Interview du ministre de l’éducation nationale : « Il n’est de l’intérêt de personne que les enfants perdent une année »
Face à la crise qui secoue l’école, ces derniers temps, avec son lot d’arrêts de cours répétés, le ministre de l’Education, Pr. AbinouTémé, connu pour être un enseignant dans l’âme, a fait le point des négociations sur les antennes de la télévision nationale. Il ne cesse de titiller la fibre patriotique des enseignants grévistes pour qu’ils regagnent les classes, avec les points acquis, grâce aux efforts importants déployés par l’Etat. Cela, en dépit de la difficulté actuelle que vit l’Etat. Sera-t-il entendu par les grévistes ?
Sur les 10 point de revendication déposés sur la table du gouvernement, combien ont-ils été acquis et lesquels ?
Pr TEME : Merci mon cher ami de m’avoir donné l’occasion d’informer sainement notre opinion publique. C’est le ministère du Travail et de la fonction publique qui reçoit les préavis. Et sur le plan institutionnel, c’est ce département qui est chargé du dialogue social.
Mais, puisque je suis ministre de l’éducation nationale, gérant les trois segments (fondamental, secondaire, supérieur), c’est un devoir, pour moi, d’édifier l’opinion nationale sur les efforts consentis par le gouvernement. Mais, j’aimerai d’abord vous dire qu’au département, ici, nous, nous croyons beaucoup aux multiples vertus du dialogue. Nous sommes dans une société où, comme on le dit, ‘’’Sigi Ka Fo Be Fin Tiaama Ban’’.
Respectueux de cette philosophie, j’avais pris l’initiative, lorsque que j’ai pris connaissance des préavis des syndicats d’enseignants, plusieurs démarches avec toutes les forces qui, à mon avis, pouvaient m’aider à bien mener le dialogue. J’ai commencé par le Conseil supérieur de l’éducation, et je vais vous dire que des icônes, comme le Pr Ali Nouhoum DIALLO, Mme Siby, étaient là ce jour. Après ça, j’ai rencontré, deux fois, la commission éducation de l’Assemblée nationale. J’ai rencontré deux fois l’Association des parents d’élèves. J’ai rencontré la coordination du bureau de l’EEM, au moins trois fois. J’ai rencontré le bureau de coordination de l’AMS-UNEEM deux fois également. Et j’ai rencontré l’Association des adolescentes des années 1960. Et les familles fondatrices de Bamako se sont aussi investies dans les négociations.
Donc, c’est pour vous dire que nous avons exploré suffisamment le chemin du dialogue pour que nous ne soyons pas là où nous sommes.
S’agissant des revendications de mes collègues enseignants en 10 points. Le premier point demande l’octroi d’une prime de documentation. Je les ai moi-même personnellement rencontrés après les négociations menées par mon homologue de la Fonction publique, le 6 janvier. Je les ai fait comprendre que je ne suis pas négociateur, mais qu’en ma qualité de ministre de l’éducation nationale, j’ai le devoir de les rencontrer. Cela, après plusieurs rencontres en amont, pour les expliquer la réalité des choses, les efforts fournis par le gouvernement. Sur cette prime de documentation, ils demandent 150 000 F CFA, par mois, pour la catégorie A, 125 000 F CFA, par mois, pour la catégorie B et 100 000 F CFA pour la catégorie C. Je les ai fait comprendre, et c’est le langage de la vérité qu’il faut tenir, qu’ils n’ont pas droit à une prime de documentation.
Pourquoi ? La prime de documentation, c’est pour les enseignants chercheurs. Parce que, là-bas, l’avancement par le grade se fait suite à des publications scientifiques, pour passer du grade d’Assistant à celui de Maitre-Assistant, de Maître Assistant au Maitre de Conférence, et de Maitre de Conférence au Professeur, il faut des publications scientifiques.Et c’est pourquoi donc l’Etat a accordé à ces enseignants chercheurs une prime mensuelle de 17 000 F CFA.
Ce n’est pas le cas, chez eux, d’autant que l’avancement, ici, c’est par inspection. Première inspection, ils sont titulaires ; deuxième inspection, ils sont principaux. Mais je reconnais une chose : ils préparent des cours, des leçons. Il est donc souhaitable qu’on les mette dans les bonnes conditions de pouvoir acheter tous les ans, à la rentrée scolaire, deux ou trois livres, pour préparer correctement leurs leçons, leurs cours. Nous avons entrepris des démarches auprès du chef du Gouvernement pour cela et fort heureusement nous avons eu gain de cause. Et l’incidence financière fait 2, 9 milliards de F CFA par an. Le Premier ministre a accepté. Et c’est ça le premier point d’accord.
Le deuxième point, c’est l’octroi d’une prime de logement. Ils demandent là aussi 100 000 F CFA, par mois, pour la catégorie A ; 75 000 F CFA pour la catégorie B ; 50 000 F CFA pour la catégorie C. Nous leurs avions fait comprendre qu’en 2014, le Président de la République, Ibrahim Boubacar KEÏTA, a accordé des primes de logement à tous les travailleurs.
Mais également, nous avions répondu que les finances actuelles du gouvernement ne permettent pas de majorer ces primes de logementspuisque ça va faire effet de boule de neige. La prime de documentation est une affaire d’enseignants, le supérieur l’a. En l’accordant au secondaire et au fondamental, il n’y a pas de problème. Il n’y aura pas d’autres revendications. Mais, quantà la prime de logement, si on majore, chez les enseignants, légitimement, les autres corps vont réclamer et que nous sommes en état de guerre et que je titille leur fibre patriotique pour qu’ils comprennent que l’Etat ne peut pas supporter cela. En bon patriote, nous devons comprendre les difficultés que l’Etat vit. Pour cette raison, on ne peut pas majorer la prime de logement que le Président de la République a attribué à tout le monde, depuis 2014.
Mais quà cela ne tienne. J’étais prêt, là aussi, à aller voir le Chef du Gouvernement pour négocier une facilité d’accès aux logements sociaux et des parcelles à usage d’habitation pour les enseignants. Je leur ai même fait l’historique de cela en disant que sous le régime du Président Moussa TRAORE, il y a eu des distributions de parcelles aux enseignants et que mes professeurs habitent dans ces parcelles à Djélibougou et autres. Idem pour le régime du Président Alpha Oumar KONARE : il y a eu ce que nous appelons les 500 lots d’Alpha à Kalaban-Coura Sud extension. J’en ai moi-même bénéficié et c’est là où j’habite encore.
J’étais prêt à faire une telle démarche auprès du Premier ministre. Ils n’en veulent pas. L’argent liquide, voilà ce qu’ils ont exigé pas d’autres substituts. Donc, on leurs a fait comprendre que l’argent liquide n’est pas aujourd’hui disponible.
Sur l’adoption du projet de décret portant plan de carrière, ça c’est fini. Nous nous sommes entendus là-dessus. Le projet de loi est aujourd’hui au Secrétariat Général du Gouvernement. Et là, ça n’induit pas de coût financier, pas d’incidence financière…
Le quatrième point, c’est la finalisation du processus de régularisation administrative et financière des sortants de l’ENSup, nouvelle formule. L’ENSUP est passée de 4 à 5 années actuellement. Ceux qui y sortent veulent bénéficier d’une bonification d’indice. Une bonification d’indice va engendrer aussi des coups financiers. Cependant, l’Etat a accepté. Nous avons trouvé légitime que quelqu’un qui a fait 5 années de formation bénéficie d’une bonification par rapport à celui qui n’a fait que 4 ans. Et le gouvernement a accepté.
Le cinquième point, c’est l’application effective et immédiate du décret du 15 janvier fixant les conditions et les modalités d’octroi d’indemnité de déplacement et de mission. Là, nous, nous sommes entendus aussi parce que nous avons dit que tout le monde bénéficie de la majoration, en 2016, des conditions d’octroi d’indemnité de déplacement. C’est un acquis depuis 2016 et tout le monde en bénéficie. Pour nous, cela ne devrait même pas faire l’objet de revendication.
Le point 6 est, lui, relatif à la relecture immédiate du décret du 25 juin 2013 portant allocation d’indemnité du personnel chargé des examens et des concours. Ici, nous avons estimé que la proportion est respectée avec le supérieur sur plusieurs aspects. Frais de correction des copies au secondaire ; ils demandent 1500 F CFA par copie. Frais de correction au fondamental, ils demandent 1200 FCFA par copie. Eux, aujourd’hui ont 475 F CFA la copie au secondaire, le Baccalauréat par exemple tandis qu’au supérieur, la copie se corrige à 500 F. Le DEF, ils corrigent à 375 F CFA la copie. Là aussi, les proportions sont respectées. Les président de centre du Baccalauréat pour l’enseignement secondaire, ils demandent 100 000 F CFA, c’est une tâche qui ne dure que 3 jours. Et le président de centre pour le fondamental, pour le DEF par exemple, ils demandent 75 000 F CFA. Je leur ai fait comprendre qu’au supérieur, c’est 60 000 F CFA, comme frais de secrétariat. Eux, ils l’ont aujourd’hui à 50 000 F CFA pour le secondaire, 30 000 F CFA au fondamental. A ce niveau également, les proportions sont respectées.
Mais, en dépit des proportions, l’Etat ne peut pas aujourd’hui majorer ces frais qui sont liés aux examens. Il y a une dimension que nous devons intégrer. Je viens de rentrer d’une mission de la Côte d’Ivoire, il y a une semaine, j’y étais avec mes homologues du Burkina-Faso, de la Côte d’Ivoire et du Niger. Ils m’ont fait comprendre que dans leur pays, il y a des frais de participation aux examens et concours. Par exemple, au Burkina, l’enfant qui doit faire le Baccalauréats paye 15 000 F CFA comme frais de participation à l’examen. En Côte d’Ivoire, il paye 5000 F CFA ; au Niger 10 000 F CFA.
Mais au Mali, il n’y a rien à payer. C’est des choses qu’il faut aussi intégrer. Au Mali, il n’y a pas de frais de participation pour les candidats aux examens pour les candidats. Le Mali est très social, faisons tout pour que cet aspect social soit maintenu. A l’état actuel de nos finances, nous ne pourrons pas augmenter les frais liés aux examens, même s’ils le méritent.
Le septième point, c’est un point d’accord partiel. Il s’agit de l’organisation sans délai de l’élection professionnelle. Il y a une vingtaine de syndicats d’enseignants aujourd’hui. Comme les syndicalistes sont membres de certains organes, ils aimeraient qu’on organise des élections pour voir quels sont les syndicats les plus représentatifs, susceptibles de les représenter au niveau de ces organes. Nous avons dit qu’il n’y a pas de problème, mais que nous allons mettre en place une commission qui va étudier la faisabilité de cette élection.
Le huitième point, comme vous le savez, à chaque remaniement gouvernemental, le Premier ministre et la présidence attribuent les services publics aux ministères. Il y a des répartitions de services. En le faisant, on avait mis la direction des ressources humaines des collectivités au compte du ministère de la Fonction Publique. L’objectif visé, c’était la transparence dans la gestion du personnel.
Récemment, nous nous sommes rendu compte de plus de 300 enseignants des collectivités territoriales qui touchent double salaire. Ils n’ont pas voulu. Cependant, le Secrétariat Général du Gouvernement est en train de prendre les mesures pour ramener la direction des ressources humaines du secteur des collectivités au ministère des collectivités. C’est donc réglé ce point aussi.
Le point neuf, c’est l’intégration dans le corps des enseignants, du personnel non enseignants en classe. Nous avons un personnel, dans les ateliers ; les laboratoires qui ne bénéficie pas de statut d’enseignant qui par conséquent ne bénéficie pas des primes et indemnité liées à ce corps. Ils ont demandé que ceux-ci soient désormais considérés comme enseignants. Nous avons trouvé que c’était légitime. C’est désormais réglé. Mais, là aussi, l’incidence financière est à évaluer.
Enfin, le dixième point, qui fait un point de désaccord, c’est l’accès des enseignant fonctionnaire des collectivités territoriales aux services centraux de l’Etat. Les syndicalistes veulent que les enseignants qui relèvent des collectivités puissent occuper de hautes fonctions au niveau de l’administration de la fonction publique. Nous leur avons fait comprendre que ça va fausser carrément le fondement de la décentralisation. Ce sont là deux corps pratiquement différents, même si c’est l’Etat qui paye le tout. Les enseignants des collectivités, eux, ont signé un contrat avec les maires alors que le fonctionnaire, lui, a signé avec le ministère de la fonction publique.
Toutefois, à ce niveau aussi, il y a un truchement par lequel on peut passer :c’est la mise à disposition. Le ministère de l’éducation conçoit un projet d’arrêté de la liste des agents qu’il souhaite utiliser et demande, au ministre de l’administration territoriale et des collectivités territoriales, leur mise à disposition. Nous sommes en train de faire cet arrêté avec la liste des gens que nous aimerions nommer dans les services centraux. Face à cela, les syndicalistes disent non et exigent que les nominations soient automatiques. C’est un point de désaccord.
Voici un peu la situation…
Monsieur le ministre, les syndicalistes sont à leur 5èmepréavis de grève. Il y a toujours des points de désaccord et ils ne démordent pas. A ce rythme, quelles sont les dispositions prises pour trouver un terrain d’entente ?
Il y a les bonnes volontés auxquelles je m’étais adressé pour intervenir dans la médiation. Les familles fondatrices de Bamako ont-elles pris l’initiative de les rencontrer pour envisager avec eux une sortie de crise. Je me permets de croire qu’ils vont entendre raison. Parce que les familles fondatrices, ce n’est pas n’importe quelle organisation de notre société. Je me permets de croire qu’ils vont entendre le cri de cœur que va leur lancerces bonnes initiatives.
Mais, ce qu’il faut savoir, c’est que nous sommes dans un Etat de droit. Les textes qui donnent aux travailleurs le droit de grève, donnent aussi à l’Etat les moyens de répondre à cela. Les jours non travaillés ne doivent pas être payés. C’est ce que disent les textes. De plus, l’Etat dispose d’autres voies légales pour assurer le service public.
Mais, n’avons pas encore épuisé toutes les voies du dialogue.
Monsieur le ministre, vous avez un appel pélagique et citoyen pour les syndicalistes ?
Je suis moi-même enseignant depuis octobre 83…J’ai occupé pendant 12 ans des responsabilités administratives à l’Université. Ce que j’aimerais faire comprendre à mes collègues, c’est que l’école, c’est une partie de nous-mêmes et que l’enseignement, la fonction d’enseignant, c’est un sacerdoce. Notre objet de travail, c’est connu de tous, ce n’est pas la machine, ce n’est pas l’eau ; mais c’est l’individu, c’est la personne humaine… C’est l’enfant qui nous regarde, c’est l’enfant dont nous préparons l’avenir. Ce n’est pas, comme chez l’ingénieur qui manipule les instruments.
Nous avons à faire, nous, à des humains, à des personnes, à des enfants. Et dans tout acte que nous posons, nous devons intégrer cela. Nous avons entre nos mains, l’avenir des enfants, l’avenir de la jeunesse. C’est une très grande responsabilité, une responsabilité historique à assumer. Nous ne devons pas torpiller cette mission que la nation nous a confiée.
Surtout que nous sommes redevables à cette nation qui nous a tout donné. Nous avons tous étudiés aux frais de la nation, donc nous lui sommes redevables. C’est l’appel pédagogique que je voudraislancer. En tant que citoyen de ce pays, je voudrais insister sur le fait que nous traversons, en ce moment, une période très difficile de son histoire. Il suffit de prendre la route de Ségou et de Mopti pour s’en convaincre.
Les défis de sécurité sont énormes : équiper les forces de sécurités et de défense. C’est vrai, l’école, c’est une grande priorité. Mais, là où il n’y a pas de sécurité, il n’y a pas d’école. Nous avons plus de 700 écoles fermées sur notre territoire aujourd’hui… Nous ne pouvons pas aller les ouvrir tant qu’il n’aura pas la sécurité. Il est donc important que tout le monde comprenne que l’Etat est sur plusieurs fronts. Oui, l’école fait partie des fronts prioritaires, mais que nous comprenions que notre patrie est en guerre et que chacun de nous doit faire un minimum de sacrifice pour que la patrie sorte de cette situation où elle se trouve, malheureusement, depuis quelques années. C’est l’appel citoyen que voudrais lancer à mes collègues.
Source : CCMEN