Groupes d’autodéfense: Quelle offre sécuritaire ?
Certaines milices radicales d’autodéfense se seraient également formées à l’initiative d’élus ou de chefs traditionnels. C’est ainsi que certaines autorités, qu’elles soient municipales, traditionnelles, administratives ou religieuses, tissent des relations plus ou moins alambiquées avec certains de ces groupes d’autodéfense. Au début, ils ont été perçus comme des acteurs susceptibles d’aider les Forces armées maliennes loyales dans leur lutte jusqu’au-boutiste contre les groupes extrémistes violents qui sévissent dans le centre du pays, mais ils ont fini par se substituer à elles.
Selon leurs initiateurs, ces groupes ne visent qu’à pallier tant bien que mal le déficit sécuritaire dont ils sont les premières victimes. S’ils ont permis de résoudre certains problèmes sécuritaires à court terme, il n’en demeure pas moins évident qu’ils ont été le plus souvent sources d’insécurité, allongeant finalement la liste des groupes violents et radicaux qui sévissent dans la région. Certains d’entre eux s’inscrivent dans une logique de règlement de compte, de vengeance ou de pillages en tous genres. Dans la commune de Kareri par exemple, des affrontements violents ont eu lieu en juillet 2018 entre Peulhs et Dogons et ont fait plus de 24 morts, selon le communiqué du préfet du cercle de Ténenkou.
Au regard de ce que l’on a pu observer jusque-là, notamment sur les terrains d’enquête du centre Mali que nous avons parcourus, nous retenons le caractère ambivalent de ces groupes sécuritaires parallèles. S’ils sont considérés comme acteurs (circonstanciels) dans l’offre sécuritaire auprès de leurs communautés respectives, force est de constater qu’ils ont participé à l’amplification de l’insécurité. Ayant des logiques et des intérêts opposés, ces groupes d’autodéfense, en plus des mouvements extrémistes djihadistes, ont profondément affecté le centre du Mali en termes de sécurité qui y devient quasi absente. Il est devenu l’épicentre de l’insécurité pour paraphraser Sangaré et de violences multiformes, comme l’illustre cet extrait d’un autre entretien : « Un État qui s’assume, l’existence des groupes d’autodéfense ne peut être accepté, car entre les communautés, il y a toujours des conflits dormants. Donc, si l’occasion se présente, les gens vont réagir. Certaines personnes, se croyant victimes des situations d’injustice, se sont procuré des armes pour régler leur compte. C’est pour cela que vous assistez dans le Centre à des assassinats ciblés, des tueries et des enlèvements ».
Certains interlocuteurs préconisent leur suppression pure et simple, car dans le centre du Mali, des groupes d’autodéfense et d’autres acteurs s’identifient moins à l’État qu’à leur communauté ou ethnie d’appartenance, et rendent par ricochet le retour des forces loyales pratiquement impossible dans certaines zones touchées par l’insécurité.
Ce tropisme identitaire conduit, à court, à moyen probablement à long terme, à une mise à mal du principe même d’État-nation, qui pourrait pourtant s’avérer un facteur important pour la cohésion nationale. Dans le même ordre d’idées, Thiam souligne que l’État doit absolument éviter de recourir à des milices d’autodéfense ou de les légitimer, eu égard aux tensions intercommunautaires particulièrement vives dans le Centre. « Il faut éviter les milices à caractère ethnique ou communautaire: les chasseurs, les Peulhs, les Songhoy. La seule arme de guerre doit être tenue par les soldats de l’armée nationale qui doit être forte ».
D’autres, sans s’opposer à leur suppression, pensent qu’il faut, au préalable, chercher à connaître les causes profondes de leur création et les différentes logiques afférentes pour traiter le problème. Il serait donc difficile de les disloquer quand les raisons sous-jacentes des conflits (notamment fonciers) ne sont pas maîtrisées.
Aly TOUNKARA