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Insécurité au Sahel : À bout de souffle et coupée du monde, « la population pactise avec le diable » pour survivre

Meguetan Infos

À la date du 4 septembre 2022 à Sebba, ville située au Nord du Burkina Faso, et ses alentours, on dénombre huit personnes décédées de la faim, soit quatre enfants, deux adultes et deux personnes du troisième âge. La situation d’insécurité alimentaire a été instaurée et entretenue par l’insécurité due au terrorisme dans certaines parties du pays des hommes intègres, notamment dans la région du Sahel. À près de 523 km de là, dans la région de Mopti en terre malienne, l’insécurité alimentaire a aussi pignon sur rue. Les terroristes n’ont pas de limites. Tous les moyens sont utilisés pour soumettre les populations à leur diktat. Celles du centre du Mali, particulièrement du Cercle de Niono (principal grenier du Mali), sont prises entre le marteau de la crise sécuritaire et l’enclume de la crise alimentaire. Enquête transfrontalière sur le calvaire commun de deux régions du Sahel.

Depuis plusieurs mois, les « hommes de la brousse » (ndlr : appellation donnée aux terroristes par les populations locales) ont sommé les populations de la province du Yagha, à 100 km de Dori, chef-lieu de la région du Sahel, de se plier à leurs désirs. « Le mot d’ordre est clair : personne n’entre, personne ne sort sauf à une seule condition, accepter les souhaits de ces hommes », lance un vieillard retrouvé couché à même le sol sous cet arbre qui voit ses feuilles jaunir sous le supplice du soleil. Nous sommes à Solhan, à une douzaine de kilomètres de Sebba, la ville qui a connu le 4 juin 2021 le plus grand massacre au Burkina Faso en termes de populations civiles tuées, avec plus de 160 âmes arrachées dans une attaque terroriste.

SOW Moussa habite Solhan depuis sa naissance en 1992. Pour lui, jamais les habitants de cette localité n’avaient été ainsi dans la peur : « Tu pouvais entendre leurs pas mélangés au bruit de leurs armes percer le silence de la nuit. Après, rien n’a été comme avant. Les villages qui abritent les Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP) sont dans le viseur des groupes armés ennemis ».

Pour Barry Hamadou, qui travaille pour le compte d’une Organisation Non Gouvernementale (ONG) intervenant au profit des personnes déplacées internes, le déplacement massif des populations vers Sebba, chef-lieu de province, est due à une sommation par les groupes terroristes de vider les villages sous peine d’extermination de tous les hommes jusqu’au dernier nourrisson.

L’orpaillage est la principale activité des habitants de la commune de Solhan, qui est considérée comme le poumon économique de la province du Yagha. Et en poussant les populations à se déplacer vers Sebba, laissant tout derrière elles, les terroristes s’y installèrent afin de profiter des sites d’orpaillage et des champs abandonnés.

À bout de souffle et coupés du monde, « ils pactisent avec le diable » pour survivre

Certains villages ont préféré pactiser avec les groupes armés que de « venir vivre le calvaire à Sebba », nous confie Dicko Kalilou. Il habite Sebba depuis sa naissance et travaille à la radio Daande Yaali de ladite ville. Daande Yaali est le nom d’une grande mare qui relie Sebba au Niger.

Pour Kalilou, il y a des villages qui ont accepté les conditions imposées par les groupes armés terroristes, comme c’est le cas d’Ibal, de Gatougou, de Dina Layi, de Djamana : « Tous sont de gros villages. Et les habitants bénéficient de ravitaillement permanent de la part des terroristes mais on ne sait par quel canal ».

Des camions citernes contenant du carburant n’arrivent jamais à destination car détournés vers la brousse. Mais aucun drone, aucun hélicoptère n’arrive à les retrouver. Le 14 juin 2022, 14 camions citernes transportant du carburant ont été détournés sur l’axe Kantchari- Matiacoali dans la région de l’Est à 150 kilomètres de Sebba et deux jours après, vingt-huit camions disparaissaient encore dans la brousse de cette localité.

Se procurer le carburant pour vaquer à ses activités est donc devenu difficile dans la région du Sahel. De juin à août, les stations étaient ravitaillées difficilement. Tamboura Souleymane est le président de l’Organisation des Jeunes Africains pour le Développement et l’Émergence du Sahel (OJADE/Sahel).

Selon lui, « cette situation de manque de carburant est en train d’engendrer d’autres problèmes ». « Des groupuscules se sont créés pour vendre du carburant frauduleux très cher. Le litre, dont le prix homologué est fixé à 750 CFA, est vendu à 1500 CFA, parfois à 2000 CFA. Cela occasionne des frustrations qui, mal contenues, peuvent inciter à des comportements violents aux conséquences désastreuses », craint-il.

Face à la dureté de la situation, les femmes sont sorties nombreuses et ont marché dans les rues de Sebba pour finir devant la brigade de Gendarmerie, la seule autorité avec les militaires qui sont toujours dans la province. C’était le samedi 17 septembre 2022. « Nous sommes vraiment à bout, nous avons trop supporté. Si le convoi ne vient pas aujourd’hui ou demain, nous allons emprunter le chemin qui mène à Dori, à pied quel qu’en soit les risques sur la voie », avait martelé une vieille dame aux gendarmes.

Quatre jours plus tard, aucun convoi de produits de première nécessité n’était arrivé ; alors les populations ont décidé de mettre à exécution leur menace. Lasses de se nourrir de feuilles des arbres, seuls aliments “gratuits” qu’elles pouvaient encore avoir. Elles ont ainsi pris le chemin pour Dori dans la matinée du 22 septembre 2022. Mais au dernier poste de contrôle, elles ont été obligées de rebrousser chemin sous l’autorité des gendarmes.

Face à une telle situation, les autorités de la transition burkinabè ont été contraintes d’agir. Le convoi de vivres qui était bloqué à Dori depuis le 5 septembre a enfin démarré le 22. Et dans la matinée du samedi 24, Solhan s’est vu larguer des vivres par hélicoptère avec l’aide de la Force Barkhane. Toutes les routes d’accès à la ville étant parsemées d’engins explosifs improvisés.

Le calvaire ne s’arrête pas là. Un blocus imposé par les groupes armés montre les limites du plan de réponse gouvernementale aux populations qui sont menacées par l’insécurité alimentaire. Aladjogo, un nom d’emprunt, est ressortissant de Sebba. Il explique qu’avant le blocus, les réseaux téléphoniques émettaient à peine 40 minutes par jour. « Depuis qu’ils (les terroristes, ndlr) ont mis en exécution leur menace sur l’interdiction de sortie et d’entrée à Sebba le 25 juin 2022, nous avons un seul réseau sur les trois qui fonctionne. Mais là aussi c’est à minima, quinze minutes par moment dans la journée, dix dans la nuit.

Nous ne buvons plus d’eau potable, les marchandises sont devenues extrêmement chères et on ne peut plus cultiver dans nos champs qui se trouvent hors de la ville », témoigne l’homme. « Le Rwanda et la Somalie ont longtemps été des histoires pour nous et aujourd’hui, nous sommes en train de vivre ce calvaire somalien que nous regardions jadis à la télévision », lâche-t-il dans un soupir qui a précédé des larmes.

Vendre son bétail pour échapper aux vols et aux prélèvements

« Des situations de vols de bétail permanentes dans tous les villages du Sahel amènent les éleveurs à vendre tout leur bétail pour éviter que cela leur arrive », nous confie Dr. Boyena Bassirou, directeur régional des Ressources animales du Sahel. « Difficile de chiffrer ces pertes, car la dénonciation se fait verbalement », renchérit le directeur régional.

À côté de ces vols, s’ajoute le prélèvement de la ZAKAT qui est la dîme que les terroristes réclament aux éleveurs dans les villages selon les têtes d’animaux qu’ils possèdent. « Là encore on ne peut pas vous donner des chiffres mais des faits. Pour éviter ce supplice certains éleveurs ou bergers préfèrent vendre tout le troupeau et se retrouver en ville. Mais quand l’argent finira, bonjour la souffrance car ils seront exposés à tout maintenant », poursuit Dr. Boyena.

La route nationale N°3, l’axe Ouagadougou-Dori, n’a pas été épargnée des sévices terroristes. Dori a plusieurs fois été coupée des autres villes comme Kaya, Ziniaré et Ouagadougou. Le 30 juin, le pont de Naré à 40 km de Kaya a été dynamité, réduisant un instant le trafic entre le Niger, Dori et les autres villes du Burkina Faso.

Le 16 juillet, le second sabotage arrête le trafic pour une semaine avant que le pont ne soit réparé par la société minière basée à Essakane (localité à 40 km de Dori), avec l’appui technique de l’Armée burkinabè. Malgré cette réouverture de la route, l’axe est tout de même évité par les usagers. Les fonctionnaires de la région du Sahel, qui avaient eu l’occasion de se rendre à Ouaga, ne revenaient plus ; ralentissant ou rendant ainsi le service public quasi inexistant dans la région. On peut citer les 984 écoles fermées au Sahel sur les 3 683 établissements de 6 régions autres du Burkina Faso, selon le rapport statistique mensuel d’éducation en situation d’urgence du mois de février 2022.

L’aide humanitaire a du mal à parvenir

Le rapport de situation du 20 septembre 2022 du Bureau de la Coordination des Affaires humanitaires (OCHA) rapporte que le nombre des déplacés internes dans la région du Sahel a augmenté de plus de 61 000 entre janvier et avril 2022 pour atteindre 574 000 dont la moitié (286 000) est abritée par Djibo. Par suite des attaques et des menaces des groupes armés en janvier 2022, un grand nombre de personnes se sont déplacées vers Gorom-Gorom et Oursi (30 km de Gorom-Gorom dans la province de l’Oudalan).

À Gorom-Gorom, la restriction de la circulation des motos de type Sanili (250 cc avec une vitesse maximale pouvant aller jusqu’à 140km/h) et assimilés ainsi que les tricycles, imposée par l’Etat, contribue à tuer l’économie, s’exclame Tamboura Amadou : « Pour aller au travail même, c’est devenu un casse-tête. Avec les grosses motos et les tricycles, on gagnait notre pain quotidien mais maintenant, cette mesure a fait que les prix ont flambé et certaines activités sont au ralenti ».

La situation humanitaire s’est dégradée sur l’ensemble de la région du Sahel. Si ce n’est pas le gouvernement qui prend des mesures qui contrarient le peuple, ce sont les terroristes qui dictent leur loi, soupire Amadou Tamboura. Et les populations assistent impuissantes, elles sont entre le marteau et l’enclume.

Un membre de la société civile qui a requis l’anonymat est désolé de tout ce qui se passe : « Les hommes armés non identifiés procèdent à des contrôles d’identité à une dizaine de kilomètres de la ville de Gorom-Gorom sans que les Forces de Défense et de Sécurité ne puissent intervenir. Des personnes sont enlevées, souvent tuées ou reviennent semer la terreur dans la ville ».

La peur est à son comble. Les terroristes semblent réussir leur mission d’occupation de la bande Liptako-Gourma. Cette zone représente une superficie de 370 000 km² soit 57,44% de la superficie du Burkina Faso, 20,64% de celle du Mali et 9,70% de celle du Niger, selon l’Autorité de développement intégré de la région du Liptako-Gourma. L’agriculture, l’élevage, les mines constituent les activités économiques dominantes dans cette partie du Burkina Faso.

« Les hommes de la brousse » arrivent plus ou moins à accaparer ces richesses. Dans une interview publiée sur le site de Médecins Sans Frontières le 24 octobre 2022, Alfarock Ag-Almoustakine, un agent de l’ONG qui a travaillé à Djibo jusqu’en octobre 2022, déclare que le chef-lieu de la province du Soum situé à 190 km de Dori, est sous blocus depuis le mois de février 2022. Et les petits et rares déplacements qui pouvaient se faire ont cessé depuis le mois de mars 2022.

D’importants ponts ont été dynamités pour couper carrément la ville des autres localités comme Arbinda à 100 km à l’est qui constitue la plus grande réserve naturelle sylvo-pastorale partiellement classée avec 16 000 km², ou Kongoussi à 86 km à l’ouest, une ville qui approvisionne Djibo en cultures maraîchères.

Les convois humanitaires peuvent prendre des mois pour arriver à Djibo. Parfois, ils sont obligés de rebrousser chemin parce que les routes menant à la ville sont tellement parsemées d’engins explosifs posés par les terroristes. La récente explosion sur le tronçon Djibo-Kongoussi a fait 35 morts et 37 blessés, tous des civils, selon le communiqué du gouverneur de la région du Sahel daté du 5 septembre 2022.

Au Mali, les groupes armés utilisent la technique « des champs brûlés »

Niono. Chef-lieu du cercle de Niono dans la région de Ségou compte selon le recensement de 2009 364 443 habitants. Ce cercle, qui compte 12 communes et avec plus de 100 000 hectares irrigués, est appelé « Grenier à riz du Mali ». En s’attaquant à ce grenier à riz, la stratégie des groupes terroristes était d’installer la famine dans cette zone et dans tout le Mali.

Entre le 07 et le 10 janvier 2021, sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, des vidéos de champs de riz en feu sont largement partagées. Il s’agit des rizières de KO1, KO2 et KO3 à Dogofry, dans la commune de Niono. Les auteurs ne sont autres que les groupes terroristes notamment la Katiba Macina de Amadou Kouffa qui ont envahi cette partie du pays depuis 2015.

Dans l’une des vidéos, le dénommé Hamed Biba, à visage découvert, témoigne de l’ampleur des dégâts dans son champ. Visible derrière lui, un vase étendu réduit en cendres par la fureur des flammes. Sur place, les décortiqueuses, les motos n’ont pas été épargnées.

Deux mois plus tard, en mars 2021, les mêmes scènes ont été observées sur la toile. Les dégâts seraient « inestimables » selon les populations de Dogofry. Le 10 novembre, de la même année, c’était au tour des paysans de Bamakocoura, dans la même localité de voir partir en fumée plusieurs tonnes de riz récoltées. Par peur de représailles, le maire de la commune de Dogofry, Modibo Kimbiry, s’abstient de tout commentaire au sujet de ces incidents.

Mais cette situation à Dogofry dans le cercle de Niono n’est pas sans conséquence sur la sécurité alimentaire des Maliens. Niono avec l’Office du Niger fait partie des sept zones de production de riz du Mali. Avec les six autres zones, l’Office du Niger produit annuellement plus de 700 mille tonnes de riz selon les données de l’office.

Cette année, sur une prévision de 900 000 tonnes, les sept zones de production de l’Office du Niger (Kolongo, Niono, Ké-Macina, Molodo, NDébougou, Kouroumari et Mbéwani) vont produire 800 000 tonnes, selon Bamoye Keïta, directeur de l’informatique, de la planification et des statistiques de l’Office du Niger. Un manque à gagner de 100 000 tonnes de riz. L’insécurité, la menace terroriste sont entre autres raisons qui, selon lui, expliquent que les  objectifs fixés ne seront pas atteints.

Partant de son exemple et de celui des membres du regroupement des paysans de Macina dont il fait partie, Issa Ongoïba conteste ces données de l’Office du Niger. « Au vu des champs abandonnés dans les zones de production du fait de l’insécurité, de la psychose qui règne au sein des paysans, il est clairement difficile à mon sens que l’on puisse faire autant de rendement ».

Il en veut pour preuve : « Personnellement, je viens de récolter mon champ en fin octobre 2022. Je n’ai eu que 30 sacs sur deux hectares là où les années précédentes je pouvais avoir en moyenne 60 sacs par hectare soit 120 sacs les deux hectares ».

Pour expliquer cette chute de rendement, il pointe du doigt le coût des engrais qui a pris l’ascenseur cette année passant de 17 000 Fcfa à 43 000 Fcfa par sac pour l’engrais DAP granulé et de 12 500 Fcfa à plus de 30 000 Fcfa par sac pour l’urée. « Cette augmentation vertigineuse est arrivée parce que l’État n’a pas pu subventionner l’engrais comme les années passées. Conséquences, beaucoup de paysans n’ont pu s’en offrir », explique Issa Ongoïba.

La faim, cette autre arme des terroristes

Présent à Ségou en ce mois de juillet 2022 pour bénéficier d’un financement de l’Union Européenne en vue de mener des activités de sensibilisation pour la cohabitation pacifique, Mahamane Traoré témoigne des conséquences de l’insécurité sur les activités agricoles de Niono, sa ville : « Les groupes terroristes se manifestent beaucoup plus à chaque début d’hivernage. Ils sillonnent les villages pour interdire aux paysans de cultiver leurs champs. Des paysans ont essayé de braver ces interdictions et ont été froidement tués dans leurs champs ».

Cette arme non conventionnelle des terroristes de la Katiba Macina de Amadou Kouffa, qui consiste à affamer les populations, a eu raison de plusieurs paysans qui, à contrecœur, ont dû abandonner leurs champs pour d’autres horizons.

C’est le cas de Bassékou Coulibaly, ami de Mahamane Traoré, qui, après avoir reçu les injonctions des terroristes de ne pas cultiver ses trois hectares de rizière et deux hectares de champ de mil en 2021, a rejoint les sites d’orpaillage de Kéniéba au sud du pays pour subvenir aux besoins de sa femme et de ses enfants.

« Le kilogramme du riz à Niono aujourd’hui est passé de 425 Fcfa à 450 Fcfa. Ce qui est très surprenant. Le prix du kilogramme de riz n’avait jamais excédé 325 Fcfa au mois d’Août. C’était le cas dans certains cercles de la région de Ségou mais ça n’a jamais été le cas à Niono », se désole Mahamane Traoré avant de présager que si « Niono a faim le reste du pays ne sera pas épargné ».

Dans son rapport d’Avril 2002 sur la situation alimentaire du Mali, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) indique avoir distribué 2,8 millions de dollars aux personnes touchées par la crise, soit les 120 mille déplacés internes et 250 mille résidents vulnérables. À cela s’ajoute l’assistance à 208 mille personnes de 198 villages des régions de Ségou, Ménaka, Tombouctou, Gao et Mopti. Dans cette dernière région, la situation n’est guère reluisante.

Pour tenir en attendant des lendemains meilleurs, les populations de Niono peuvent compter sur la générosité d’opérateurs économiques locaux pour soutenir les ménages. Selon Mahamane Traoré, Diadié Bah, opérateur économique dans le secteur des engrais et actuellement membre du Conseil National de Transition (CNT), vient en aide avec des tonnes de riz pour soulager les populations de Niono suite aux mauvaises récoltes.

Le calvaire des femmes

Déjà difficile pour elles de se procurer les terres et de travailler à leur propre compte en temps de paix, les femmes se retrouvent dans une situation encore plus critique avec cette crise qui secoue le pays. À côté des travaux dans les champs de riz, à Niono et environs, elles font du maraîchage. Les revenus tirés de cette activité leur permettent de subvenir à leurs besoins et aussi de contribuer à alléger les charges de leurs époux. Cette activité génératrice de revenus pour elles, est depuis, menacée au même titre que les travaux des champs.

« Nous sommes pratiquement sans revenus. À l’Office riz de Niono, plus de 50% de la main-d’œuvre est constituée par les femmes. Mais avec la menace terroriste, les superficies cultivées diminuent et avec elles les revenus des femmes », témoigne la présidente d’un groupement féminin qui a requis l’anonymat. Car, selon elle, la citer dans cet article pourrait l’exposer à des représailles.

Et quand elles ne sont pas empêchées par les terroristes de cultiver leurs jardins, elles sont obligées par ceux-ci de se couvrir intégralement. Ce qui, selon notre interlocutrice, ne facilite pas leur travail, car les tenues de ce type ne sont pas adéquates pour le travail de la terre. Il s’agit selon elle d’une interdiction implicite de travailler.

En plus des terroristes, les chasseurs « donso », généralement présentés comme les défenseurs des communautés, sont selon notre interlocutrice des bourreaux pour les femmes de la zone Office du Niger. « À Tchintchindougou, les dozo ont tiré à bout portant sur une femme qui était sortie avec d’autres femmes pour défendre les jeunes du village pris à partie par ces chasseurs ».

Pris entre les feux des terroristes et des dozo, les femmes de la zone Office riz ne savent plus à quel saint se vouer

De son côté le groupe d’autodéfense Dogon Dan Na Ambassagou réfute l’ensemble des accusations à leur encontre. Le samedi 17 décembre dernier, à Fatoma, dans le cercle de Mopti, les chasseurs dogons ont tenu une grande réunion pour faire le point de leurs actions et l’organisation stratégique du groupe. Au cours de cette importante réunion, Youssouf Toloba, le chef de guerre de Dan Na Ambassagou, dira que le groupe a pour mission de défendre les communautés, toutes les communautés, contre les violences terroristes et ne saurait être celui qui commet des violences sur les populations. Il estime que des incompréhensions peuvent survenir dans cette mission délicate, des incompréhensions à ne pas considérer comme des violences délibérées.

Bandiangara n’y échappe pas

23 Octobre 2022. Le village de Bodio situé à 15 km de Bandiagara dans la région de Mopti a été attaqué par des terroristes. Repoussés par les villageois, les terroristes dans leur repli ont mis le feu aux champs de mil. Des dégâts filmés et massivement relayés sur les réseaux sociaux.

Daouda Ongoïba, la trentaine révolue, ressortissant du village de Yangassadjou, commune rurale de Mondoro, cercle de Douentza, en ce 11 août 2022, à 5 heures du matin, monte à bord du car de la compagnie Africa Tours, direction Sévaré et ensuite son village.

Cet ancien étudiant de la faculté des Sciences et Techniques de Bamako enseigne aujourd’hui la physique-chimie dans des établissements scolaires de la capitale, Bamako. Comme un pèlerinage, il fait l’effort de se rendre chaque année, au moins une fois, auprès des siens. Lui qui, avec d’autres frères de la capitale, consent déjà d’énormes sacrifices pour soutenir les parents restés au village.

« Depuis plusieurs années, des frères et moi, cotisons pour acheter de quoi nourrir les parents au village. Ils ne peuvent plus aller au champ depuis que la crise a atteint le centre du pays. Nos champs sont à 10, 15 voire 20 km du village. Plus ils s’éloignent, plus ils s’exposent aux attaques. C’est pourquoi, nos parents ne cultivent que les quelques champs qui bordent le village ce qui est loin de satisfaire les besoins », dit Daouda Ongoïba, le cœur en peine.

Lui, le miraculé, ne cesse d’appeler ses parents à la prudence. « Je ne veux plus perdre un membre de ma famille dans cette crise », dit-il avant de se plonger dans ses douloureux souvenirs. « C’était pendant les vacances de 2012-2013, j’étais revenu au village, comme chaque année, pour aider aux travaux champêtres.

Alors que nous cultivions avec mes cinq frères, à l’heure du repos, l’un d’eux m’a envoyé chercher de l’eau à boire. À mon retour, j’ai trouvé que mes frères avaient été tous assassinés par je ne sais qui. Aujourd’hui encore, personne ne sait qui est à l’origine de ces crimes odieux » nous explique, non sans peine, Daouda Ongoïba.

Depuis ce drame, sa famille a abandonné ses plus de dix hectares pour se replier dans le village de Yangassadjou situé dans la zone dite des trois frontières (Mali- Burkina- Niger) et vivre des denrées achetées par ceux qui travaillent en ville comme Daouda.

Lueur d’espoir ?

Le plan national de ripostes 2022 des autorités de la transition malienne doit permettre d’apporter des solutions d’atténuation pour près de 6 millions de personnes. 64 000 tonnes sont nécessaires en termes de moyens de subsistance. Le Plan national de réponses 2021 a été mis en œuvre à plus de 99% pour 32 994 tonnes de céréales distribuées par l’État en faveur de 102 837 personnes.

D’ores et déjà, plus de 33 000 tonnes de céréales ont été distribuées par le Commissariat à la sécurité alimentaire pour venir en aide à 1,1 million de personnes, a confirmé l’Ambassadeur de la délégation de l’Union Européenne, Bart Ouvry, au cours d’une rencontre avec le Premier ministre d’alors, Choguel Kokalla Maïga.

Pour faire face à cette insécurité alimentaire créée en partie par les groupes terroristes, l’État malien et ses partenaires, à défaut de fournir des chiffres exacts sur le nombre d’hectares incultivables du fait de la crise sécuritaire, sont mobilisés pour apporter des soutiens aux populations les plus affectées.

Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), de juin à décembre 2022, les besoins de financement pour assurer une relative sécurité alimentaire dans le pays s’élèvent à 83,9 millions de dollars, sachant que sur la seule année ce sont 162 millions de dollars qui ont été mobilisés par les partenaires pour venir en aide au Mali, indique le PAM.

Une autre aide est celle de l’armée. Depuis quelques mois, la « montée en puissance » de l’armée vantée par les autorités est constatée et appréciée par les paysans de la zone Office du Niger. « Les nombreuses patrouilles des forces armées maliennes dans la zone ont contribué à réduire sensiblement les attaques de nos champs », reconnaît un habitant de Dogofry.

Cet effort doit être soutenu et continu. Jusque-là épargnés par les attaques, des champs de riz à Bougouwèrè dans la commune de Macina ont été brûlés au début du mois de novembre 2002, témoigne Madou Fané, vice-président du Regroupement des paysans de Macina.

Si les responsables locaux de l’Office du Niger reconnaissent du bout des lèvres que des initiatives sont prises pour permettre aux paysans de travailler en toute quiétude, impossible d’en savoir davantage sans une autorisation formelle de la hiérarchie malgré nos tentatives d’avoir un rendez-vous.

Au niveau du commissariat à la sécurité alimentaire, après avoir envoyé le questionnaire qu’il nous a été demandé de soumettre, nous n’avons plus reçu de réponses, malgré nos nombreuses relances.

Aujourd’hui, c’est la peur au ventre que les paysans de la zone Office du Niger se rendent dans leurs champs avec toujours sur les lèvres la même prière : « Dieu fasse que nous ne croisons pas le chemin des terroristes ».

Enquête réalisée par Cheick Yannick SOME (Burkina Faso) et Mohamed DAGNOKO (Mali), avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO)

NB : Le titre est de la Rédaction.

Le Wagadu

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