. Est-ce que mes adversaires vous aient montré une invitation d’un inspecteur disant à Me Sanogo où quelqu’un de ma frange de remettre des justifications ? Et, je suis prêt à montrer mes justifs à qui de droit, parce que je ne suis pas au dessus de la loi et c’est pareil pour mes camarades aussi. Je suis prêt à vous remettre tous mes justifs. Il faut rappeler que nous avons reçu l’argent à la veille ou l’avant-veille des élections (premier et deuxième tours) donc, nous sommes allés remettre l’argent aux présidents de commissions électorales des cercles quitte à eux de dispatcher au niveau des présidents de commissions électorales communales. Eux aussi doivent remettre ces fonds aux éléments au niveau de chaque centre de vote. Maintenant, pour faire diversion, ils vont sortir ces dossiers qui ne sont pas le sujet. On leur a tout simplement demandé la raison pour laquelle les collaborateurs de la Ceni ne sont pas payés à Kadiolo, à Fourou, à Nianfunké, à Goundam, à Kidal, Ténénkoun, à Diafarabé, à Mopti, pendant quatre mois. Et nous, les commissaires de Bamako, étions dans la même situation jusqu’à ce que nous menacions.
Pour anticiper, c’est le vice-président de la Ceni, Danzé Sogoba, qui a convoqué une assemblée générale plénière extraordinaire en l’absence du président et c’est cette assemblée qui a constaté d’abord une situation anormale qui est celle du non payement des gens de la Ceni pendant que le ministère des Finances disait qu’il a payé toutes nos dotations jusqu’à fin novembre. C’est nous qui avions décidé de cette assemblée générale plénière extraordinaire, mais c’est le premier vice-président qui l’a convoquée. C’est cette assemblée qui a constaté toutes ces irrégularités. Et comme le règlement intérieur de la Ceni prévoit de mettre en place une commission ad hoc pour mieux élucider les reproches, ceci a été fait. Finalement, c’est moi, Moriba Diallo et Mme Zouré, qui avons été retenus pour être membres de cette commission. Après avoir finalisé notre rapport, j’ai été voir le premier vice-président, Danzé Sogoba, en demandant de savoir quand est-ce que le président Amadou Bah sera de retour de la France. Il ma répondu que la date officielle de son retour était le 14 octobre, mais j’ai déjà appris qu’il était à Bamako depuis le vendredi 12 octobre. Je lui ai dit de lui notifier le rapport de la commission ad hoc et l’avertir en même temps que la commission ad hoc veut l’écouter le 18 octobre et le 19 octobre pour le questeur. Donc, le 18 octobre, Amadou Bah a fait défaut, il n’est pas venu et peu de temps après, le vice-président m’a envoyé une lettre en disant que le président de la Ceni est toujours à l’extérieur, alors qu’il est là. Nous avons la preuve qu’il était au Mali et qu’il a même fait un voyage vers Niono. Comme nous l’avons prévu, Béffon Cissé, le qusteur, a été entendu par les membres de la commission ad hoc.
Au cours de cet entrevue, Cissé a apporté deux documents dont les contenus ne sont pas les mêmes par rapport à la situation réelle de la structure. Après, nous lui avons demandé avec l’aval de qui il a procédé à ces dépenses. Car après des investigations, nous avons découvert que l’ancienne Ceni avait laissé dans le compte une somme de 200 millions Fcfa. Nous avons aussi fait la découverte que 100 millions de Fcfa qui étaient destinés à la communication de la commission. Au cours de cet entrevue, nous avons aussi constaté que Béffon Cissé a acheté une imprimante à 16 millions de Fcfa, des tablettes à 11 millions de Fcfa et un logiciel de base de données à 29 millions Fcfa. Tous ces achats ont été faits à l’insu des commissaires qui étaient sur le terrain. En un mot, nous avons constaté des irrégularités au niveau du budget de fonctionnement de la structure. C’est partant de ces manquements que nous avons demandé la destitution du président Amadou Ba à la tête de la Ceni.
Le règlement intérieur de la Ceni prévoit que quand une personne enfreint au principe de la bonne conduite de notre structure, elle mérite d’être sanctionnée. Dans la panoplie de sanctions, il y a trois étages à savoir : l’avertissement, ensuite il y a le blâme et enfin il y a le retrait de responsabilité. Et aujourd’hui, le principe de bonne conduite n’a pas été violé. Ils ont été foulés au pied. Quand les gens font 4 mois sans être payés, cela n’est plus une violation, mais c’est la paralysie totale de l’appareil de la Ceni. Donc, nous avons dit, pour cela, il faut la sanction maximale, c’est-à-dire le retrait de la responsabilité. Donc, on a fait le travail en rendant le résultat. Et l’assemblée plénière du 22 octobre a décidé d’adopter le rapport avec la sanction. Et c’est ainsi qu’ils ont été destitués et le 25 octobre nous avons décidé de les remplacer (Amadou Bah et Dr Béffon Cissé), nous n’avons pas touché aux autres membres du bureau.
Ce qu’Amadou Bah n’a pas dit aux gens, les commissaires proches de lui n’ont pas justifié leurs dépenses. C’est un processus qui prend souvent du temps.
Vous avez eu à parler du principe de bonne conduite. Amadou Bah a révélé que son bureau a été vandalisé. Est-ce que cela ne ternit pas votre image et celle de vos proches ?
Amadou Ba sait qu’il est démis de ses fonctions par une assemblée plénière à 8 voix, mais il prend rendez-vous avec les gens de l’Union européenne pour venir recevoir le rapport final sur les élections. Vous pensez que cela est conforme aux principes de bonne conduite ? Donc nous, nous avons décidé de ne pas laver le linge sale sur la place publique. Nous avons écouté les gens de l’Union Européenne, mais la présidente des observateurs de l’Union Européenne, Cécile Kengué, lui a posé la question de savoir, si c’est vrai qu’il a été démis. Amadou Bah lui a répondu qu’il ne veut pas parler de cela en demandant à la présidente des observateurs de retirer sa question. Les autres membres du bureau, qui étaient sur place, ont dit que s’il ne veut pas en parler, eux ils veulent qu’on en parle. Nous lui avons dit qu’il n’est plus le président de la Ceni, mais par respect pour l’Union Européenne, on a accepté qu’il reçoive ces documents-là. Donc, après cet échange, je suis descendu pour accompagner la présidente des observations de l’Union Européenne en lui remettant les documents qui retracent le déroulement de cette affaire.
Au retour, j’ai trouvé mes camarades arrêtés et ils m’ont dit qu’il y a un policier arrêté en haut qui nous empêchait de rentrer dans le bureau de M. Bah. Cet agent en question a dit qu’il a reçu l’ordre de ne faire passer personne, tandis que les commissaires veulent rentrer dans son bureau. Donc, c’est suite à ces bousculades que des vitres ont été cassées. Sinon ce n’est pas fait de façon intentionnelle. Aussi, le bureau de la Ceni n’est pas son patrimoine et pourquoi il a essayé d’empêcher les commissaires de rentrer dans son bureau ? Après tout cela, nous avons appris qu’il a donné les instructions aux policiers d’arrêter toute personne qui s’opposerait à lui. Il voulait relever les policiers qui ont refusé de nous menotter. Mais il n’a pas pu.
Votre dernier message ?
Nous sommes sur le terrain politique, c’est le fait majoritaire. C’est cela la règle d’or de la démocratie. Tu as la majorité aujourd’hui tu es au trône et tu perds la majorité, tu dégages. Donc, c’est une majorité de 8 commissaires sur 15 qui ma installé à la tête de la Ceni. Et je pense que force doit rester au choix de cette majorité. Maintenant, il raconte des balivernes aux gens comme quoi le 2ème vice président qui est juriste comme lui n’avait pas le pouvoir de convoquer l’assemblée plénière sans les 2/3 des voix des commissaires. Mais ce qu’il faut retenir, c’est que l’assemblée plénière qui a mis en place la commission ad hoc, elle, était une assemblée extraordinaire et elle a été convoquée par le vice-président. L’article 30 du règlement intérieur dit que le président peut convoquer l’assemblée plénière ou les 2/3 des membres. C’est-à-dire que les 2/3 des membres peuvent convoquer l’assemblée, indépendamment du président. C’est cette voie que je qualifierais de la voix horizontale de convocation. Il y a aussi la voix verticale de convocation qui vient du président tout droit. Il y a l’article 14 du règlement intérieur. Cet article dit que la Ceni est aussi dirigée par les vice-présidents et il y a 7 vice- présidents qui peuvent le remplacer par ordre de préséance jusqu’au 7ème vice-président. Mais la condition est que le président soit absent ou empêché.
Réalisé par Kassoum THERA